Analyse de modèles d’agriculture biodiversifiés au prisme de la santé des écosystèmes et des Hommes

Duru
Agricultures positives
18 min readAug 5, 2019

Article technique à destination d’un public engagé dans la refondation de l’agriculture au sein des systèmes alimentaires

Pour faire face aux défis interconnectés tels que le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, le développement des maladies chroniques de nouveaux modèles d’agriculture se développent. Nous comparons ici les forces et le faiblesses de quatre modèles d’agriculture : agriculture biologique (AB, ni engrais ni de biocides de synthèse), agriculture de conservation des sols (ACS, rotation longue, couverture permanente du sol, arrêt du labour voire suppression de tout travail du sol), agriculture paysanne (AP : agriculture autonome et économe à bas niveau d’intrants) et la marque Bleu Blanc Cœur (BBC : animaux complémentés avec du lin pour une haute valeur nutritionnelle des produits animaux et un apport en protéines issues de légumineuses cultivées en France). En ayant ou recherchant une traçabilité pour les consommateurs, ces modèles s’inscrivent dans la transition agroécologique des systèmes alimentaires. Ils visent une l’amélioration des différents domaines de santé (sols, plantes, animaux, écosystèmes, planète, Hommes) via la mobilisation de leviers différents relevant soit de l’augmentation des services écosystémiques, du bouclage des cycles biogéochimiques ou de la modification des modes transformations et distribution des aliments. Cependant, aucun des quatre modèles ne fait référence explicitement à l’intérêt d’un paysage biodiversifié pour développer les services ou de la réduction des produits animaux pour réduire l’empreinte environnementale des systèmes alimentaires. L’AB et BBC ont un effet bénéfique démontré sur la santé humaine. L’AP est fortement engagée dans des projets de relocalisation alimentaire, en vente directe ou en circuits courts de distribution. L’ACS vise le développement des services écosystémiques liés à un sol en bonne santé ; elle est en voie de proposer un label. L’hybridation de ces modèles, inscrit dans une dynamique de progrès, pourrait permettre de combiner les forces de chacun d’eux.

Revoir notre système alimentaire au prisme de la santé

L’agriculture est au cœur des défis interconnectés du changement climatique, de la conservation de l’environnement et de la biodiversité, de la sécurité alimentaire et du développement des maladies chroniques liées à l’alimentation. Il est maintenant admis que pour faire face à ces enjeux il est nécessaire de mettre en oeuvre des changements systémiques et radicaux dans l’agriculture, mais aussi dans notre alimentation. Par exemple, pour atteindre l’objectif de zéro émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050, le stockage du carbone dans les sols ou de réduction des émissions par augmentation de l’efficience des intrants ou un changement de notre régime alimentaire via un rééquilibrage important entre protéines végétales et animales ne suffiront pas si considérées isolément. Face à des enjeux interconnectés, raisonner « en silo » présente deux risques : réduire un impact mais en amplifier un autre et ne pas prendre en compte les synergies, à savoir qu’une même mesure peut permettre de réduire plusieurs impacts à la fois. Par exemple, pour que les changements en agriculture et dans l’alimentation soient cohérents et se stimulent, il est nécessaire que les consommateurs aient connaissance des conditions de production ou à leur effet sur l’environnement et la qualité des produits.

Pour répondre à ces enjeux, il est souvent mis en avant la nécessité de changer de modèles d’agriculture. De nombreuses initiatives, plus ou moins institutionnalisées, existent en la matière. Ci-après, nous caractérisons quatre modèles d’agriculture qui font référence à l’agroécologie pour atténuer et réduire les changements climatiques, réduire les impacts environnementaux et fournir des produits de qualité au consommateur. Ils se distinguent d’autres modèles d’agriculture par le fait qu’ils reposent à des degrés divers sur la biodiversité pour réduire ou supprimer tout ou partie des intrants de synthèse. Ils ont aussi le souci d’informer le consommateur de l’intérêt des modes de production choisis pour l’environnement et la santé. Ils s’inscrivent ainsi dans la volonté d’être support d’une « transition agroécologique » des systèmes alimentaires.

