Duru
Agricultures positives
6 min readApr 30, 2017

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Agroécologie : démystifier pour démythifier, et avancer

La croissance démographique mondiale, qui laisse présager entre 9 et 10 milliards d’habitants vers 2050, nécessite de poursuivre la recherche d’une augmentation des volumes de production des denrées agricoles à l’échelle mondiale.

Toutefois, l’application quasi exclusive ces 50 dernières années, d’un paradigme industriel à la production agricole, caractérisée alors par une forte dépendance aux intrants de synthèse, coûteux en énergie, ayant porté des atteintes significatives à l’environnement et présentant pour certains des effets délétères avérés sur la santé humaine, doit aujourd’hui laisser place à la conduite de systèmes, toujours productifs, plus autonomes et donc plus économes en intrants.

Cet objectif ne peut être atteint que par un recours fortement accentué à des processus écologiques, actuellement très peu mobilisés dans les systèmes conventionnels, aboutissant à des services écosystémiques générés par une gestion adaptée des composantes biotiques et abiotiques des agroécosystèmes. Au premier rang de ces composantes figure la biodiversité fonctionnelle dont une meilleure connaissance et une meilleure maîtrise devraient permettre la transition agroécologique des systèmes de production actuels. Cet objectif agroécologique est une nécessité dans de nombreux pays, qui visent une meilleure sécurité alimentaire pour certains, environnementale et sanitaire pour d’autres. Elle n’est pas une utopie au vu de réalisations bien documentées pour certaines menées dans des pays du Sud, ou moins bien pour d’autres, en grande partie portées par des agriculteurs innovants des pays tempérés comme la France.

Il est important à ce stade de bien considérer le caractère totalement compatible d’un recours conjoint, et probablement souhaitable, au moins dans les premières étapes de la transition si la fertilité du sol notamment est insuffisante, aux techniques conventionnelles basées sur des intrants de synthèse, et à celles issues du paradigme agroécologique. L’agroécologie a cela de particulier, qu’elle ne peut être revendiquée en exclusivité par aucune mouvance, école, obédience que ce soit. Elle transcende les clivages partisans par la transversalité de ses préceptes, de ses leviers et de ses finalités. La science biotechnique elle-même ne peut se targuer d’en être la seule dépositaire puisque des mouvements sociaux s’en emparent et la portent en objet politique, puisque des paysans et agriculteurs du monde entier la pratiquent peu ou prou, en réalité depuis toujours. En effet, l’agroécologie est la science, la revendication sociale et la pratique d’une agriculture couplée à ses secteurs connexes amonts (approvisionnements, conseil) et avals (système alimentaire), respectant et valorisant au mieux les potentialités naturelles et compétences humaines d’un territoire, et satisfaisant ses attentes sociétales. Ainsi, de nombreuses formes d’agriculture, organisations professionnelles ou sociales, techniques ou même de simples notions et approches se disent ou sont dites relever de, être solidaires de ou associées à l’agroécologie, comme par exemple l’agriculture biologique, l’agriculture durable, l’agriculture intégrée, l’agriculture de conservation, l’agriculture à haute valeur environnementale, l’agriculture écologiquement intensive, les AMAP, le savoir paysan, la permaculture, les GIEE, la sélection participative… Cela est compréhensible et illustre bien la transversalité et le caractère polysémique du terme, et ne doit en aucun cas être perçu négativement comme le signe d’imprécision et d’imperfection d’un concept éphémère trop vite médiatisé. Tout au plus, cela est-il le signe de l’immaturité de son positionnement dans le paysage agricole et agronomique, dans le discours socio-politique comme dans la sphère scientifique.

