Résumé de l’affaire le Procureur c/ Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé

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7 min readFeb 15, 2019

Ces dernières semaines le procès le Procureur c/ Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé a connu des développements importants qui ont conduit à faire couler beaucoup d’encre en Côte d’Ivoire, surtout sur le plan politique. Cependant, au-delà de son aspect politique, son aspect juridique n’a pas forcément été mis en avant et surtout compris en raison de la particularité de la procédure pénale internationale. Nous allons donc tenter de faire un résumé du déroulement de cette affaire depuis son déclenchement.

Tout d’abord, la Cour pénale internationale (CPI) est une Cour chargée de poursuivre et condamner les auteurs de crimes considérés comme les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le crime d’agression[1]. Dans la mesure où c’est une juridiction internationale, pour que les ressortissants d’un État puissent être jugés devant celle-ci il faut que l’État accepte sa compétence. La Côte d’Ivoire a accepté la compétence de la CPI le 18 avril 2003, et elle a ratifié le statut de Rome, traité fondateur de la Cour, le 15 février 2013.

A la suite de la crise post-électorale qui a eu lieu entre 2010 et 2011 le Procureur de la CPI a présenté une demande d’ouverture d’une enquête sur la situation en Côte d’Ivoire à la chambre préliminaire le 23 juin 2011 et celle-ci a fait droit à sa demande. Au départ n’étaient pris en compte que les évènements s’étant déroulés au cours de la crise post-électorale. Mais dans une décision du 22 février 2012, la chambre a décidé d’élargir son autorisation d’enquêter pour inclure les crimes qui ont été commis depuis le 19 septembre 2002. Il faut savoir que devant la CPI, il y a une différence entre une situation et une affaire[2]. La situation est définie par des paramètres temporels, territoriaux et éventuellement personnels, tel que dans notre cas la situation de la Côte d’Ivoire. Tandis que l’affaire concerne des incidents précis au cours desquels des crimes auraient été commis par une ou plusieurs personnes identifiées. Dans la situation de la Côte d’Ivoire, pour le moment il n’y a officiellement que deux affaires qui sont ouvertes : le Procureur c/ Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé et le Procureur c/ Simone Gbagbo.

Le 23 novembre 2011 un mandat d’arrêt a été émis à l’encontre de Laurent Gbagbo et il a été transféré à la Cour le 30 novembre 2011. Le 21 décembre 2011, un mandat d’arrêt a été émis à l’encontre de Charles Blé Goudé et il a été remis à la Cour par les autorités ivoiriennes le 22 mars 2014.

En ce qui concerne la procédure devant la CPI, de manière très brève, elle se déroule comme suit :

-une phase préliminaire au cours de laquelle le Procureur communique à la défense les charges qu’il entend porter et ses moyens de preuves. Cette phase se termine par une audience de confirmation des charges au cours de laquelle les parties présentent leurs moyens de preuves devant une chambre préliminaire ; cette audience peut s’étendre sur plusieurs jours ou semaines. Au terme de leurs présentations, la chambre rend une décision dans laquelle elle peut confirmer ou ne pas confirmer les charges soulevées par le Procureur. Si elle confirme, la deuxième phase, celle du procès, s’ouvre.

-le procès : à ce stade, l’accusé est renvoyé devant une chambre de première instance qui va statuer sur les charges qui ont été retenues contre lui. Les débats s’ouvrent alors et chaque partie va présenter ses moyens de preuves : documents, interrogations des témoins… et les victimes peuvent être autorisées à présenter des observations. A la clôture des débats, les juges peuvent rendre une décision de condamnation, ou d’acquittement. Quelle que soit la décision celle-ci peut faire l’objet d’un appel.

-la chambre d’appel saisie, si elle considère que la décision qui fait l’objet d’appel est sérieusement entachée d’une erreur de fait ou de droit, peut l’annuler ou la modifier, ou elle peut ordonner un nouveau procès devant une chambre de première instance différente.

Cependant, comme dans toute procédure, tout au long de celle-ci des recours sont ouverts aux parties contres diverses décisions ou ordonnances, par exemple contre les décisions d’autorisation de participation des victimes ou encore des requêtes pour une mise en liberté provisoire.

Dans l’affaire qui nous intéresse, il y a eu une phase préliminaire au cours de laquelle il y a eu une première audience de confirmation des charges devant la chambre préliminaire I du 19 au 28 février 2013. Celle-ci a cependant ajourné l’audience car elle n’était pas satisfaite des preuves qui lui étaient présentées par le Procureur et lui a demandé de fournir des preuves supplémentaires ou de mener de nouvelles enquêtes. Ce qui a été fait. Au total, la chambre préliminaire a analysé les déclarations de 108 témoins, plus de 22000 pages d’autres preuves documentaires ainsi qu’une grande quantité de matériel vidéo. Ainsi dans une décision du 12 juin 2014 elle a confirmé quatre charges de crimes contre l’humanité à l’encontre de M. Laurent Gbagbo : meurtre, viol, autres actes inhumains ou — à titre subsidiaire — tentative de meurtre, et persécution, prétendument perpétrés dans le contexte des violences post-électorales en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011. Ces actes auraient été prétendument perpétrés entre le 16 et 19 décembre 2010 pendant et après une marche de partisans d’Alassane Ouattara qui se rendaient au siège de la Radiotélévision Ivoirienne (RTI), le 3 mars 2011 lors d’une manifestation de femmes à Abobo, le 17 mars 2011 par bombardement au mortier d’un secteur densément peuplé d’Abobo, et le 12 avril 2011 ou vers cette date. Ces mêmes charges ont été retenues contre M. Charles Blé Goudé à la suite de l’audience de confirmation des charges qui s’est tenue, dans son cas, du 29 septembre au 2 octobre 2014. Pour cette raison, leurs deux affaires ont été jointes au cours du procès.