Afin d’appréhender de manière systémique les systèmes alimentaires en termes de relations entre l’état et le fonctionnement des écosystèmes, les flux de matière et d’énergie et les conditions de vie des Hommes et des animaux, nous avons précédemment proposé le concept intégrateur de « santé unique ». Le cadre d’analyse associé permet d’articuler trois principes pour atteindre un bon état de santé des écosystèmes et des hommes tout en limitant l’usage d’intrants en agriculture et de médicaments pour les animaux et les hommes : i) développer la fourniture des services écosystémiques à partir de pratiques agricoles promouvant la biodiversité, ii) boucler les cycles biogéochimiques en promouvant des économies circulaires locales au sein des territoires plutôt que des échanges commerciaux massifs d’intrants et de produits agricoles entre continents et régions, et iii) assurer l’accès à une alimentation suffisante, saine et équilibrée par des modes de transformation et distribution appropriés. La représentation holistique proposée vise à : (i) identifier les antagonismes ou synergies et les co-bénéfices qui sont le fait de systèmes de production et de chaînes d’approvisionnement complexes ; (ii) identifier des leviers d’action non considérés dont la mise en œuvre augmenterait la gamme de services fournis ou la cohérence des différents maillons du système alimentaire ; (iii) promouvoir une gestion et une gouvernance intégrées. On parle de nexus car les écosystèmes, l’agriculture et l’alimentation constituent un nœud complexe au centre d’un écheveau de causes et d’effets dominos potentiels.

Après avoir caractérisé les quatre modèles d’agriculture, nous les analysons au prisme de la santé unique pour discuter de leurs atouts et limites.

Quatre modèles d’agriculture biodiversifiés

Les quatre modèles d’agriculture choisis reposent sur des principes qui leur sont spécifiques : pas d’engrais ni de biocides de synthèse en agriculture biologique (AB) ; systèmes de production autonomes et économes pour l’agriculture paysanne (AP) ; triptyque couverture permanente du sol, rotation de cultures et arrêt du travail du sol pour l’agriculture de conservation des sols (ACS) ; apport de lin et de protéines provenant de légumineuses cultivées en France pour la marque Bleu Blanc Cœur (BBC). Ces principes sont accompagnés d’un cahier des charges avec obligations de moyens (AB, BBC, AP) voire de résultats (BBC), ou bien sont en recherche pour le faire (ACS) via des labels existants (Haute Valeur Environnementale : HVE), en cours de définition (label bas carbone pour l’agriculture) ou à définir (Agriculture du vivant). Dans tous les cas, une réduction d’impacts environnementaux par rapport à une agriculture conventionnelle est recherchée : moindre atteinte à la biodiversité, moindres pollutions pour l’AB et l’AP, moindres émissions de GES et non contribution à la déforestation suite à la non utilisation du soja importée pour BBC, moindre émissions de GES et stockage de carbone en ACS.

Le sol est toujours évoqué, soit en termes de biodiversité (ACS), de santé (AB) ou de diversité d’occupation (AP, BBC) pour fournir plus de services écosystémiques qu’un système intensif de référence ayant une productivité élevée mais où la vie du sol est réduite, les apports de ressources et les pertes d’éléments élevés du fait d’un faible taux de processus de régulation internes (fig 1a). Cependant, on distingue deux cas de figure selon qu’il est recherché l’atteinte du potentiel de production permis par le sol, le climat et la génétique (BBC et ACS : fig 1b) ou non (AB, AP : fig 1c). Les deux systèmes à bas niveau d’intrants (AB, AP) se caractérisent par de faibles entrées et, le plus souvent, de pollutions, un taux élevé de processus de régulations et recyclage internes mais une productivité plus faible que le système de référence. Pour l’AB, il est admis que les rendements en production végétales sont de — 20% surtout du fait d’une déficience en azote et d’une difficulté à réguler les adventices. De façon générale, la productivité de ces systèmes est améliorée lorsqu’ils sont basés sur des rotations diversifiées et des pratiques favorables au bouclage des cycles des minéraux (ex. couvert intermédiaire, intégration entre culture et élevage). Moyennant des apports modérés en ressources et un taux élevé de processus de régulation interne, il est possible d’atteindre une productivité relativement élevée tout en réduisant les pertes en éléments nutritifs. Dans la même logique, il est montré qu’en ACS les performances sont similaires à celles de l’agriculture conventionnelle lorsque les trois piliers (rotation diversifiée, couverture du sol, non labour) sont activés. On parle alors d’éco-intensification ou d’agriculture écologiquement intensive.

