Quelle mobilisation en ligne contre le Franc CFA ?

Afriques connectées
Afriques Connectées
16 min readMar 14, 2019

Sujet de crispation récurrent dans les pays africains concernés, le débat autour du Franc CFA s’est étendu sur les réseaux sociaux depuis quelques années. Fin janvier, la mobilisation contre la monnaie a connu un nouvel épisode lancé par des acteurs jusque là peu attendus sur ce terrain : les Italiens.

Pourtant, c’est bien sur l’appétit post-colonial de la France que le mouvement 5 étoiles (M5S) attaque le 20 janvier, lançant une double offensive portée par deux cadres dirigeants du mouvement. Tout d’abord, par la voix du vice-président du Conseil des ministres, Luigi di Maio accusait la France d’appauvrir l’Afrique, puis le même soir, Alessandro di Battisti, ex-député, frappe un grand coup en détruisant une copie d’un billet de franc cfa sur le plateau télé de la Raï. Inévitablement, Matteo Salvini de la ligue du Nord également vice-président du conseil des ministres dans ce gouvernement de coalition, emboîte le pas à ses collègues, mais surtout rivaux, pour ne pas laisser M5S occuper un terrain où critique du libéralisme et de l’immigration peuvent rapporter gros à qui y prend l’initiative à la veille des élections européennes.

Mais une information parmi toutes a attiré notre attention : la revendication par le militant panafricaniste Kemi Seba du rôle joué par son organisation dans ces attaques italiennes.

Intriguée, l’équipe d’Afriques Connectées a décidé de fouiller plus précisément les conversations en ligne sur le sujet, guidée par cette interrogation : cette provocation européenne allait-elle devenir une polémique africaine et, si oui, selon quelles dynamiques, et dans quels réseaux ?

Grâce à notre partenaire, la plateforme de veille des réseaux sociaux Visibrain, nous avons récolté 70 102 tweets sur une période allant du 20 janvier au 5 mars. De plus, l’outil Visibrain nous a permis de récolter des données publiques publiées sur Facebook que nous traiterons en deuxième partie de cet article afin de fournir un tour d’horizon sur ce vaste et ô combien sensible sujet.

Un emballement rythmé par les interventions politiques

Dès le 20 janvier, Twitter s’emballe : c’est le démarrage en trombe d’une séquence de 19 228 tweets (72 % de retweets) qui s’étendra jusqu’au 28 janvier. Twitter se montre timide au début de la crise : on évoque certes Luigi di Maio, mais sans susciter de grands pics d’engagements

C’est véritablement la séquence montrant Battisti déchirer le billet qui va exciter les foules :

Le deuxième pic éclate au 15 février autour de la venue d’Alassane Ouattara en France, visite à l’issue de laquelle le Président ivoirien déclare sur le perron de l’Elysée tout son soutien au FCFA. L’image est forte, et la symbolique accablante : un président arrivé au pouvoir après un conflit civil dans lequel la France a exercé un rôle militaire déterminant, défendant la monnaie de l’ancien colonisateur au sortir du palais doré de la République française. Il n’en fallait pas tant que pour les opposants politiques d’Alassane Ouattara fassent de cette déclaration une séquence politique à charge :

Mais le sujet n’est pas qu’une séquence de politique ivoirienne : il est véritablement relancé, dans des contextes parfois politiques. C’est le cas notamment des élections au Sénégal, où la sortie du CFA devient un argument électoral pour appeler à voter en faveur du candidat Ousmane Sonko, qui obtiendra 15,7 % des suffrages le 24 février, faisant de lui une figure d’opposition solide.

Pour mieux analyser la typologie des comptes ayant pris la parole sur le sujet, nous avons mis en relation trois paramètres dans le graphique ci-dessous : le nombre de followers des comptes, leur nombre de tweets et leurs retweets cumulés. Précision méthodologique, nous avons exclu de ce graphique quelques comptes de plusieurs millions d’abonnés qui faussent la lecture du graphique en nécessitant une échelle disproportionnée (il s’agissait des comptes de médias français, dont Le Monde et France 24).

