Prairies, Environnement et Territoires

Duru
Agricultures positives
15 min readMay 1, 2017

La plupart des prairies dans le monde résultent d’activités d’élevage d’herbivores domestiques qui évitent ainsi le développement de successions ligneuses. La dynamique de ces écosystèmes est donc marquée par les modes de gestion liés aux différents systèmes d’élevage. Les prairies représentent 40% de la SAU en Europe ; elles font vivre 5,4 millions d’agriculteurs en hébergeant 78 millions d’UGB ; et elles représentent environ 25% de la production agricole de l’UE. Elles restent donc une source essentielle de production de denrées alimentaires, même si la pression des marchés et des politiques font chuter fortement leur surface.

Les prairies, source de diversité dans les systèmes agricoles

Le but essentiel du développement agricole au vingtième siècle a été de nourrir une population humaine croissante. Ainsi la transformation de la ressource fourragère des prairies en produits animaux a été l’objectif principal des agronomes. Aujourd’hui, l’enjeu du développement agricole durable impose que les prairies soient étudiées aussi comme composante des modes d’occupation des sols, en conjonction avec les forêts et les surfaces cultivées, pour leurs effets sur la régulation des cycles bio-géochimiques, le contrôle des flux environnementaux vers l’atmosphère et l’hydrosphère et la préservation de la biodiversité. Partout dans le monde l’intensification de la production agricole a été combinée à une simplification des systèmes de production à toutes les échelles d’organisation : la parcelle, l’exploitation, les territoires et les régions, ce qui aboutit à des impacts environnementaux qui ne sont plus admis par les sociétés humaines avec des conséquences sur la contamination des eaux, les émissions de gaz à effet de serre, l’érosion et la contamination des sols, la perte de biodiversité, et la dégradation des paysages.

Un nouveau paradigme pour l’agriculture

Un nouveau paradigme doit être proposé pour dénouer cette contradiction entre la nécessité d’augmenter la production agricole mondiale et l’urgence qu’il y a de préserver et de restaurer un environnement acceptable pour les sociétés humaines. On peut penser que les impacts de l’agriculture moderne sont davantage liés au manque de diversité des systèmes agricoles qu’à leur trop forte productivité. L’antagonisme entre production et environnement ne serait donc qu’apparent si on parvenait à rompre le lien historique entre intensification et uniformisation. A ce titre, les prairies pourraient être considérées comme une source de diversité au sein des agro-systèmes. Pour cela les prairies ne doivent plus être « confinées » aux zones non ou difficilement cultivables mais redevenir partie intégrante des systèmes de production agricoles intensifs dans le cadre d’une plus grande intégration entre Agriculture et Elevage aux échelles locales et régionales.

Les prairies et la régulation des cycles bio-géochimiques

Du fait d’une activité photosynthétique continue et d’interactions constantes entre la végétation et les communautés microbiennes du sol, les prairies possèdent des capacités intrinsèques (i) de séquestration du CO2 atmosphérique dans la matière organique du sol et (ii) de couplage entre les cycles de C et de N qui évite l’accumulation d’azote minéral dans le sol et les risques d’émissions atmosphériques de protyxyde d’azote (N2O) et de lixiviation du nitrate (NO3-). Ainsi la prairie permettrait de contrebalancer les impacts environnementaux liés à l’intensification des systèmes de culture annuels.

Trois questions se posent alors :

(i) Ces effets « prairie » bénéfiques peuvent-ils être évalués quantitativement ?

(ii) Résistent-ils à l’intensification de l’utilisation des prairies ?

(iii) Quels modes de gestion pour un compromis entre production et environnement ?

