Le marketing de la réalité

Xavier de Fouchécour
Agence Bastille

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L’idée que nous nous faisons du monde résulte de moins en moins de notre expérience directe et de plus en plus de l’impact dans notre esprit de messages ou contenus de communication. Je me fais une idée de la Nouvelle Zélande ou de Tokyo alors que je n’y suis jamais allé. Cette idée, je l’associe à la réalité. La plus grande partie de ce que nous considérons comme le monde réel est en fait une représentation « réaliste » du monde.

L’objet de communication « Nouvelle Zélande » se voit ainsi doté de certains attributs, d’une certaine valorisation, qui résulte de l’inscription dans mon esprit d’informations accumulées, en provenance de canaux médiatiques divers qui m’impactent en permanence : télévision, Internet, presse, affichage, éditions diverses, livre, bouche à oreille, etc.

Comme j’ai plutôt tendance à croire ce que je vois, j’entends ou je lis, et à considérer comme réel ou vrai ce que je crois, ces informations, retraitées par mon esprit, dessinent un monde que je pense vrai ou réel mais qui ne résulte en fait que de l’expérience ou du récit médiatisé d’un autre.

Si je lève la tête dans le café où je suis installé et que je considère le monde qui m’entoure, je l’objective, c’est-à-dire que je le découpe en unités de sens : l’ordinateur devant moi, la tasse de café, la voiture rouge derrière la vitre, le carrelage, la plante verte, la peinture sur la colonne qui me fait face, le garçon qui me sourit, tous objets compris dans un objet plus large, le café et, au-delà, la rue, etc.

Les objets de communication

Le même principe s’applique aux objets de communication. On peut dire qu’est objet de communication tout élément circonscrit faisant l’objet d’une communication de fait ou voulue à laquelle sont associés attributs, valeurs et objectifs : cela peut-être une organisation (entreprise, association, institutions, etc.), un produit, une personne, une idée, un concept, un projet, un événement, etc. Constitué des informations qui lui donnent son sens, un objet de communication est, par définition, toujours immatériel même si ce qu’il désigne ne l’est pas. Ses contours sont souvent flous et fluctuants, délimités notamment par les contours d’autres objets de communication. Plus on cherche à en définir les limites avec précision plus celles-ci semblent se dérober. Nous sommes un peu dans la situation du géographe qui se donnerait comme projet de calculer minutieusement le périmètre de la France et se retrouverait à quatre pattes à mesurer le contour du moindre relief, de la moindre pierre, de la plus petite plante, jusqu’à l’infini. Les objets de communication se perçoivent d’avantage qu’ils ne se mesurent.

Un objet de communication peut toutefois être étudié sous différents angles :

> la réalité à laquelle il se réfère (une organisation, un objet physique, une personne, un fait…),

> les valeurs qui lui sont associées par le media ou le médiatisé,

> les messages qui lui sont associés

> les motivations du medium ou du recepteur

> le média et ses contraintes propres.

Un objet de communication n’existe pas en dehors du medium qui va le désigner comme tel, et du recepteur qui va le réceptionner comme tel.

Pub et média, même combat ?

Promouvoir une lessive ou rendre compte des conséquences d’un tremblement de terre procède du même mécanisme. Dans un cas, l’objet de communication est la marque de lessive, dans l’autre l’événement tremblement de terre. La seule différence — mais elle est essentielle — réside dans les motivations de l’émetteur et l’état d’esprit du récepteur.

Dans le premier cas, la motivation est assez simple à repérer, même si les procédés peuvent se révéler plus ou moins subtils (ou retors) : inciter à l’achat du produit ou du service de cette marque. Dans ce cas, l’émetteur (entité composée de l’annonceur et du support) contrôle le message et sa diffusion. L’inconvénient pour le récepteur, c’est qu’il se voit imposer, sous un enrobage de séduction, le message et son injonction. On excite le désir de posséder, de consommer. L’avantage c’est que la motivation ultime de l’émetteur est sans ambiguité : achetez ! Le « deal » est clair et, paradoxalement, confère à ce type de communication une certaine intégrité.

Le cas du tremblement de terre est plus complexe car les émetteurs — ici les médias — sont multiples et animés par des motivations qui ne le sont pas moins et dont ils n’ont d’ailleurs pas toujours conscience. De plus, des motivations de nature différentes peuvent co-exister dans le même média, lesquelles seront toujours résumées et justifiées par l’impérieuse nécessité d’informer. Pourtant, chacun le sait ou le sent : l’information journalistique a perdu depuis bien longtemps la dimension sacrée de ses débuts. Elle est devenue aujourd’hui un bien de consommation presque comme les autres. Chaque support adapte le traitement de l’information en fonction de ce qu’il sait ou suppose des attentes ou du goût son lectorat, dans une démarche marketing plus ou moins avouée. Cette démarche installe au cœur de la stratégie du support, quel qu’il soit, une réflexion consciente, réaliste ou cynique, sur les choix à opérer et les techniques à adopter pour conquérir de nouveaux clients (ou a minima, par les temps qui courent, ne pas en perdre) conformes à son modèle “idéoconomique”. Le média est donc, pour une part et dans sa niche, habité du même motif que le lessivier : vendre ! La différence c’est que le marketing cohabite mal avec l’idéal journalistique et le principe d’objectivité que l’on attend (encore ?) d’une information. La plupart du temps, le média escamote donc ce motif intéressé derrière celui, plus noble, d’informer dans une posture qui se révèle, au bout du compte, paradoxalement plus opaque et ambiguë que celle du lessivier.