Fig 1 Représentation schématique de deux voies d’intensification écologique par la biodiversité dans le sol (adapté de Bender et al 2016)

Les flèches jaunes indiquent la relation entre les apports de ressources, les pertes et les processus de régulations internes effectués par la biodiversité du sol (indiqué par les formes colorées dans le sol) et l’intensité de la gestion.

Les technologies de l’agriculture et de l’élevage de précision permettent de réduire les flux intrants et sortants du système de référence sans diminuer les rendements, et le remplacement des intrants de synthèse par des intrants organiques permet de réduire l’émission de contaminants dans l’eau et dans l’air (non représenté).

Concernant l’élevage, le lien au sol est soit consubstantiel au niveau de la ferme (AB, AP) ou du territoire (AB, AP, BBC) ou conseillé (ACS). Cela suppose que : (i) tous les animaux ont accès à des parcours extérieurs aux bâtiments (monogastriques) (AB), (ii) les ruminants pâturent dès que les conditions le permettent (AB, AP), (iii) une partie importante de l’alimentation animale provient de l’exploitation ou de la région, notamment pour les protéines animales (AB, AP, BBC). Il est également important que le stockage et recyclage des effluents soient pensés pour minimiser les pertes et les transferts de fertilité entre parcelles. A l’image des effets des rotations de cultures diversifiées, à l’échelle de l’animal, la diversification des apports alimentaires peut permettre d’atteindre des performances zootechniques et environnementales plus élevées : amélioration de la teneur en acides gras d’intérêt dans les produits animaux et réduction des émissions de gaz à effet de serre par apport de lin, renforcement de l’autonomie en protéines par traitement de graines de légumineuses pour favoriser leur digestibilité (BBC). En AP et en AB, des temps de croissance des animaux plus longs augmentent les émissions de GES rapportées au kg de produit. L’accès à un parcours (monogastriques) et la maximisation du pâturage (ruminants) conduisent souvent à réduire les performances zootechniques mais abaissent beaucoup les coûts de production (sauf si achat d’aliment en AB) du fait d’une approche holistique du système sol-plante-animal. Ainsi, il est montré une meilleure santé animale, du fait d’une alimentation généralement plus diversifiée issue d’un sol riche en microorganismes (AB et probablement en AP) ou de l’apport de lin (BBC) qui renforçent le rôle protecteur du microbiote intestinal vis à vis des bioagresseurs ou réduisent le risque de dysbiose intestinale.

Ces modèles d’agriculture s’inscrivent aussi dans le développement de systèmes alimentaires plus durables, soit en mentionnant un bénéfice santé des produits qui en sont issus : plus faibles résidus de pesticides et meilleure teneur en certains micronutriments en AB, fort enrichissement de la teneur en omega 3 des produits animaux (BBC), soit en promouvant des systèmes alimentaires territorialisés basés sur la re-connection des acteurs afin de sortir de la dualité producteurs-consommateurs (AP).