Le système d’expérimentation SOERE-ACBB http://www.soere-acbb.com/index.php/fr/ (sites de Lusignan et Theix-Laqueuille) a été conçu et est spécifiquement équipé pour évaluer l’effet de la gestion de la prairie sur le stockage/déstockage de C, l’émission de N2O par le sol, les flux hydriques et leur qualité vers les nappes. Les premiers résultats montrent que l’accumulation annuelle de C dans le sol des prairies naturelles pâturées en demi-montagne (Laqueuille) est peu différente selon leur niveau d’intensification (fertilisation + chargement) : 200 vs 191 g C m-2 an-1 en régime intensif et extensif, respectivement. Pour des prairies temporaires intensives à Lusignan (Figure 1) l’accumulation de carbone est plus faible en fauche qu’au pâturage. L’assimilation photosynthétique brute de CO2 est comparable entre les deux modes d’exploitation mais la respiration plus élevée de la parcelle pâturée conduit à un flux net d’assimilation du CO2 plus faible. Néanmoins au pâturage, la quantité de carbone ingérée par les herbivores est plus faible que celle récoltée en fauche et exportée de la parcelle sous forme de foin. Ces résultats obtenus en termes de flux devront être corroborées par l’analyse de l’évolution des stocks sur un pas de temps plus important.

Sur ces mêmes prairies les émissions de N2O sont plus fortes en fauche qu’au pâturage du fait d’apports de la fertilisation azotée minérale plus importants en fauche. Le retournement de la prairie pour l’implantation d’une culture, engendre une augmentation de l’émission de N2O pendant une période de 4 mois par rapport à une prairie maintenue en fauche. D’une manière générale les pertes de N2O sous prairies restent inférieures à celles enregistrées sous culture eut égard aux doses de fertilisation apportée.

La qualité des eaux de drainage est bien maîtrisée sous prairies fauchées même abondamment fertilisées (10–12 mgNO3-l-1) tandis qu’elle atteint 70–75 mgNO3-l-1 sous un système cultivé malgré une fertilisation raisonnée. La remise en culture d’une prairie fauchée ayant 3 ou 6 ans d’âge n’occasionne pas de surplus de pertes nitriques par rapport à un système entièrement composé de cultures arables. Ainsi une rotation de 3 ans de prairies intensives fauchées et 3 ans de cultures (maïs-blé-orge) permet d’abaisser de moitié la teneur moyenne des eaux drainées par rapport à un système arable pur (Figure 2).

Ces résultats montrent que les prairies incluses au sein de rotations de cultures annuelles peuvent être gérées avec un certain niveau d’intensification sans perdre leur capacité de régulation des émissions vers l’atmosphère et vers l’hydrosphère. Une plus grande utilisation des légumineuses doit contribuer à accroître cette capacité des prairies, non seulement du fait d’une diminution de l’utilisation des engrais azotés, mais aussi du fait d’un plus fort couplage C-N par la végétation et les microbes du sol.

La diversité fonctionnelle des prairies

Les services que les prairies sont susceptibles de rendre à la société ne sont pas tous bien identifiés ; ils sont complexes à évaluer car dépendant du niveau d’organisation considéré (la parcelle, l’exploitation agricole, le paysage). En outre, les agriculteurs qui les fournissent n’en sont pas forcément les bénéficiaires, et ils ne sont donc pas toujours rémunérés. Enfin, certains services peuvent être contradictoires entre eux pour des raisons biophysique ou socioéconomique, ce qui nécessite des compromis. La recherche doit donc éclairer les relations entre ces services, les pratiques agricoles et les caractéristiques du milieu. Depuis le début des années 2000, la mobilisation des concepts et méthodes de l’écologie fonctionnelle a permis des avancées majeures qui sont assez lourdes et qu’il faut donc simplifier pour une utilisation au niveau de l’exploitation agricole.

