Refondre notre système alimentaire est un impératif pour notre santé !

Duru
Agricultures positives
9 min readFeb 17, 2022

Le rôle clef du microbiote intestinal sur la santé et son lien avec l’alimentation est maintenant démontré. On sait que ses besoins sont spécifiques : les fibres et certains acides gras à longue chaîne (oméga-3) ont un effet favorable sur sa diversité et son fonctionnement, mais leur déficit, de même que certains résidus de pesticides, émulsifiants et édulcorants, entraînent un déséquilibre (appelé dysbiose) dans la composition du microbiote intestinal. Or au cours des cinquante dernières années, les changements dans l’alimentation des animaux d’élevage, dans la protection des cultures (pesticides), de même que l’offre croissante en produits prêts à consommer et l’évolution induite dans les préférences des consommateurs, ont été sources de perturbations du microbiote. A tel point que 90 pour cent des Français manquent de fibres et d’oméga-3 et que les produits ultra-transformés représentent 35% des calories consommées. Une santé reposant sur un microbiote sain nécessite donc un changement de paradigme dans la façon de se nourrir. Pour cela il faut agir à tous les maillons du système alimentaire, par une révision de certaines pratiques agricoles et de l’industrie agroalimentaire afin d’améliorer l’offre en produits de qualité, mais aussi par un vaste effort d’éducation et de formation pour aider aux choix des aliments et à la composition des menus.

C’est un résumé de l’article paru dans les Cahiers de Nutrition et Diététique

Le rôle clef du microbiote intestinal pour la santé

Les maladies chroniques non transmissibles, comme l’obésité et le diabète, sont en augmentation partout dans le monde. En France, le diabète concerne plus de 3,3 millions de personnes dont 42% ont moins de 65 ans, et il augmente le plus vite pour la classe d’âge 45–75 ans. Des dynamiques similaires sont observées pour les cancers, polyarthrites, maladies coronariennes, autisme et dépressions sévères. L’augmentation du nombre de personnes atteintes d’une maladie chronique ne résulte donc pas que d’un effet du vieillissement. Il est estimé par la prise en charge en tant qu’affection longue durée (ALD) qui est passé de 8,3 à 10,1 millions entre 2008 et 2015. En conséquence, on vit de plus en plus vieux mais plus longtemps avec un facteur de comorbidité.

La plupart des maladies chroniques résultent de la génétique et de l’exposition environnementale, notamment l’alimentation (mais aussi l’activité physique et la gestion du stress), ainsi que l’épigénétique qui contrôle la réplication des gènes. Une analyse de 28 maladies chroniques chez des jumeaux monozygotes a révélé que les risques de maladies attribuables à la génétique étaient seulement de 19 % en moyenne. De par ses liens étroits avec le métabolisme et le système immunitaire, le microbiote intestinal se trouve au coeur de la santé. Il possède de nombreuses enzymes capables de fermenter des glucides complexes et de générer des métabolites tels que les acides gras à chaîne courte pouvant produire une vaste gamme de métabolites microbiens susceptibles d’affecter notre métabolisme et notre santé. Il est également déterminant pour la synthèse de plusieurs vitamines du groupe B. Il fournit aussi une protection antimicrobienne via ses métabolites, et induit la synthèse de protéines antimicrobiennes qui contrôlent la croissance des bactéries pathogènes.

Mais l’équilibre microbiote-hôte d’une proportion importante et croissante d’individus dans la société occidentale présente un état de pré-maladie, ce qui peut expliquer le développement explosif des maladies chroniques. Il est montré un lien entre dysbiose intestinale et troubles inflammatoires intestinaux (maladie de Crohn…), mais aussi maladies métaboliques (diabète, obésité…) et neurologiques (stress, autisme) et maladie de Parkinson et Alzheimer. Une dysbiose affecte aussi le système immunitaire dont le fonctionnement dépend d’un large éventail de métabolites microbiens. En effet, le microbiote joue un rôle majeur pour éduquer et renforcer le système immunitaire pour lutter contre les infections, notamment d’origine virale. Ainsi, des études suggèrent l’existence d’une dysbiose chez les patients Covid-19, rendant plus probables les formes graves sans doute parce que les microbiotes de l’intestin, des poumons et des voies aériennes s’influencent mutuellement.

Prendre soin de son microbiote intestinal par une bonne hygiène de vie permet donc de réduire le risque de maladies chroniques, mais aussi des formes graves de maladies infectieuses. En France, seulement un quart des personnes en bonne santé aurait un microbiote sain. Une alimentation préventive, basée sur l’état des connaissances pour un bon fonctionnement du microbiote est donc un enjeu de santé publique.

Principaux facteurs influençant le microbiote intestinal

Nous synthétisons les effets des principaux nutriments sur la composition du microbiote et en amont les composantes clefs de la diète qui les déterminent.

Principaux nutriments et contaminants ou ingrédients affectant la composition du microbiote intestinal (partie supérieure), relations avec la composition de la diète (partie inférieure)

Parmi les facteurs favorables, les fibres alimentaires, les oméga-3 et les antioxydants sont des nutriments majeurs qui influencent la diversité et le bon fonctionnement de notre microbiote (Fig. partie supérieure).