Évaluation des modèles d’agriculture au prisme de la santé unique

Utilisation des sols et gestion de la biomasse pour fournir des services écosystémiques

L’enjeu est de mettre en œuvre des pratiques aux échelles de la parcelle et du paysage pour contribuer à la santé du sol, des plantes et des animaux et plus largement des écosystèmes. A l’échelle de la parcelle, les leviers portent sur les successions de culture (y c. cultures associées, intercultures et agroforesterie), une gestion raisonnée des intrants au regard de leur effet sur la biodiversité support des services (fertilisants, pesticides, aliments pour les animaux), et les restitutions de végétaux au sol.

Les quatre modèles d’agriculture ont en commun la diversification des cultures en particulier par les légumineuses, ce qui permet de réduire les émissions de GES au champ et en amont du fait d’une moindre consommation d’engrais azotée fort émetteur de gaz à effet de serre lors de leur fabrication. Plus généralement, l’allongement des rotations (AB, ACS et AP) est un principe de base en agronomie pour réduire la plupart des intrants du fait d’une meilleure acquisition par les plantes des ressources disponibles ou d’une moindre sensibilité aux maladies. Les associations de culture particulièrement présentes en AP et en AB sont aussi un levier de diversification très efficace pour développer les services de fournitures en nutriments et de régulation biologiques dans les systèmes à faible niveau d’intrant. L’introduction de légumineuses dans les rotations, les couverts et les associations sont un levier majeur pour augmenter le service de fourniture en azote, mais aussi en phosphore. Il s’ensuit une plus grande fourniture de services en comparaison de systèmes moins biodiversifiés (tableau 1). La spécificité de l’ACS est de fournir un haut niveau de service de stabilisation des sols et donc une réduction du risque d’érosion via la mise en place d’une couverture permanente et, dans une moindre mesure, la réduction du travail du sol. Le choix de couverts végétaux et la réduction du travail du sol permettent aussi de développer la biodiversité du sol support d’autres services tels que la structuration du sol et le stockage et la restitution d’eau (fertilité physique), la solubilisation de nutriments comme le phosphore (fertilité chimique). Plus généralement, ces modèles d’agriculture sont basés sur des boucles de renforcement entre biodiversité aérienne et souterraine et services associés. L’état organique des sols est un des piliers du fonctionnement de ces boucles de rétroactions positives.

Tableau 1 Leviers pour la fourniture de SE et le renforcement de l’autonomie des EA à différentes échelles

Alors que la santé du sol suppose une teneur minimale en matière organique qui est fonction de sa teneur en argile, aucun des quatre modèles d’agriculture n’a ce critère dans son cahier des charges. Pour l’ACS, c’est toutefois implicite, puisque l’objectif de la couverture permanente du sol et du non labour est, entre autres, d’augmenter fortement les entrées de carbone au sol et d’en limiter les sorties. L’AB, l’AP et BBC ne mentionnent rien de précis relativement à l’état organique des sols. Cependant, pour l’AP et l’AB, la réduction ou la non utilisation des pesticides ou d’engrais de synthèse acidifiant les sols tendent à accroître la biodiversité dans le sol et permettent donc une meilleure fertilité biologique des sols. Pour l’ACS, les rotations et le non travail du sol, la diversité des couverts tendent aussi à accroître la biodiversité dans le sol, mais l’utilisation des pesticides peut limiter le développement de cette biodiversité ou l’expression de ses fonctionnalités.

A une échelle plus large, les leviers pour fournir des services écosystémiques portent sur les infrastructures et la mosaïque paysagères, ainsi que de développement des interactions entre culture et élevage de l’échelle de la parcelle à celle de groupes d’exploitations ou du territoire. L’AP et l’AB mentionnent l’intérêt d’associer culture et élevage au sein des exploitations ou de petits territoires. Toutefois, dans aucun des quatre modèles il n’est fait état de l’intérêt d’une mosaïque paysagère configurée pour fournir des services écosystémiques.