Valoriser : accorder de la valeur à quelque chose.

La manière dont les informations me parviennent détermine leur valeur. On peut même dire qu’à partir du moment où il y a information, il y a valorisation, puisque c’est notre capacité à valoriser qui fait émerger l’information de l’indifférenciation du monde. Ma tasse de café existe à mes yeux parce que je lui donne la valeur d’usage « tasse de café », à laquelle s’ajoute toutes les valeurs émotionnelles liées par exemple à l’ingurgitation d’un petit noir au vortex onctueux dans un café parisien, un gris matin de pluie (mais pourquoi les cafés des cafés sont-ils si souvent infects ?). Une blatte qui courrait sur le formica de la table et s’immobiliserait à quelques centimètres de ma tasse de café considèrerait le même objet que moi. Mais pas la même réalité : sa grille de valorisation diffère en effet de la mienne sur quelques points considérables (quoique, sur les fondamentaux, par sûr que cela soit si différent…).

Valoriser c’est accorder de la valeur à quelque chose, quelqu’un ou quelque fait. A partir du moment où je détache, découpe, circonscrit, différencie avec mes sens et mon cerveau un bout de réel, je lui accorde une certaine valeur. Ce bout de réel devient potentiellement une information, donc un objet de communication. Dans le monde représenté/médiatisé, l’objet de communication porte donc en lui une certaine valorisation, déterminée par celui qui le médiatise. Parmi les valeurs accordées à l’objet de communication, figure celle de sa communicabilité.

Tous les objets de communication, pour me parvenir, doivent passer par le filtre des médias et des “médiateurs” qui me les apportent. Ces filtres — qui sont en fait des grilles de valorisations — sont de toutes natures, déterminés par les motivations idéologiques et la stratégie marketing du support, et par ses limites intrinsèques : UX du multimedia, nombre de pages pour un support papier, fil de la linéarité temporelle pour les média audio visuel, etc. Ne vont passer dans leur entonnoir que les objets de communication que les médiateurs jugeront les plus pertinents au regard de ces critères.

Tous ces critères de sélection vont conférer à l’objet de communication (ici l’information) une valeur liée à sa faculté à la médiatisation. Appelons cette valeur, l’indice de communicabilité.

Au regard de l’émetteur, chaque objet de communication dispose d’un certain indice de communicabilité. Plus cet indice est haut, plus l’objet de communication aura des chances d’être sélectionné par l’émetteur et de me parvenir. Plus l’indice est faible, plus il sera ignoré.

La communication comme facteur d’exclusion.

Dans notre société où le monde représenté/médiatisé prend dans nos esprits une place de plus en plus importante, il y a une injonction à communiquer pour exister. Un territoire, un produit, une société, une initiative, un projet, un événement de plus en plus, n’existent que par leur capacité à être visible. La communicabilité d’un objet de communication — sa capacité à impacter le récepteur selon l’estimation de l’émetteur — devient, comme nous l’avons vu, une valeur, si ce n’est parfois, la valeur de sélection. Cette communicabilité devient alors le critère majeur de la représentation du monde.

Des pans entiers de la réalité sont ainsi exclus de son champ pour la simple raison que leur indice de communicabilité est faible.

L’exigence de communication qu’impose le monde médiatisé devient alors facteur d’exclusion.

Une part importante de la représentation que nous avons du monde provient, par définition, des mass media. Pour s’adresser au plus grand nombre, les informations doivent avoir un indice de communicabilité particulièrement élevé. Dans la mesure où les mass média déterminent auprès du plus grand nombre la plus grande part du monde représenté, il est intéressant de tenter d’étudier les critères qui déterminent un bon indice de communicabilité.

Les critères d’un bon indice de communicabilité

Les limites spatiales et temporelles propres aux médias traditionnels, et leur modèle économique qui leur imposent la plupart du temps de s’adresser au plus grand nombre (dans leur segment de marché), déterminent un tropisme dans leur grille de valorisation d’un objet de communication. Parmi les critères les plus évidents :

  • pas trop compliqué (plus petite compréhension commune),
  • pas trop long (le temps et l’espace ont une valeur),
  • générateur d’images et/ou de sons,
  • chargé émotionnellement.
  • Un autre critère mérite une attention particulière : le mimétisme. Par un effet d’entraînement, un objet de communication verra son indice de communicabilité s’accroître d’autant plus que sa communicabilité aura au préalable fait ses preuves dans un autre média. L’objet acquiert ainsi une partie de sa valeur et de sa communicabilité (son capital de visibilité dirait Nathalie Heinich) dans le seul fait de sa médiatisation par un autre. L’information sur un événement devient elle-même un événement. « Tout le monde en parle » = « on ne peut pas ne pas en parler ».

Obtenir un bon indice de communicabilité est désormais devenu une technique qui s’enseigne comme en témoigne les innombrables articles sur le sujet ici même dans Medium.

(à suivre)

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Xavier de Fouchécour
Agence Bastille

Directeur associé de @agencebastille, agence conseil en compublique et d’intérêt général/Co-fondateur de @Publidata_io, plateforme SaaS pour les collectivités