L’approche fonctionnelle permet de caractériser les plantes par des traits correspondant à des caractéristiques morpho-physiologiques (rapport feuilles/tiges, hauteur des plantes, rapport surface/masse des feuilles, teneur en matière sèche des tissus…), et/ou phénologiques (précocité de montaison et d’épiaison…) rendant compte des réponses adaptatives des plantes à leur environnement. Ainsi, la teneur en matière sèche des feuilles qui est liée à la densité des tissus lignifiés, est un indicateur de la réponse des plantes à la disponibilité des ressources N, P, et eau. Au niveau de la communauté végétale, il est alors possible de calculer la valeur du trait moyen pondéré en fonction de l’abondance relative des espèces, ainsi que sa variance qui rend compte de la diversité fonctionnelle de la communauté. Tout un ensemble de traits, liés à la gestion des ressources par les plantes, à leur aptitude à la compétition mais aussi à leur capacité de régénération, ont ainsi été mesurés dans de nombreux sites pour analyser les réponses des communautés végétales aux pratiques agricoles et aux caractéristiques du milieu, ainsi que leurs effets sur les différents processus qui aboutissent aux différents services d’intérêt agronomique et/ou environnemental qui sont attendus. Le trait moyen pondéré permet de caractériser la diversité des prairies à l’échelle de l’exploitation agricole et du paysage, et de classer les prairies en termes de services comme la production de fourrage ou le stockage de carbone, alors que la distribution du trait en intra communauté peut être reliée à la souplesse d’utilisation de la prairie. .

Une typologie d’espèces a été établie à partir de quatre critères: (i) vitesse de croissance rapide ou lente et(ii) développement précoce ou tardif, correspondant à des stratégies d’acquisition des ressources différentes. Des relevés botaniques simplifiés permettent de positionner rapidement la composition d’une prairie selon l’importance de ces stratégies, et de calculer un indice de diversité intra communauté qui est maximum lorsque les 4 stratégies sont présentes en proportion similaire. Il a été montré que la proportion d’espèces à stratégie de croissance rapide augmente avec la disponibilité en éléments minéraux et des modes d’exploitation comme la fauche qui exacerbe la compétition entre plantes, et peut servir d’indicateur d’une large gamme de services. L’analyse de sites différents en France a montré que cette proportion augmente avec la température moyenne annuelle et diminue avec le déficit hydrique. En conséquence, ce sont les niveaux de contrainte (eau, nutriments) et de perturbation (fauche/pâture) intermédiaires qui permettent d’atteindre la diversité fonctionnelle intra communauté la plus élevée. Nous avons montré que la proportion d’espèces à stratégie de croissance rapide est un bon indicateur de la production de fourrages et de sa qualité au stade feuillu. A l’inverse, dans ces situations la diversité spécifique de la communauté et la teneur en carbone du sol décroissent. L’ensemble de ces résultats a permis de construire un cadre d’analyse (Figure 3) qui permet de comparer des parcelles à l’échelle d’une exploitation agricole ou du paysage en termes de potentialités de réalisation de différents services. Nous avons montré que des compromis existent au niveau parcellaire entre services liés à des stratégies fonctionnelles différentes comme par exemple la production de fourrages vs le stockage de carbone. Par contre des synergies peuvent exister lorsqu’une même composition fonctionnelle fournit plusieurs services d’intérêt, comme par exemple une flexibilité d’utilisation de l’herbe associée à une diversité spécifique élevée. Ces compromis et synergies étant réalisé de façon différente entre prairies de composition différente, il faut donc penser la gestion des services globalement au niveau de l’exploitation ou du territoire.

Prairies et agro-écologie des territoires

Les territoires ruraux de polyculture-élevage constituent de loin le mode d’usage des terres majoritaire en Europe (60% environ de la superficie du territoire). Ce sont aussi les écosystèmes parmi les plus riches en espèces, et ceux qui abritent le plus grand nombre d’espèces menacées d’extinction. Les prairies constituent une composante essentielle des mosaïques paysagères constituées par l’homme. Elles jouent donc un rôle important dans la dynamique de la biodiversité au sein des territoires. Cependant, un agriculteur agit à l’échelle de son exploitation, alors que l’objectif de conservation de la biodiversité, et plus généralement, de l’ensemble des objectifs environnementaux se situent à l’échelle des territoires agricoles, ce qui nécessite une approche collective. Le lien entre « exploitation agricole » et « territoire rural » est ainsi devenu un enjeu pour les politiques publiques. D’autant qu’à cette échelle, les objectifs des différents usagers du territoire ne sont pas forcément partagés : certains peuvent appréhender la biodiversité comme une ressource, d’autres comme une contrainte.