Les fibres sont constituées d’un enchaînement de molécules de sucres (appelés polysaccharides) qui ne peuvent pas être digérées et absorbées par l’organisme humain. Lorsqu’elles atteignent l’intestin, elles entrent en contact avec les bactéries du microbiote qui sont capables de les digérer. Cette digestion va produire des composés bénéfiques à notre organisme tels que les acides gras à chaîne courte. L’apport d’oméga-3 a aussi un effet sur la production de ces acides gras, ainsi que sur le maintien de l’intégrité de la paroi intestinale en interagissant avec nos cellules immunitaires. Le non contrôle de l’inflammation par une insuffisance d’oméga-3 peut conduire à des changements neuro-comportementaux.

Les probiotiques, trouvés dans les aliments fermentés a un effet sur le système immunitaire, les lésions hépatiques, les maladies inflammatoires de l’intestin et le cancer colorectal, ainsi que l’obésité.

Outre les fibres, les vitamines et minéraux font partie des constituants susceptibles d’avoir un rôle sur la diversité et le fonctionnement du microbiote. Avec les polyphénols, les caroténoïdes et les composés soufrés ils permettent d’améliorer la santé de patients atteints du syndrome métabolique.

A l’opposé, la composition du microbiote intestinal et l’intégrité de la paroi intestinale peuvent être altérées par certains acides gras, contaminants et additifs.

Certains acides gras saturés lorsqu’en excès, de même qu’un rapport oméga-6/ oméga-3 trop élevé, perturbent le fonctionnement de l’écosystème microbien. Ainsi, un rapport oméga-6/ oméga-3 supérieur à 4 réduit la production d’acides gras à chaine courte, augmente la production de lipopolysaccharides et affecte l’intégrité de la paroi intestinale.

Les contaminants environnementaux, notamment les pesticides, peuvent altérer la composition du microbiote intestinal et les acides gras à chaine courte. Les études épidémiologiques et l’expérimentation montrent un effet de doses infimes de pesticides sur le microbiote ; ces doses étant parfois en dessous des limites maximales de résidus. La relation avec le microbiote est cependant dualiste car les bactéries répondent à leur toxicité en favorisant la croissance de celles les plus impliquées dans les mécanismes de détoxification.

Les émulsifiants alimentaires modifient la composition du microbiote intestinal et induisent une inflammation chronique de bas grade conduisant à des dérèglements métaboliques. Les édulcorants artificiels pourtant considérés comme bénéfiques en raison de leur faible contenu calorique génère une dysbiose et des anomalies métaboliques. Parallèlement, des études épidémiologiques montrent une relation entre niveau de consommation d’aliments ultra-transformés contenant ces types d’additifs et la présence de symptômes dépressifs et de désordres gastro-intestinaux.

Alimentation occidentale et microbiote

Le régime occidental se caractérise par une insuffisance de composants favorables et un excès de composants défavorables à la diversité du microbiote (Fig. partie inférieure).

La composition de la diète en France est éloignée des apports nutritionnels conseillés et surtout des besoins du microbiote. Par exemple, la consommation de fibres n’est que de 20 au lieu de 30g/j du fait d’une insuffisance de consommation de céréales complètes et légumineuses. L’insuffisance de consommations de légumineuses (recommandation deux fois par semaine, soit environ 8kg/an au lieu de 1,7 actuellement) est aussi associée à une consommation trop importante de viande rouge et de charcuterie (respectivement environ 1/3 et 2/3 des français dépassent les recommandations) sachant qu’une consommation trop élevée de protéines animales pourrait stimuler la croissance de bactéries pathogènes au détriment des bactéries bénéfiques, pouvant altérer la barrière intestinale. Par ailleurs, les produits animaux consommés ont pour la plupart une fonction inflammatoire du fait d’un rapport oméga-6/oméga-3 compris entre 4 et 12 alors que certains modes d’alimentation des animaux permettent d’avoir un rapport de 2, leur conférant ainsi une fonction anti-inflammatoire. De même, de la consommation excessive d’huile de tournesol et insuffisante d’huile de colza résulte un rapport oméga-6/oméga-3 de 8, supérieur à la recommandation qui est de 4. Il convient aussi de réduire la consommation d’aliments ultra-transformés qui constituent environ 35% de l’apport calorique. Enfin, il est aussi encouragé d’augmenter la consommation de produits issus de l’agriculture biologique, notamment pour réduire l’exposition aux pesticides qui est inférieure pour ceux qui consomment le plus de produits AB.

L’évolution de la diète moyenne au cours des 40–50 dernières années au regard de ce qui est attendu pour un microbiote sain est contrastée. Entre 1970 et 2010, un score nutritionnel calculé à partir de 15 nutriments montre une amélioration jusqu’en 2003, puis une stagnation. Cette amélioration pourrait s’expliquer notamment par la diminution de produits denses en calories et pauvres en nutriments, comme le sucre ou les matières grasses. La consommation d’aliments clefs comme les légumineuses a néanmoins diminué.