On remarque un vaste ensemble de profils dont le nombre d’abonnés est majoritairement situé en dessous de la barre des 20 000 abonnés, qui ont dans l’ensemble peu publié sur le sujet. Une poignée de comptes se distingue par un grand nombre de retweets cumulés, accompagnés d’un nombre soutenu de publications (plus de 100 sur la période).

Pour l’essentiel, les tweets émis ont été peu relayés, permettant à quelques gros comptes de prendre une place prépondérante dans la structure des conversations sur Twitter grâce aux scores de leurs propres tweets.

Eut égard à leur nombre d’abonnés, et au contexte politique de certains pays comme le Sénégal (élection présidentielle en février) et en Côte d’Ivoire (l’élection présidentielle aura lieu en 2020 et aiguise déjà les appétits), il paraît raisonnable d’estimer qu’il s’agit d’influenceurs politiques réunissant autour d’eux une forte communauté qui soutient les posts publiés par le compte afin d’améliorer leur visibilité.

Les opposants ont la voix qui porte

Cette cartographie représente les interactions de 17 164 comptes ayant pris part aux conversations sur le sujet du Franc CFA sur Twitter du 21 janvier au 5 mars 2019. Chaque nœud représente un compte Twitter, et chaque lien entre deux nœuds représente une interaction (commentaire, mention ou retweet).

Une approche cartographiée de la conversation permet de voir plus précisément quels comptes ont été visibles sur Twitter. Plusieurs personnalités profitent de l’exposition médiatique offerte par le débat :

Kemi Seba s’exprime du 20 janvier au 05 mars, avec un pic notable de mentions entre le 13 et le 21 février, dû à une série de tweets agressifs dénonçant, entre autres, Alassane Ouattara et Jeune Afrique. On note néanmoins sa position relativement périphérique au sein de la cartographie, signifiant qu’il n’a pas été au cœur des conversations globales.

Le militant a également été mentionné dans des tweets établissant un parallèle entre le fac-similé du billet détruit par Alessandra di Battisti et l’authentique billet brûlé par Kemi Seba en place publique à Dakar en août 2017, qui lui avait valu une expulsion du pays. Le président de l’ONG Urgences Panafricanistes ne fait d’ailleurs pas mystère de la préméditation de ce coup d’éclat.

Mais le militant ne cache pas non plus son envie de porter plus loin le combat politique, jusqu’au sein même des institutions, et rappelle à plusieurs reprises qu’il avait tenu un “procès de la Françafrique” le 19 janvier au Bénin. Lors de cet événement, il avait notamment annoncé sur Facebook la création d’un parti politique au Bénin, le Parti Panafricaniste Béninois (PPB), premier d’une série de partis panafricanistes appelés à s’instaurer dans “de nombreux pays d’Afrique francophone”, et coordonnés politiquement par l’ONG de Kemi Seba.

Deux comptes liés au parti politique ivoirien LIDER occupent le centre de la cartographie, ce qui indique leur visibilité auprès d’une large partie des comptes. Bien qu’il s’agisse d’un parti d’opposition de faible poids électoral, celui-ci a su profiter des polémiques pour diffuser ses messages auprès de nombreuses communautés.

On remarque tout d’abord le compte @Nath_Yamb, conseillère au sein du LIDER qui publie 47 tweets en propre, et est citée dans plus de 1 645 tweets (retweets inclus). Sa visibilité repose principalement sur sa fréquence de publication, ainsi que sur les nombreuses mentions de son compte.

Mais c’est surtout le compte de Mamadou Koulibaly, candidat du LIDER pour l’élection présidentielle de 2020 en Côte d’Ivoire qui gagne en visibilité, avec 100 tweets en propre. Son rythme de publication s’étend sur toute la période, avec un premier pic relevé fin janvier.

On note une propension au retweet commenté et aux arguments économiques alternés par des attaques politiques pour s’inscrire en faux face à la politique de Ouattara, tout en faisant valoir une certaine posture d’autorité (sa bio Twitter indiquant son statut de professeur d’économie).