Biodiversité à l’échelle des territoires

Dans les systèmes céréaliers intensifs, les prairies ont un effet positif sur différents taxons représentatifs de la biodiversité, à tous les niveaux du réseau trophique : microfaune du sol, insectes, flore, oiseaux. Cet effet a été démontré de manière semi expérimentale sur la Zone Atelier « Plaine & Val de Sèvre » (ZA-PVS) grâce à l’implémentation de Mesures Agro-environnementales (MAE) depuis 2004. Globalement, nous observons que l’implémentation des mesures « prairies » affecte favorablement différentes espèces d’oiseaux. Nos résultats sont en accord avec le constat général que les populations d’oiseaux des milieux agricoles déclinent du fait du manque de ressource en nourriture, invertébrés et graines, qui résulte en particulier de la perte d’hétérogénéité du paysage (diminution des haies, prairies et différents modes de gestion) causée par l’intensification de l’agriculture. Ces différentes études menées sur la ZA PVS ont permis de distinguer l’effet de la proportion d’habitat semi-naturel dans le paysage, de celui des mesures compensatoires (MAE). Mais l’effet des pairies est aussi modulé par des variables spatiales (habitat) et temporelles (âge, temps de résilience des prairies). L’âge des prairies apparait comme un facteur prépondérant, au même titre que leur abondance.

Insérer la prairie au sein des mosaïques paysagères

Dans les zones de plaine en Europe, l’intensification de l’agriculture a entraîné une spécialisation dans les grandes cultures (céréales et oléoprotéagineux), donc une simplification des assolements et un agrandissement du parcellaire favorisé par les remembrements successifs. Ces évolutions font peu à peu disparaître la mosaïque paysagère qui existait jusqu’aux années 1960. Un objet de gestion nouveau apparaît ainsi, la prairie, comme élément de diversité au sein du paysage. Ainsi à une logique individuelle de gestion de l’assolement au sein d’une exploitation se juxtapose une logique collective, autour d’un bien commun qu’est la prairie, source de régulation du réseau trophique de l’écosystème céréalier. Cet objet ne peut être géré que par la coordination d’actions de différents agriculteurs. Or quels mécanismes permettent une telle coordination ? La question de la réinsertion de prairies dans la plaine céréalière à l’échelle du paysage dans la ZA PVS a été le moteur de recherches pluridisciplinaires, réunissant écologues, agronomes, économistes et sociologues. Une première voie explorée est le pilotage centralisé de la distribution des prairies dans la plaine céréalière, par un système de contractualisation subventionnée par l’Union Européenne sous forme de MAE. Ces mesures ont été élaborées pour atteindre un double objectif : être à la fois efficaces par rapport à la préservation de l’avifaune de plaine et de la qualité de l’eau, et acceptables par les agriculteurs. Ces dernières années les surfaces contractualisées en MAE ont augmenté pour atteindre près de 10 000 hectares en 2011 sur la ZA PVS, soit près de 20% de la superficie, les MAE prairiales couvrant environ 15% de la superficie totale des prairies (Figure 4a). Si cette augmentation est fortement due à la mise en place de mesures prioritairement destinées à la reconquête de la qualité de l’eau, on peut observer que les surfaces contractualisées en luzerne et en prairies de graminées on presque été multipliées par 5 en 3 ans (Figure 4b). Mais une seconde voie, plus innovante et décentralisée, est explorée. Elle repose sur la création d’une filière courte organisant des échanges locaux de luzerne entre céréaliers et éleveurs, avec une coopérative (CEA ; Berthet 2013). Cependant ce type d’échange est encore très limité dans la région, et les conditions de sa mise en place sont encore mal connues. Des pistes sont creusées concernant la mise en œuvre de ce type de filières par des acteurs du territoire tels que les coopératives agricoles.

