Agriculture, environnement, alimentation et maladies chroniques

Duru
Agricultures positives
9 min readJan 30, 2018

Depuis quelques années, l’espoir de la durée de vie en bonne santé qui n’a fait qu’augmenter jusqu’ici pendant un siècle dans les pays occidentaux stagne, voire se réduit, du fait de l’augmentation de l’incidence des maladies chroniques non transmissibles (obésité, diabète de type 2, maladies cardio-vasculaires, certains cancers et maladies du cerveau : Parkinson, Alzheimer, certaines formes de dépression….). Cette évolution n’est pas due qu’au vieillissement général de la population. L’augmentation de leur incidence provient à la fois de notre mode de vie (sédentarité, tabac…), de notre environnement (polluants dans l’eau et dans l’air), ainsi que de notre alimentation (composition des produits agricoles, développement de produits ultra-transformés et choix des aliments).

La génétique peut bien sûr être à l’origine des dérèglements métaboliques sous jacents à ces maladies, mais l’effet de l’alimentation et de l’environnement apparaît prévalent, et est par exemple pour 60% dans le cas des maladies du cerveau. L’obésité et le surpoids sont un facteur de risque pour le diabète de type 2, et les deux sont un facteur de risque pour les autres maladies chroniques citées ci-dessus. C’est pourquoi l’obésité est un bon marqueur de ces maladies chroniques. Le pourcentage de français en excès de poids et obèses est passé de 32 à 47 % entre 1988 et 2012.

Développement des maladies chroniques en France

Les données compilées par l’Irdes (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé) permettent de calculer le nombre de nouveaux cas déclarés en Admission Longue Durée (incidence) des principales maladies chroniques sur une quinzaine d’années (1997–2014) selon 3 classes d’âge (<45 ans ; 45–75 ; >75ans). Ces classes d’âge représentent respectivement 55, 36 et 9% de la population française. La population française a augmenté d’environ 5% au cours de la période.

L’incidence est la plus élevée pour le diabète et les cancers (incidence supérieure à 200 000 cas par an) ; moyenne pour les AVC invalidants, les maladies coronariennes et d’Alzeimer (entre 60 et 100 000), et plus faible pour les polyarthrites et spondylarthrite, la maladie de Crohn et d’Alzeimer (entre 10000 et 20000 nouveaux cas par an) (figure 1).

L’incidence a augmenté significativement au cours des années pour les 9 maladies considérées et les 3 classes d’âge, excepté pour les maladies coronariennes pour la classe d’âge inférieure à 45 ans.

Les maladies suivantes sont sur-représentées pour certaines classes d’âge :

- La maladie de Crohn pour la classe d’âge inférieure à 45 ans

- Le diabète, les cancers et les polyarthrites la classe d’âge 45–75 ans

- La maladie d’Alzheimer pour la classe d’âge supérieure à 75 ans

Figure 1 Nombre de nouveaux cas annuels pour 9 maladies chroniques selon 3 classes d’âge (<45 en vert, 45–75 en orange, > 75 en noir)

Sur la période considérée, l’augmentation la plus importante pour la classe d’âge <45 ans est observée pour la maladie de Crohn (x 4) et la spondylarthrite ankylosante grave (x 2).

Pour la classe d’âge 45–75 ans, les augmentations sont les plus importantes pour le diabète (x 2,3), la polyarthrite rhumatoïde grave (x 2), les cancers (x 1,5) et les maladies coronariennes (x 1,5).

Pour ces deux classes d’âge, les augmentations les plus importantes sont observées pour les AVC (x 2) et la maladie de Parkinson (x2 pour la classe d’âge 45–75 et x par 2,6 pour la classe d’âge >75 ans).

Pour la maladie d’Alzheimer, l’augmentation la plus importante est observée pour la classe d’âge la plus élevée (x 1,6).

Les causes des maladies métaboliques

Inflammations et stress oxydatif

L’augmentation du poids corporel et du trouble métabolique, y compris la résistance à l’insuline, le diabète de type 2 et les complications cardiovasculaires, constituent le syndrome métabolique. Ce n’est pas une maladie en soi, c’est un ensemble de perturbations qui augmentent les risques cardio-vasculaires et de diabète de type 2. Il y a syndrome métabolique lorsque au moins 3 des facteurs de risque suivants sont présents : obésité abdominale (tour de taille), pression artérielle élevée, pas assez de « bon » cholestérol (HDL), taux de sucre (glycémie) et de lipides (triglycérides) trop élevés. autres signes de traçabilité de choisir des produits estampillés AB is riches en sucres rapides et en acides gras saturés. At ce

Les recherches récentes indiquent que l’état inflammatoire chronique ainsi que le stress oxydatif ouvrent la voie au développement des maladies métaboliques. L’inflammation est une composante normale de la défense de l’organisme. Cependant, une réponse inflammatoire non résolue est susceptible d’être impliquée dès les premiers stades du développement de toute une gamme de maladies chroniques et constitue un déterminant important de l’impact pathologique de l’adiposité excessive.