On remarque également deux comptes visibles à la marge, du fait notamment de leurs invitations dans divers médias : Fanny Pigeaud, journaliste spécialiste des questions africaines et Kako Nubukpo, économiste et ancien ancien ministre de “la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques” du Togo.

Fanny Pigeaud a fort logiquement relayé certaines informations fondamentales pour la compréhension du débat :

Kako Nubukpo était quant à lui l’invité du Journal de l’Afrique, émission de France 24, où il attaquait le Franc CFA en quatre points : une monnaie “économiquement inefficace”, “politiquement illégitime”, “socialement inéquitable” et “historiquement indigne”, et son plaidoyer pour une “sortie organisée” du FCFA le plus rapidement possible. Son discours tourne principalement autour de la notion de dignité et l’aspiration des Africains à la souveraineté.

Le compte @Remyopa publie un thread très remarqué et pédagogique sur ce que sont les réalités historiques et politiques du Franc CFA, une pratique que nous avons relevée plusieurs fois sur d’autres comptes, toujours à charge contre la monnaie.

Si on regarde l’activité sur Facebook des pages politiques, on remarque que sur ce réseau également, Kemi Seba et le LIDER trustent le haut du classement des interactions générées.

Il faut néanmoins noter que le militant panafricaniste Kemi Seba ne parvient pas à mobiliser au-delà de la communauté qu’il a déjà acquise. Ce sujet étant l’une de ses marottes, si ce n’est l’objet principal de son militantisme, on peut supposer que la communauté qui le suit en ligne est déjà sensible à cette question et qu’elle y réagit comme aux autres sujets, mais également qu’il ne réussit pas à porter sa voix auprès d’autres communautés.

Il semblerait que le coup médiatique co-orchestré par Kemi Seba et ses alliés du mouvement 5 étoiles ait porté ses fruits, tout du moins sur le terrain de certains réseaux sociaux africains. Si les comptes du militant panafricaniste semblent ou bien marginalisés dans le débat, sur Twitter, ou bien limités par rapport à leurs performances habituelles, sur Facebook, nous devons néanmoins relativiser ce constat.

Sur Twitter, tout d’abord : le style de communication du militant se prête mal aux pratiques attendues sur la plateforme. Sa rhétorique, tournée vers la harangue qui alterne entre paternalisme, analyse et menace, nécessite un espace textuel plus large que 280 caractères. De plus, sa tendance à partager des liens Facebook n’aide ni le référencement, ni la lisibilité de ses messages. On remarque également que l’écosystème de l’ONG Urgences Panafricanistes est peu développé sur le réseau : l’ONG ne dispose pas d’un compte Twitter en propre, et peu de cadres de l’organisation ont un compte. Sans cet écosystème, il est évident que les messages de Kemi Seba seront moins relayés, voire dilués dans le torrent discursif qu’impose Twitter. De plus, cette absence empêche la diversité des tons, et empêche ainsi de développer un message auprès d’autres individus qui ne seront pas nécessairement sensibles à la rhétorique de Kemi Seba. Enfin, peut-être que ce réseau social n’est tout simplement pas une priorité dans la stratégie de communication de l’ONG.

Sur Facebook, les publications du militant restent à leurs niveaux moyens, mais ne sont pas en reste pour autant par rapport à d’autres pages. Peut-être y a t-il pour l’instant un plafond de verre sur les mobilisations en ligne pour l’ONG, ce qui expliquerait sa transformation progressive en centre idéologique d’une toile de partis politiques.

Les publications faisant écho au Franc cfa sur la page Facebook du LIDER connaissent en revanche un engouement remarquable : les interactions sont quasiment trois fois plus nombreuses qu’en moyenne sur ces publications. Le parti politique ivoirien tire ainsi son épingle du jeu autour de ce sujet sensible et aux enjeux politiques forts.