Certains facteurs défavorables au microbiote proviennent de l’industrie agroalimentaire. C’est le cas de composants tels que les huiles hydrogénées, les amidons modifiés et isolats de protéines, ainsi que l’ajout d’agents aromatisants, de colorants, d’émulsifiants, d’édulcorants souvent utilisés pour imiter les propriétés sensorielles des aliments non transformés ou peu transformés. Ces aliments ultra-transformés se caractérisent aussi par des teneurs en fibres et en micro-nutriments plus faibles que les produits peu transformés du fait des opérations de raffinage et cracking (fractionnement des matières premières agricoles (blé, maïs, soja, œufs, lait…) en composés plus petits par différentes opérations (enzymes, hautes températures…).

Les changements de pratiques agricoles ont pu aussi rendre l’alimentation moins favorable à un microbiote sain. Ainsi, si une réduction de l’utilisation des pesticides a bien été observée entre 1996 et 2014, ce n’est plus le cas depuis. Certains, bien qu’interdits, se retrouvent encore dans les eaux (atrazine interdite en 2001) et les urines (DDT interdit en 1971). On peut penser que l’exposition humaine ne s’est pas réduite au cours des cinquante dernières années. Un autre changement majeur concerne l’alimentation des animaux d’élevage et l’intensification des cultures. La forte réduction de l’utilisation de l’herbe pour nourrir les ruminants au cours de cinquante dernières années a contribué à réduire l’apport en oméga-3. Enfin, l’intensification de l’agriculture, associée à la sélection variétale, a pu réduire la teneur de certaines plantes en micro-nutriments. La baisse en micronutriments provient cependant plus du raffinement des matières premières que d’une baisse de qualité des produits agricoles.

Les composants clefs de l’alimentation impactant le microbiote se sont dégradés des années 50 à la fin des années 90 (fibres, oméga-3, consommation de viande et acides gras saturés, aliments ultra-transformés, résidus de pesticides), mais se sont stabilisés ou légèrement améliorés depuis, sans pour autant être suffisants pour permettre un microbiote sain.

Changer de paradigme pour se nourrir : aller vers un régime de type méditerranéen

Au-delà des propriétés nutritionnelles, technologiques, sensorielles et sanitaires souhaitées, la composition de la diète doit prendre en compte la disponibilité des nutriments pour nous-même, mais aussi pour notre microbiote. Il s’agit bien d’un changement de paradigme puisque le microbiote a des besoins nutritionnels spécifiques, ce qui suppose d’agir à tous les niveaux du système alimentaire : agriculture et transformation des matières premières pour améliorer l’offre en produits de qualité, mais aussi éducation et formation pour aider aux choix alimentaires et à la composition des menus.

Remplacer la consommation des céréales raffinées par des céréales complètes et consommer 8 au lieu de 1,7 kg de légumineuses par an permettrait d’augmenter l’apport de fibres de presque 10g/j soit le déficit moyen par rapport aux recommandations. Réduire la part de protéines animales, sources d’acides gras saturés et augmenter l’apport de protéines végétales est bénéfique pour le microbiote intestinal. De même, consommer des produits animaux issus d’une alimentation à l’herbe (ruminants) ou complémentés en lin (monogastriques), joint au remplacement d’une partie de l’huile de tournesol par de l’huile de colza permet d’atteindre les recommandations pour les oméga-3 et 6.

Un régime de type méditerranéen permet de moduler de manière optimale la diversité et la stabilité du microbiote ainsi que la perméabilité de la paroi intestinale et l’activité des fonctions immunitaires à partir de la consommation d’une diversité d’aliments végétaux, riches en composants alimentaires bioactifs anti-inflammatoires (par ex., composés phytochimiques ou polyphénols), expliquant un microbiote intestinal significativement différent des personnes ayant une alimentation de type occidentale. C’est alors un moyen de prévenir l’apparition de maladies dégénératives chroniques non transmissibles, ainsi que la sensibilité aux maladies infectieuses.

Une telle alimentation, préventive pour la santé, est cependant complexe à mettre en œuvre car cela suppose (i) de considérer ensemble les facteurs favorables et défavorables au microbiote, (ii) d’identifier les changements à faire au niveau de l’agriculture (les pesticides, certains micro-nutriments, les acides gras à longue chaine) ou bien dans la transformation des produits, (iii) d’adopter cette alimentation préventive dès la conception de l’enfant que les effets sont différés, potentiellement tout au long de la vie.

Les sociétés occidentales ont atteint un point de basculement à partir duquel il y a un dysfonctionnement du système immunitaire susceptible de raccourcir la vie en bonne santé des générations suivantes. En effet, un régime alimentaire de type occidental a vraisemblablement contribué à appauvrir le microbiote, et cela se transmet entre générations. Éclairer le consommateur est donc un enjeu de santé publique mais s’avère difficile car il est noyé sous une pléthore de labels et de recommandations. L’éducation, la formation, mais surtout la sensibilisation de l’ensemble des acteurs du système alimentaire devient incontournable pour atteindre cet objectif.

--

--