Cette diversité de dimensions et donc d’acceptions, se double sur un plan biotechnique d’une ambigüité de la notion de « processus agroécologiques […] aboutissant à des services écosystémiques » évoquée ci-dessus. Le recours à des intrants industriels de nature ou d’origine biologique, tels que ceux qui vont apporter au système des agents de biocontrôle (insectes, microorganismes…) de bioagresseurs, ou des éléments minéraux ou molécules organiques à action physiologique sur la plante cultivée (correction d’une carence, stimulation des réactions de défense immunitaire…), sont certes potentiellement utiles et bénéfiques à la culture mais ne relèvent d’aucune gestion spécifique des composantes intrinsèques des agroécosystèmes visant à générer des services écosystémiques de nature à réduire la dépendance aux intrants, puisque ils en sont eux-mêmes. Ils constituent ce que d’aucuns qualifient de « faible modernisation écologique de l’agriculture » ou « faible agroécologisation », qui consiste à substituer certains intrants industriels de synthèse, à forts impacts négatifs sur l’environnement et l’homme, par d’autres intrants industriels dits ‘verts’. Loin d’être à rejeter, cette faible agroécologisation peut être une étape vers l’adoption d’une posture autre, celle de la « forte modernisation écologique de l’agriculture » ou « forte agroécologisation », visant une reconception de l’agroécosystème pour instaurer un fonctionnement nouveau de ce dernier, apte à générer des services écosystémiques arrivant au moins partiellement en lieu et fonction des intrants industriels. Ces deux postures différentes de la modernisation écologique de l‘agriculture montrent bien le gradient d’évolution de l’agriculture, touchant d’abord à l’itinéraire puis au système, à partir de celle qui consiste, dans un souci de protection de l’environnement comme de compétitivité économique, à ‘simplement’ améliorer l’efficience des intrants industriels majoritairement utilisés aujourd’hui.

En matière de protection des cultures, l’amélioration de l’efficience des produits phytosanitaires correspond aux bonnes pratiques phytosanitaires dans le cadre de la lutte raisonnée contre les bioagresseurs. Elle comprend toute la panoplie des techniques et technologies de modélisation, de diagnostic, de traitement et de suivi des bioagresseurs. Elle représente encore aujourd’hui la principale approche mobilisée, même si elle l’est souvent plus ou moins en combinaison avec les deux autres. Ainsi, la substitution des produits phytosanitaires par des produits (micro)biologiques, d’origine (micro)biologique ou analogues, encore peu utilisée en grandes cultures contrairement aux cultures pérennes et spécialisées, connaît actuellement de forts développements pour favoriser notamment les défenses naturelles des plantes. La plus connue des innovations visant une substitution (toute relative) des produits phytosanitaires, est celle des biotechnologies végétales que l’on sait bien être encalminées en France dans un contexte sociétal et réglementaire pour le moins non propice à leur développement. Loin de sous-estimer les avancées réalisées tout au long des dernières décennies dans ces deux précédentes approches, des limites se dressent face à leur utilisation massive et a fortiori exclusive : coût, pertes d’efficacité, résistances, risques sanitaires, pollutions environnementales, bioagresseurs iatrogènes… Une autre approche, pas vraiment nouvelle, plutôt renouvelée, s’impose peu à peu comme une alternative non pas exclusive mais complémentaire des précédentes : la conception de systèmes moins vulnérables aux bioagresseurs car plus résistants, plus résilients grâce à leur plus grande complexité biologique lato sensu (génétique, physiologique, phénotypique, écologique…) aux diverses échelles spatiales et temporelles, générant de nombreuses régulations biologiques. Il ne faut pas tout attendre de ces dernières, et l’agriculteur, qui doit ajouter à ses compétences celles permettant de les favoriser au mieux en tout lieu et en tout temps de son agroécosystème, doit également (réapprendre à) recourir aux pratiques et principes agronomiques, parfois délaissés depuis longtemps, permettant soit de prévenir soit de lutter, sans intrants industriels, contre les ennemis des cultures. Cette approche agroécologique, ne peut pas régler tous les problèmes bien évidemment. Elle peut néanmoins fortement limiter leur nombre et leur ampleur, et rendre ainsi plus aisées, plus réalistes et plus durables les stratégies à base industrielle. Des preuves encourageantes, issues de la science comme du terrain, s’accumulent, dans le domaine zoologique surtout mais pas seulement, phytopathologique et malherbologique également, même si ce dernier est bien le domaine dans lequel les régulations biologiques semblent être les plus difficilement perceptibles. Mais fort heureusement, contre les mauvaises herbes comme contre les pathogènes et les ravageurs, l’Agronomie nous invite à revisiter ses fortes potentialités, qu’il nous faut apprendre à combiner au mieux avec les régulations biologiques délivrés par la biodiversité et avec les intrants, les moins néfastes possible pour l’environnement.

Jean-Pierre SARTHOU1, Michel DURU2, Olivier THEROND2

1 — INP-ENSAT UMR AGIR BP 52627 31326 Castanet-Tolosan cedex

2 — INRA UMR AGIR BP 52627 31326 Castanet-Tolosan cedex

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