Dans cette vidéo, par exemple, Mamadou Koulibaly, fondateur du parti et candidat déclaré aux présidentielles de 2020, expose dans un discours cadré ce qu’il considère comme étant les différentes positions politiques sur le sujet du Franc CFA. La vidéo n’épargne bien sûr pas la cible désignée du candidat, le président Ouattara, mais là aussi l’homme politique joue habilement de sa double posture de politique et d’économiste pour développer un discours qui prend pour base le Franc CFA, et qui conclut sur une proposition de politique nationale souveraine.

Mais l’étude de Facebook révèle également deux autres pages politiques qui se sont distinguées durant la période étudiée :

  • Jean-Louis Billon, homme politique ivoirien (PDCI) et ancien ministre du Commerce de la Côte d’Ivoire, obtient des scores d’engagement signifiants relativement à la moyenne de sa page, via l’annonce d’un débat avec le journaliste Tiemoko Antoine Assale le 28 février sur “diverses questions dont le Franc CFA, les élections de 2020 et bien d’autres sujets”. Le live est disponible sur ce lien.
  • Enfin, le politologue Boni Richard Ouorou génère de très forts taux d’engagements dans un post-fleuve revenant sur les intérêts politiciens de l’Italie à déclencher une polémique avec la France sur le sujet Franc CFA, tout en critiquant vertement cette monnaie. Une attaque sous fond de réserve quant à l’opportunité de l’intervention italienne, qu’il n’est pas seul à partager.

Concernant la page UDC, elle a partagé 5 vidéos pour couvrir des activités militantes en France, notamment une action sur le site des Chamalières, où sont imprimés les billets de Franc CFA, ainsi qu’une de série de quatre vidéos où le porte-parole de l’association Mwazulu Diyabanza entend mettre à nu l’hypocrisie de la position française en démontrant l’impossibilité de se livrer à des opérations financières sur le territoire français, ce qui serait contraire au principe de convertibilité du Franc CFA en euros. La série rencontre un certain succès au gré de ses différents épisodes à La Poste ou dans un point de vente Air France, ou au Trésor Public, et révèle une autre forme d’expression dans les discussions : la couverture médiatique d’actions militantes.

Les médias africains, relais de la contestation

Parmi les médias africains, on retrouve des thématiques communes aux posts partagés par les pages politiques. Et c’est encore une vidéo qui réunit de forts taux d’engagement avec cette déclaration filmée du chanteur Alpha Blondy sur l’impossibilité de changer les Francs CFA en euros.

Le Franc CFA est par ailleurs mentionné de manière très intéressante dans un post de SeneActu qui revient sur l’histoire du Parti Socialiste sénégalais. Le post est une interview de l’universitaire Rama Salla Dieng, publié dans le contexte des élections présidentielles au Sénégal de février 2019, qui ne verra pas de candidat socialiste prétendre au poste. Le post tente de répondre à cette absence et décrit un processus de mutation de l’échiquier politique sénégalais, construit sur une polarisation opposant les libéraux aux socialistes. D’après l’universitaire, ce clivage a été remis en question à travers les décennies, du fait de l’application de mesures socialistes par des libéraux, mais également par des prises de décisions libérales par des socialistes : la question du Franc CFA y est traitée entre autres indices de cette transformation : “C’est sous les mandats d’Abdou Diouf [de 1981 à 2000], président pourtant socialiste, que les programmes d’ajustements structurels du FMI seront appliqués, le franc CFA dévalué.”

Manœuvres d’influence militantes et médiatiques

Néanmoins, l’approche par engagements moyens des posts sur le sujet du Franc CFA montre ses limites car elle ne permet pas nécessairement de voir les pages qui ont le plus publié. Le graphique ci-dessous représente les pages dont les engagements moyens cumulés de posts dépassent les mille.

Petite précision méthodologique : il se peut que les données traitées ne correspondent pas aux statistiques actuellement affichées sur les posts relevées. Ceci s’explique notamment par la durée de vie des posts, qui peuvent gagner en engagement, mais aussi parce que nous traitons les posts au moment où ils ont été enregistrés par Visibrain, ce qui peut ne pas comprendre toutes les interactions ayant eu lieu sur Facebook durant notre période. Les chiffres donnés sont donc essentiellement indicatifs.