Le stress oxydatif correspond à un déséquilibre entre les oxydants et antioxydants des cellules et des tissus. Il entraîne la surproduction des radicaux libres oxydatifs et des espèces réactives d’oxygène (ROS). Des ROS excessifs générés peuvent attaquer les protéines cellulaires, les lipides et les acides nucléiques et conduire ainsi à un dysfonctionnement cellulaire, y compris une altération du métabolisme énergétique, des mutations génétiques, des mécanismes de transport cellulaire altérés et une diminution du contrôle de l’inflammation. Là encore, les polluants comme les pesticides favorisent un excès de ROS. Mais à contrario, les aliments riches en polyphenols peuvent contrecarrer les effets néfastes d’un excès de ROS.

Les études épidémiologiques cellulaires, animales et humaines ont montré que tant les nutriments (excès de sucres rapides et d’acides gras saturés, déficit en omega-3 et en antioxydants) que les polluants (particules fines, N2O, ammoniac, métaux lourds, molécules organiques…) contribuent à la prévalence de la plupart des maladies chroniques au travers du développement d’inflammations de bas niveau. Les mécanismes inflammatoires déclenchés par une mauvaise nutrition sont les mêmes que ceux induits par les polluants, si bien que l’effet délétère des polluants est accru par une mauvaise nutrition. Une inflammation due à des métaux lourds ou à des polluants organiques est ainsi aggravée par l’insuffisance d’omega-3 et d’antioxydants dans l’alimentation.

À titre d’exemple, il a été montré que le risque de diabète de type 2 ne dépend pas de la proportion d’acides gras et de glucides dans l’alimentation, mais de la nature des acides gras et des glucides. En outre, la surconsommation d’aliments transformés et raffinés contribue à des régimes riches en acides gras inflammatoires (omega-6), qui aggravent non seulement les complications métaboliques induites par le régime alimentaire, mais aussi les processus inflammatoires associés aux polluants. Ces aliments transformés à haute teneur en matières grasses contiennent peu de nutriments bioactifs protecteurs, conduisant ainsi à une augmentation du stress oxydatif et de l’inflammation. Des facteurs de stress supplémentaires, tels que les contaminants contenus dans les aliments, peuvent entraîner une réponse inflammatoire accrue, ce qui pourrait être dû au fait que les mécanismes de la toxicité induite par les polluants sont similaires à ceux des réponses inflammatoires induites par le régime alimentaire. Il en est de même des microparticules contenues dans l’air. Ainsi, une maladie comme le diabète de type 2 peut résulter de déséquilibres alimentaires, mais aussi de polluants (particules fines, pesticides).

Rôle du microbiote intestinal

Notre système immunitaire est aussi très dépendant de notre microbiote intestinal. Dans l’intestin sain, le microbiome contribue à d’importants processus physiologiques tels que la protection contre les pathogènes, la digestion des aliments pour fournir de l’énergie et des nutriments, notamment des vitamines, et le bon fonctionnement du système immunitaire. Mais de nombreux facteurs peuvent affecter le microbiome au fil du temps, de la petite enfance à l’âge adulte et à la vieillesse. Il s’agit de la génétique, de l’alimentation et des médicaments et polluants. Certains de ces facteurs peuvent introduire des perturbations affectant la complexité et la stabilité du microbiome, introduisant potentiellement une dysbiose microbienne. Les caractéristiques d’un microbiome déséquilibré comprennent, par exemple, une augmentation des bactéries gram-négatives liées à un environnement de stress oxydatif et d’inflammation et de production de métabolites néfastes pour la santé. Le microbiote est très sensible à notre environnement, tout autant notre alimentation qu’aux polluants, ce qui est source de maladies de l’intestin, tout autant que du cerveau. Il a été montré qu’une alimentation de type occidental caractérisée par un excès de sucres et de gras se traduit par un développement de bactéries pro-inflammatoire comme E. coli. Selon certains auteurs, la connaissance des relations entre la composition de notre alimentation et celle du microbiote intestinal ouvre la voie aux choix de variétés de plantes et de process industriels dans l’agroalimentaire pour l’orienter dans un sens favorable à la santé. D’ores et déjà des recommandations sont faites pour équilibrer notre alimentation entre aliments acidifiants (principalement les produits animaux) et ceux permettant de contrôler un excès d’acidification (produits animaux principalement). Des recherches récentes associent une réduction de la diversité de notre microbiote intestinal au développement des inflammations.