Gestion des flux de matières et d’énergie pour boucler les cycles biogéochimiques

Les systèmes agricoles conventionnels sont le plus souvent inscrits dans des systèmes alimentaires mondiaux organisés de manière linéaire : les filières amont (ex. production de soja aux Amériques) sont déconnectées des filières avales (ex. élevage et consommation en Europe). Elles induisent une consommation des ressources et des impacts sur l’environnement très importants (ex. déforestation, eutrophisation des masses d’eau, santé humaine). Boucler les cycles biogéochimiques nécessite d’organiser une économie circulaire à l’échelle locale voire de l’exploitation agricole. Il est alors question de développer l’autonomie à l’échelle locale.

Ces principes d’économie circulaire et d’autonomie ne sont pas au cœur de l’AB et l’ACS. Pour BBC où un des enjeux est de s’affranchir du tourteau de soja, presque toujours OGM et souvent issu de la déforestation, cultiver des légumineuses en France participe au bouclage des cycles à cette échelle. L’AP est fortement engagée dans des projets de relocalisation alimentaire, en vente directe ou en circuits courts de distribution, avec des paysans et des habitants. Le développement de ce type de systèmes alimentaires territorialisés permettrait une diversification des productions et nécessite de repenser les filières du champ à l’assiette, et donc de redonner leur place aux unités de transformation et de distribution locales. Pour chacun des modèles, une grande diversité de systèmes existe, certains s’engageant dans des économies circulaires pour échanger et recycler des produits au sein des territoires. Ces pratiques s’observent le plus souvent en AB ou AP pour réduire fortement les charges ou aussi pour des raisons éthiques. Dans tous ces modèles, les effets négatifs de l’élevage en terme de découplage des cycles biogéochimiques (azote, carbone, phosphore) et d’émissions dans l’eau et l’air peut être limité via une forte intégration spatiotemporelle des ateliers de culture et d’élevage.

Transformation, distribution et information pour accès à une alimentation suffisante, saine et équilibrée

Une alimentation basée sur une dominante de protéines végétales (2/3), riche en micronutriments (peu de produits ultra-transformés) et pauvre en contaminants, se rapprochant d’un régime de type méditerranéen, constitue le prototype d’une alimentation saine et durable. Si dans les pays occidentaux, il y a peu de risques sanitaires, le régime alimentaire courant n’est pas bon pour la santé du fait d’un excès de consommation de produits ultra transformés (calories vides) ou contenant des contaminants, d’un déficit en produits peu raffinés, en fruits et légumes, et d’un déficit élevé en micronutriments, notamment les omega-3. Concernant les produits peu ou pas transformés, l’AB se distingue par une plus faible teneur en résidus de pesticides et, dans une moindre mesure, d’une plus grande teneur en certains micronutriments. BBC se distingue par une teneur en omega 3 des produits animaux 2 à 4 fois supérieure à un régime courant et une légère diminution en omega 6 et en acides gras saturés. En ACS, une plus grande abondance de mycorhize sen lien avec l’arrêt du labour est susceptible de conduire à des produits ayant une meilleure teneur en certains micro nutriments comme cela a été montré pour les fruits et légumes.

Les plus forts consommateurs de produits AB auraient un risque de syndrome métabolique plus faible et un moindre risque d’être atteint de certains cancers. Cependant, ce régime alimentaire est un peu plus couteux. Toutefois, un régime à haute qualité nutritionnelle, mais sans être AB, n’est pas forcément plus coûteux.

Un régime alimentaire où les produits animaux sont estampillés BBC permet de réduire efficacement l’écart entre consommation réelle et apports conseillés en acides gras. Un menu BBC permet de contribuer en moyenne à hauteur de 41 % à la réduction des écarts entre les apports d’un menu standard par exemple plus 0.8 g/j pour les omega 3, soit 48,2 %. Une telle différence est susceptible de réduire les risques de maladies chroniques. En outre, un tel régime diminue légèrement certains impacts environnementaux.

L’ACS souhaiterait une labellisation des produits qui en sont issus. En l’état des connaissances actuelles, il n’est cependant pas possible de démontrer une meilleure valeur nutritive. Il faudrait alors baser le label sur la réduction de certains impacts environnementaux comme la réduction des émissions nettes de GES.