Ce graphique permet de visualiser quelles pages ont été les plus émettrices de publications. Chaque post contient trois paramètres que nous avons pris en compte : le nombre de commentaires, le nombre de likes et le nombre de partages. Ces paramètres sont représentés chacun par un point de couleur différent. Nous retrouvons des pages déjà analysées : le LIDER, Kemi Seba, etc.

Le graphique permet notamment de voir si les engagements générés par une page sont le fruit de plusieurs posts, donc s’il s’agit d’un activité régulière, ou de quelques messages particulièrement relayés et remarqués.

On remarque que le journaliste Rémy Ngono a énormément publié, notamment un post qui a généré plus de 24 000 partages. Il s’agit d’une vidéo qui relaie une intervention de l’avocat Robert Bourgi, vue plus de 454 601 fois. La vidéo n’est pas présentée comme étant un élément d’actualité, mais un “document exceptionnel à partager absolument” et pour cause : l’avocat y appelle Emmanuel Macron à “suivre le mouvement général du monde” afin d’aider les populations africaines à s’affranchir des “despotes” africains. Dernier post intéressant, mais qui nous fait relativiser l’objectivité de Rémy Ngono, un partage d’un article qui annonce que “L’Afrique se décide enfin de quitter le franc CFA” , accompagné d’un commentaire plutôt engagé en faveur de la sortie du CFA

Mais que serait une conversation politique sans fake news ? Parmi les plus relayées : la France subirait des menaces de la part de la Russie sur le Franc CFA, ou encore le départ de la Guinée équatoriale de la zone CFA. Les deux tweets que nous partageons s’appuient sur des articles d’Africa24.info, un site qui nous a tout l’air d’être hautement spécialisé dans la publication de fake news. Au moins, sa ligne éditoriale a le mérite de la cohérence.

De plus, une autre analyse cartographique révèle deux comptes particulièrement intéressants. La cartographie que nous avons utilisée jusqu’ici montrait les mieux connectés au reste du réseau, les plus visibles.

Cependant, si nous produisons une nouvelle cartographie qui valorise les comptes qui ont le plus interagi avec les autres communautés, deux noms apparaissent en périphérie :

@PKamite3 et @kamaphara, deux comptes créés en février 2019 qui ont brillé par leur activité soutenue durant la période :

@Pkamite3a publié plus de 900 tweets en 7 jours, et partagé de nombreuses vidéos en commentaire de publications de grands comptes.

Petite ironie savoureuse, mais néanmoins digne d’intérêt dans ce contexte, le spammeur aura même publié un de ses commentaires sous une publication de Renaud Camus, théoricien du grand remplacement, sous un post qui, il est vrai, demande à la France de payer sa dette envers l’Afrique.

@kamaphara a publié quant à lui “seulement” 250 tweets mais se montre plus loquace et transparent sur ses intentions :

De plus, ces deux comptes de spammeurs se revendiquent “kamites”, un terme proche de l’univers kémite. Si le terme “kémite” recouvre une quantité de réalités différentes, même si cousines ou liées, et que le présent article n’est pas l’espace idéal pour retracer l’histoire du terme, retenons néanmoins qu’il convoque un univers de pensée où l’histoire des civilisations africaines joue un rôle prépondérant dans la construction identitaire de ceux qui se l’attribuent.

Des contre-discours inexistants, ou presque

Bien que les conversations soient dans l’ensemble dominées par une opposition forte au franc cfa, il se trouve également des utilisateurs suspicieux quant à l’intérêt soudain, et spectaculaire, d’élus italiens issus d’un mouvement populiste européen ouvertement hostile aux flux migratoires en provenance d’Afrique.

Si ces messages doutent de la sincérité italienne, ils n’en constituent pas pour autant des oppositions au fond du discours.

Car il faut dire que les contre-arguments sont assez peu nombreux, et les réactions françaises franchement timides. Sur Twitter, quelques médias tentent de fact-checker des déclarations, mais l’effet escompté tombe légèrement à l’eau.

