La montée de la justice populaire en Côte d’Ivoire

Chercheurs RED
Actualité
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3 min readMar 29, 2018

Le développement accru des réseaux sociaux en Côte d’Ivoire conduit une grande partie de la population ivoirienne à filmer et publier son quotidien. Ces dernières années, face à la montée de la délinquance et au ‘laisser-faire’ des autorités judiciaires, la population publie, ainsi, de plus en plus sur les réseaux sociaux les humiliations faites aux délinquants dont elle se saisi, dans un but qui n’est pas toujours celui de la justice. La dernière vidéo en date est celle d’un supposé voleur qui est obligé de manger une assiette de piments comme punition.

Si la justice privée a toujours existé dans nos sociétés africaines — l’étatisation de la justice n’étant intervenue qu’avec la colonisation et souffrant encore d’une mauvaise application — le tournant qu’elle prend ces dernières années nécessite qu’un frein y soit mis. En effet, cette vindicte populaire, publiée sur les réseaux sociaux ou non, renvoi à trois critiques principalement.

Tout d’abord, il faut noter que la loi n’interdit pas aux personnes qui surprennent un flagrant délit de se saisir de la personne qui en est l’auteur. Cependant, la loi ne donne en aucune façon le droit à ceux qui se saisissent de l’auteur de l’infraction de se faire justice eux-mêmes. Selon l’article 72 du Code de procédure pénale, en effet, « dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche ». Ainsi, il doit être conduit au commissariat, ou à la gendarmerie, le (la) plus proche ; ce n’est pas à la population de se faire justice par elle-même.

Ensuite, humilier, donner des coups ou même aller jusqu’au meurtre de cette personne, sont des délits et crimes dont les auteurs sont répréhensibles devant la justice. Par conséquent, les justiciers privés peuvent eux-mêmes se retrouver devant la justice pour répondre de leurs actes. Mais, en plus, cette justice privée qui semble avoir pour but de ‘donner une leçon’ à l’auteur de l’infraction pris sur les faits, et l’empêcher de poser à nouveaux des actes répréhensibles est loin d’être un gage contre la récidive de ce dernier. Par ailleurs, des erreurs peuvent toujours exister, et un innocent peut subir la colère de tout un quartier sans qu’il n’ait rien fait. L’exemple le plus illustratif est celui de l’officier ghanéen tué l’année dernière sous les coups de la population déchainée l’ayant pris pour un voleur.

Enfin, en se faisant justice soit même, on empêche la justice de faire son travail. Attention, il n’est pas ici refusé le droit à la justice pour les personnes ayant subi un préjudice des actions des supposés délinquants, cependant, des lois existent en CI et il faut qu’elles soient appliquées et pour ce faire il faut que tout le monde y mette du sien.

Toutefois, il est nécessaire de relever que si la population agit ainsi c’est en raison de son manque de confiance à l’égard des autorités judiciaires qui, selon elle, ne ‘font pas leur travail’ pour diminuer le taux de criminalité. Il est donc nécessaire que chacun prenne ses responsabilités.

Nelly Assamoi

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