La prairie au cœur des systèmes d’élevage performants

La prairie, qui couvre 35 % de la SAU nationale, représente toujours une part prépondérante de l’alimentation des herbivores et ses contributions à la protection de l’environnement sont largement démontrées (voir ci-dessus). Les atouts de la prairie permanente sont aujourd’hui partiellement reconnus et rémunérés par les politiques publiques, notamment le deuxième pilier de la PAC : l’indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN) et la prime herbagère agro environnementale (PHAE). En conditionnant les aides au maintien des surfaces en prairies permanentes la réforme actuelle de la PAC renforce ce soutien aux zones herbagères de montagne. Par contre les prairies temporaires de plaine n’ont pas reçu de soutien spécifique à l’exception, depuis 2007, de la Mesure Agri-Environnementale (MAE) dite « SFEI » qui limite la place du maïs dans la surface fourragère principale mais avec un budget très limité.

Malgré cela, la surface des prairies a fortement diminué au plan national et au sein des systèmes d’élevage de plaine au profit du maïs ensilage (notamment en Basse Normandie et en Pays de Loire : -15%) alors que les surfaces toujours en herbe ont été sanctuarisées. Le prix élevé des céréales met en concurrence l’élevage et les cultures là où des alternatives à la prairie existent et la fin des quotas laitiers pourraient conduire les éleveurs à revoir les systèmes fourragers au bénéfice du maïs et au détriment de la prairie et ce d’autant plus que l’agrandissement des exploitations déstructure le parcellaire et rend le pâturage plus difficile. Enfin, la révision des références Corpen et la déclinaison française de la directive nitrate ne placent pas la prairie dans une situation favorable.

Pourtant, la prairie est au cœur des systèmes d’élevage à haute performance. Les analyses conduites dans le cadre du chantier « Agriculture à haute performance » pour le compte du CGSP montrent que dans la plupart des cas, augmenter la part d’herbe dans le système d’élevage et sa valorisation par le pâturage est à la fois positif sur les performances économiques et sur les performances environnementales du système en permettant de limiter les consommations intermédiaires d’engrais, d’aliments, de pesticides, voire d’antibiotiques et les émissions vers l’environnement. Même si les éleveurs ont souvent conscience des atouts environnementaux et sociétaux des prairies, ceux-ci ne sont pas un objectif en soi notamment par ce qu’ils ne sont pas (ou quasiment pas) rémunérés dans le cas des prairies temporaires.

Par ailleurs dans un marché mondial où les prix de l’énergie et des protéines sont très fluctuants il convient aussi de changer la vision de la productivité de la prairie par rapport aux cultures annuelles. En effet il ne faut pas oublier que pour constituer une ration équilibrée pour un troupeau laitier il faut utiliser 0,8ha de culture de soja pour chaque ha de maïs ensilage alors que l’hectare d’herbe apporte l’énergie et les protéines dans le bon équilibre. Enfin, c’est à l’ensemble du secteur R-F-D qu’il convient de changer le regard des éleveurs, conseillers et prescripteurs sur la prairie pour lui redonner une image positive de modernisme en particulier par la mise à disposition d’outils de pilotage du pâturage et des récoltes et des stocks aptes à simplifier et optimiser la production d’herbe et par la formation des futurs éleveurs aux enjeux de la mise en place de systèmes d’élevage à hautes performances.