D’un côté, Libération mobilise son service de fact-checking pour contredire une intox concernant un impôt colonial, sans rien ôter à la critique du Franc CFA. L’intention est louable, mais cela n’aura aucune influence sur l’opinion.

Le Monde Afrique opte pour une approche plus argumentée mais toujours très technique. L’effet sera le même que pour l’article de Libération : les opposants au Franc CFA attaquent l’article dans les commentaires

Du côté des institutions françaises, on remarque une tentative d’apaiser la situation avec une vidéo pédagogique sur le système FCFA. Là encore, le succès est très relatif : la vidéo s’intéresse aux mécaniques institutionnelles de la monnaie mais ne répond pas sur le fond du problème qui semble être une aspiration à l’indépendance vis-à-vis de l’influence française. Les interactions avec les tweets sont principalement des questions-pièges, des procédés maïeutiques, et l’accusation de propagande se fait rapidement entendre en commentaires.

Il faut reconnaître que l’approche du Ministère des Affaires étrangères est maladroite : son format de capsule vidéo ressemble bien trop à un pur produit de studio de communication — trop propre, trop joli, trop “social media” pour avoir l’air d’être autre chose qu’un objet de communication.

Au final, le community manager de la page a dû essuyer un torrent de critiques et se réfugier derrière des liens externes redirigeant vers… le site du Ministère. Il y a pourtant peu de chances qu’un site institutionnel flanqué de symboles tricolores puisse convaincre des internautes africains dont le principal souci est de chasser la France de leur pays. Une certaine impuissance voire une méconnaissance des enjeux à l’œuvre transparaît de ce seul tweet, en découle une impuissance à répondre aux discours tenus.

Dans notre cartographie, le compte @francediplo apparaissait en gris accompagné d’une poignée d’autres comptes gouvernementaux. Ils étaient excentrés, exactement comme un boxeur blotti dans un coin du ring attendant, impuissant, que les coups cessent de pleuvoir : on le remarque, certes, mais il n’impose pas vraiment son tempo.

Pourtant, la plupart des médias étrangers les plus relayés sont des médias français. Hormis une publication de RFI tentant elle aussi l’approche débunkage, et qui se fait également tailler en pièces dans les commentaires, les médias français ont donné la parole aux opposants. Si on regarde leurs statistiques, leurs scores d’engagement explosent.

Les médias français souffrent classiquement en Afrique d’un déficit de confiance, et sont suspectés d’être la voix officielle du quai d’Orsay et des intérêts de la France. De plus, comme toute page Facebook, ils ont un contrôle très limité quant à la modération de leurs commentaires. Ce sont autant d’espaces ouverts que les opposants au FCFA et à la Françafrique s’empressent d’investir pour exposer leurs griefs.

Le sujet prend particulièrement en Côte d’Ivoire et au Sénégal, deux pays aux contextes électoraux particuliers

Le sujet semble avoir suscité l’intérêt de nombreux internautes, ce qui se vérifie notamment sur Facebook où les statistiques des engagements moyens par posts dépassent de manière parfois spectaculaire les engagements moyens des pages analysées.

La Côte d’Ivoire se distingue nettement dans notre article, notamment grâce au candidat-fondateur du LIDER, Mamadou Koulibaly, qui a su s’approprier le sujet tant sur Twitter que sur Facebook, en l’adaptant aux différentes plateformes tout en conservant sa tonalité propre. Les élections présidentielles auront lieu en 2020, et le Franc CFA semble être un sujet d’intérêt pour les internautes ivoiriens.

Le Sénégal se distingue également avec plusieurs publications de divers médias, ou de tweets mentionnant le candidat Ousmane Sonko.

Outre qu’il s’agisse de deux grands pays d’Afrique francophone, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, ils sont également dirigés par deux fervents défenseurs du Franc CFA : Macky Sall et Alassane Ouattara. Ces deux pays sont également agités politiquement par leur agenda électoral, reste ainsi à voir la place que tiendra le sujet du Franc CFA lors des présidentielles ivoiriennes de 2020.

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Afriques Connectées décrypte les phénomènes viraux, identifie les influenceurs & cartographie les communautés en Afrique.