Il s’écoule de nombreuses années entre les dérégulations métaboliques et les maladies

Une caractéristique des maladies chroniques est le long laps de temps qui s’écoule entre des dérégulations métaboliques et leur expression en termes de maladies. Ainsi, la prévalence croissante de la maladie d’Alzheimer au Japon est liée à la transition nutritionnelle d’un régime traditionnel à un régime occidental et les risques surviennent 15 à 25 ans après le changement de régime.

Un des mécanismes tient aux caractéristiques clés du microbiome qui sont influencées par notre alimentation et notre environnement, de la petite enfance à l’âge adulte et à la vieillesse. L’origine des facteurs de troubles peut même remonter dès avant la naissance.

Un nombre croissant de preuves indique que les expériences acquises pendant le développement, l’enfance ou l’âge adulte induisent des changements dans l’expression des gènes, qui confèrent des effets cumulatifs et durables sur la santé, le bien-être et la vulnérabilité à la maladie. Un microbiome déséquilibré peut entrainer un changement d’expression des gènes (on parle d’épigénétique) qui peut être transmis aux descendants et sont accompagnés de changements héréditaires de la biologie, du comportement et du risque de maladie.

Au cours des 50 dernières années une évolution de notre alimentation et de notre environnement défavorable à notre santé

Les facteurs favorables (consommation de fruits et légumes qui apportent des anti-oxydants) se sont réduits, ou ont augmenté insuffisamment pour atteindre les recommandations (cas des omega-3 dont la consommation estimée est de 0,9g/j au lieu de 1.8 recommandé) (figure 2).

A l’opposé, les apports de sucres, de plats préparés riches en sucres et en acides gras saturés (« calories vides ») ont augmenté de manière importantes. Le rapport omega6/omega3 est toujours trop élevé par rapport aux recommandations (10 au lieu de 4). La consommation de viande, même si elle a légèrement baissé, est considérée comme trop élevée surtout si la proportion de produits transformés est importante (figure 2).

Figure 2 Evolution en valeur relative (indice 100 en 1960) de la consommation des principaux nutriments et produits alimentaires en France

En outre la généralisation de l’utilisation des pesticides a entrainé l’augmentation de leurs métabolites dans les urines. Sur la figure 3 sont illustrés les cas de glyphosate et des néonicotinoides qui sont des perturbateurs endocriniens. On note une même tendance pour les quantités consommées et les quantités retrouvées dans les urines. A titre de comparaison, relativement à la population, les quantités de glyphosate (environ 8000t par an) et de néconicotinoides (387t en 2013 et 508 t en 2014) utilisées en France sont plus importantes qu’en Allemagne et au Japon respectivement.

S’il est vrai que 97% des aliments ne dépassent pas les Limites Maximales en Résidus (LMR), ces limites sont établies séparément par matière active, et on ne sait rien des effets du cumul de toutes les matières actives ingérées ni de leur synergie alors que cet effet cocktail a déjà été montré. Enfin, les contaminants ayant un effet sur la santé concernent aussi les particules fines (d’origine agricole ou non), ainsi que d’autres toxines non liés à l’agriculture, notamment les phtalates, et le bisphenol A qui sont des perturbateurs endocriniens).

Figure 3 Evolution de quelques pesticides (quantités utilisées en bleu) et de leurs métabolites dans les urines (courbes en noir) pour les néonicotinoides au Japon) (figure de gauche) et le glyphosate en Allemagne (figure de droite)

Ueyama, J., Harada, K. H., Koizumi, A., Sugiura, Y., Kondo, T., Saito, I., & Kamijima, M. (2015). Temporal Levels of Urinary Neonicotinoid and Dialkylphosphate Concentrations in Japanese Women between 1994 and 2011. Environmental Science and Technology, 49(24), 14522–14528.

Conrad, A., Schröter-Kermani, C., Hoppe, H. W., Rüther, M., Pieper, S., & Kolossa-Gehring, M. (2017). Glyphosate in German adults — Time trend (2001 to 2015) of human exposure to a widely used herbicide. International Journal of Hygiene and Environmental Health, 220(1), 8–16.

En définitive, notre alimentation s’est globalement détériorée pour partie du fait des façons de produire en agriculture (augmentation massive d’utilisation des pesticides, réduction de l’élevage à l’herbe), des façons de transformer les produits (augmentation de la consommation de produits préparés riches en sucre, en acides gras saturés, en oméga-6 et pauvres en anti-oxydants) et de se nourrir (réduction de la consommation des fruits et légumes).

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