L’AP s’engage dans des projets de reterritorialisation des systèmes alimentaires afin de permettent un meilleur accès à une alimentation de qualité pour tous, la consolidation d’activités rurales non délocalisables, une adéquation entre la production et les besoins alimentaires qui limite la concurrence et favorise la coopération entre paysans. En ce sens, elle s’appuie sur une vision holistique du système alimentaire en considérant à la fois les façons de produire, la qualité des produits et l’accès au plus grand nombre de ces produits au travers de relations directes entre producteurs et consommateurs.

Pour toutes les formes d’agriculture, le principal levier de réduction de l’empreinte environnementale des régimes alimentaires est une réduction de la consommation de protéines animales qui permet, par exemple, à la fois une réduction des besoins en terre et des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, aucun des quatre modèles d’agriculture ne met explicitement en avant la réduction de la consommation de protéines animales pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Singularités et perspectives d’évolution

Comparaison à d’autres modèles d’agriculture

D’autres modèles d’agriculture, basés sur des signes de qualité, existent. Par exemple, le Label Rouge est un signe national qui désigne des produits qui, par leurs conditions de production ou de fabrication, ont un niveau de qualité supérieur par rapport aux autres produits similaires habituellement commercialisés. La qualité supérieure repose sur : des conditions de production, l’image du produit au regard de ses conditions de production, les éléments de présentation ou de service. Les Appellations d’Origine (ex. AOP) sont fondées sur la notion de terroir de production, c.-à-d. une zone géographique particulière où coexistent des interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains (savoir-faire). Compte tenu de la grande diversité des signes de qualité et des formes d’agriculture, il serait aussi nécessaire pour chacun d’eux d’analyser leurs fonctionnement et effets au prisme de la santé unique.

D’autres formes d’agriculture se développe en cherchant à réduire leur impact sur l’environnement via l’augmentation de l’efficience et la réduction de l’utilisation des intrants de synthèse (ex. agriculture de précision). Les quatre modèles se distinguent des formes d’agriculture basées principalement sur l’augmentation de l’efficience des intrants car :

- Ils considèrent un plus grand nombre de critères de performances pour l’environnement et de domaines de performances (plus d’attention au bien-être animal, à la santé humaine et au développement rural) ; ces spécificités étant inscrites dans des cahiers des charges, des chartes ou basées sur des principes qui traduisent un changement de paradigme par rapport à une forme d’agriculture visant uniquement à réduire son impact sur l’environnement ;

- Considérant ces critères de performances, ils s’inscrivent dans une voie de progrès pour adapter les pratiques (ACS, AP, BBC) afin soit de mobiliser plus les processus écologiques du système sol-plante (AB, ACS, AP) ou/et liés à la physiologie de l’animal (BBC). Pour l’ACS, un des enjeux majeurs actuels est de réduire et si possible supprimer la plupart des pesticides, au fur et à mesure que la santé du sol s’améliore, en relation avec une moindre sensibilité des plantes aux parasites et aux maladies. Reste le problème délicat de la gestion des adventices et de la destruction des couverts que les formes d’ACS les plus abouties parviennent à contrôler. La mise en oeuvre du pâturage des couverts, de l’agroforesterie ou la maîtrise du potentiel rédox du sol permettent de faire s’exprimer le maximum de services écosystémiques par la santé du sol ;

- L’objectif d’une information auprès des consommateurs quant « aux plus » du modèle d’agriculture est toujours présent, soit au travers d’un signe de qualité reconnu et validé (BBC, AB), soit au travers d’une relation de proximité avec une dimension de justice sociale (AP), soit via une recherche de label (ACS).