Conclusion

Ce panorama montre que les prairies possèdent des atouts importants pour devenir une composante essentielle des agro-écosystèmes qui soient à la fois productifs et respectueux de l’environnement. Les atouts des prairies sont aussi bien d’ordre environnemental (régulation et couplage des cycles C-N-P…contrôle des émissions vers l’atmosphère et l’hydrosphère…effets favorables sur la biodiversité) que d’ordre agronomique (économie d’intrants, production fourragère à faible coûts, qualité et fertilité des sols…). Leur disparition progressive et continue des agro-écosystèmes les plus intensifiés de la planète est davantage liée à des contraintes socio-économiques qui découlent du paradigme des économies d’échelles visant à accroître la productivité du travail dans un marché mondialisé et qui conduisent partout à une séparation territoriale de la production de céréales et protéagineux de la production de denrées animales : le Bassin Parisien vs la Bretagne en France ; mais voire aussi en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Australie…L’intensification séparée des deux orientations productives Agriculture et Elevage conduit inexorablement à des impasses environnementales dont on ne voit aujourd’hui que les prémisses compte tenu de ce qui est à l’œuvre sur d’autres continents. Dans ce cadre, les prairies deviennent des « reliques » réservées aux zones dites non-intensifiables, maintenues sous formes de « réserves » à l’aide de subsides. Y a-t-il une autre issue qui ne soit pas seulement une utopie ?

Trois questions s’imposent :

Les prairies peuvent-elles devenir des éléments d’agro-écosystèmes relativement productifs tout en continuant à assurer leurs effets bénéfiques sur l’environnement ? Les données que nous avons synthétisées dans cet article montrent que c’est largement possible, et ceci non seulement en France et en Europe mais dans la plupart des régions du monde.

Doit-on concevoir un maintien des prairies extensives dans de larges zones et permettre une intensification maximum de la production agricole sur des surfaces plus limitées ? Sur un plan purement global tel que le contrôle des émissions de gaz à effet de serre, on pourrait concevoir qu’une partie des surfaces continentales soient réservées à compenser les émissions des surfaces mises en culture intensives (encore que cette solution ne serait pas sans poser des problèmes politiques épineux et conflictuels). Mais dès que l’on s’intéresse à des impacts locaux tels que la qualité des hydrosystèmes ou la biodiversité cette vision n’est plus pertinente. Il s’agit bien de recréer localement les interactions spatiales et temporelles entre les différents modes d’occupation des sols : prairies, cultures, forêts…sans oublier les zones urbaines.

N’est-il pas utopique de vouloir remettre de la prairie et donc des animaux dans des exploitations agricoles d’où ils ont disparus ? Bien entendu les causes qui ont engendré l’abandon de l’élevage dans les exploitations agricoles dans certaines régions ne vont pas disparaître, le mouvement se poursuit notamment pour des questions de rentabilité du travail. Il s’agit donc d’inventer de nouveaux modes d’organisation à l’échelle d’un territoire permettant de faire coopérer des exploitations spécialisées, céréales d’un côté et élevage de l’autre, en organisant les échanges de matières et de services de manière à reconstruire des agro-écosystèmes plus diversifiés et donc plus fonctionnels à une échelle locale. Il s’agit là d’un enjeu scientifique capital pour l’avenir : comment concevoir, faire émerger et gérer de tels consortiums ? Encore faut-il avoir les outils de base indispensables pour entrevoir ces possibilités. C’est ce que nous avons essayé de présenter dans cet article.

Gilles LEMAIRE1, Vincent BRETAGNOLLE4 , Abad CHABBI2, Michel DURU6, François GASTAL5, Katia KLUMPP7, Marie-Laure NAVAS3, Jean-Louis PEYRAUD8

1- Correspondant Académie d’Agriculture

2- INRA, URP3F,86600 Lusignan

3- Montpellier SupAgro

4- CNRS-CEBC Chizé, 79360, Beauvoir sur Niort

5- INRA, FERLUS, 86600 Lusignan

6- INRA, UMR 1248 AGIR Toulouse

7- INRA, Clermont-Ferrand

8- DS Agriculture INRA Paris

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