Le procès s’est ouvert le 28 janvier 2016 et il y a eu 231 jours d’audience au cours desquels chacune des parties a présenté ses moyens de preuves : documents, dépositions des témoins en audience ou par lien vidéo, interrogations des témoins et victimes. Au terme de la présentation des preuves, des requêtes ont été déposées par la défense de M. Laurent Gbagbo et M. Charles Blé Goudé afin qu’un jugement d’acquittement soit rendu. Le 15 janvier 2019, la chambre de première instance a rendu une décision d’acquittement à la majorité — mais Mme la juge Herrera Carbuccia a joint une opinion dissidente — de la totalité des charges retenues contre les deux accusés. La chambre préliminaire a, en effet, considéré que le procureur n’avait pas présenté des preuves suffisantes pour démontrer la responsabilité des deux accusés « en particulier, après un examen rigoureux des éléments de preuve, la Chambre a conclu, à la majorité, que le Procureur n’a pas démontré plusieurs éléments essentiels constitutifs des crimes reprochés, y compris l’existence d’un « plan commun » visant à maintenir M. Gbagbo au pouvoir, qui aurait compris la commission de crimes contre des civils « en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation » ; et l’existence de schémas de violence à partir desquels il pourrait être déduit qu’il existait une politique d’attaque contre la population civile. De plus, la Chambre a conclu, à la majorité, que le Procureur n’a pas démontré que des discours publics de M. Gbagbo ou M. Blé Goudé auraient permis d’ordonner, solliciter ou encourager les crimes allégués. Par conséquent, la Chambre a décidé que la Défense n’avait pas besoin de soumettre des éléments de preuves supplémentaires »[3]. Cependant, elle a invité les parties à se prononcer sur leur mise en liberté immédiate. Ainsi, le lendemain, le 16 janvier 2019 après avoir entendu les parties, elle a décidé qu’il n’y avait pas de raisons de les maintenir en détention, elle a donc prononcé la mise en liberté immédiate. Le Procureur a alors interjeté un appel sur cette question précise. Le 1er février 2019, la chambre d’appel a confirmé la mise en liberté mais a imposé des conditions. Ainsi, M. Laurent Gbagbo et M. Charles Blé Goudé devront être conduits dans un État disposé à les accepter sur son territoire et désireux et apte à faire respecter les conditions fixées par la Chambre d’appel. Répondant à la demande de coopération internationale, la Belgique a accepté d’accueillir M. Laurent Gbagbo. Quant à M. Charles Blé Goudé, il n’y a aucune information en ce sens pour le moment.

En ce qui concerne la décision d’acquittement, le jugement dûment motivé sera rendu par écrit plus tard. Et c’est à la suite de cela que le Procureur décidera s’il veut ou non interjeter appel de cette décision.

Il convient de souligner que seuls les grands moments de la procédure ont été ici relevés. La procédure est beaucoup plus complexe et au moins une centaine de décisions ont été rendues jusqu’à ce jour à la suite de plusieurs requêtes de la défense et de l’accusation. Par exemple, la défense de Laurent Gbagbo a demandé treize fois la mise en liberté provisoire de celui-ci, qui ont toute été rejetées pour les mêmes raisons[4].

Par ailleurs, ce ne sont pas les premiers acquittements de la CPI. Dans l’affaire le Procureur c/ Mathieu Ngudjolo Chui — issue de la situation en République démocratique du Congo — la chambre d’appel a confirmé, le 27 décembre 2015, l’acquittement prononcé par la chambre de première instance le 18 décembre 2012. Dans l’affaire le procureur c/ Jean-Pierre Bemba Gombo, le 8 juin 2018, la Chambre d’appel a décidé, à la majorité, d’acquitter Jean-Pierre Bemba Gombo des charges de crimes de guerre et crimes contre l’humanité prétendument commis en République Centrafricaine. Pour le moment il n’y a eu que deux condamnations définitives par la CPI : 14 ans d’emprisonnement pour Thomas Lubanga Diylo pour crimes de guerres — enrôlement d’enfants — et Germain Katanga à 12 ans d’emprisonnement pour crimes de guerres, tous les deux ressortissants de la RDC.

Cependant, cette affaire soulève à nouveau la question de l’aspect politique de cette juridiction internationale[5] et remet en cause sa saisine et le déroulement des affaires. Il serait pour cela intéressant de lire les motifs plus précisément sur lesquels la chambre de première instance s’est fondée pour rendre son jugement.

Nelly Assamoi

[1] Statut de Rome, article 5

[2] CPI, Situation en République démocratique du Congo, ICC-01/04–101, Chambre préliminaire I, Décision sur les demandes de participation à la procédure de VPRS 1, VPRS 2, VPRS 3, VPRS 4, VPRS 5 et VPRS 6, 17 janv. 2006.

[3] Communiqué de presse du 15 janvier 2019 : https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1427&ln=fr

[4] Voir notre article en ce sens

[5] Voir notre article en ce sens

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