Atouts et limites en termes de gestion et de gouvernance

Le contexte général de forte demande de qualité de produits agricoles à l’échelle individuelle et collective (restauration) et de protection de l’environnement, confère à ces quatre modèles des atouts certains. Sachant que leurs modes d’organisation, leur degré de maturité et d’ambition sont différents, nous examinons ci-dessous quelles sont les possibilités d’évolution pour prendre en compte les limites identifiées : (i) le nécessaire rééquilibrage entre protéines animales et végétales, (ii) lorsqu’élevage il y a, la nécessité de développer des synergies avec l’atelier culture, (iii) la nécessaire dé-spécialisation des régions (déjà inscrit dans l’AP), (iv) l’intérêt de mosaïques paysagères pour amplifier la fourniture de services écosystémiques.

L’AB dispose de réseaux nationaux et régionaux bien structurés pour la production (GAB, FNAB…) et la consommation (un plus bio : premier réseau national des cantines bio (http://www.unplusbio.org) pour partie anciens, une forte demande sociétale mais est menacée par la conventionalisation, et plus globalement, la problématique protéines animales n’est pas abordée alors que le régime des consommateurs de produits bio est souvent associé à une plus faible consommation de viande. L’AP ne dispose pas de label ou de marque mais les agriculteurs s’y référant sont très impliqués dans les territoires tout en étant coordonnés au niveau national. Afin d’accompagner les changements, l’AP s’appuie sur les Mesures Agri-Environnementales (MAE) tant pour les grandes cultures que les élevages de ruminants. Ces deux modèles s’inscrivent souvent dans la dynamique des Plan Alimentaires Territoriaux (PAT), et dans la loi Egalim pour la restauration collective, au titre du bio ou du local. Cet ancrage peut constituer un levier pour diversifier plus les productions, relocaliser certaines d’entre elles et fournir en restauration collective des produits peu ou pas transformés.

BBC est une association qui comprend des représentants de tous les acteurs de la chaine agroalimentaire. Au-delà de la meilleure valeur nutritionnelle des produits animaux, le cahier des charges inclut maintenant d’autres enjeux (bien-être animal, santé des sols, déforestation…) allant vers une approche de type one-health (santé du sol, des animaux et des Hommes). En visant ces externalités positives, la marque se singularise fortement des modèles (plus) conventionnels. L’intégration cultures-élevage à l’échelle de petits territoires (vs. France) et pas seulement au niveau national permettrait de réduire encore les impacts environnementaux de l’élevage.

L’ACS, plus jeune, se structure au travers de réseaux d’agriculteurs tels l’Apad (Association Association Pour une Agriculture Durable). Pour l’instant, l’ACS met beaucoup en avant le stockage de carbone dans les sols, mais aborde peu la question de réduction des pesticides, dont le glyphosate, et le caractère transitoire de la capacité de stockage de carbone (quelques décennies). L’élevage, lorsque présent dans l’exploitation, peut tout simplement coexister en parallèle des systèmes de cultures ou au contraire être très intégré, notamment lorsque les couverts sont pâturés, fournissant ainsi un maximum de services écosystémiques. Actuellement, le consommateur n’est pas informé de la diversité de ces pratiques qui impactent très différemment l’environnement, voire la qualité des produits. L’ACS se présente comme une troisième voie, entre l’AB et l’agriculture conventionnelle. Elle ne dispose pas de signe de qualité pour le consommateur, mais une démarche active est entreprise pour créer un signe de qualité spécifique ou se placer sous l’ombrelle de dispositifs existants (labels HVE ou bas carbone). Des acteurs de la transformation et de la distribution souhaitant se distinguer de produits « tout venant » sont susceptibles d’être intéressés pour développer cette troisième voie.

Ces modèles ne sont pas pour autant figés, ils sont structurés autour d’une dynamique d’amélioration des pratiques. D’ores et déjà certains modèles sont hybridés. Ainsi, certains produits issus de l’AP ou de BBC sont en AB. L’ACS et BBC sont facilement compatibles. En d’autres termes, il devrait être possible de combiner plusieurs atouts de chacun des modèles.

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