Revoir notre système alimentaire pour l’environnement et notre santé : quelles protéines produire et consommer ?

Duru
Agricultures positives
10 min readAug 4, 2019

Les limites du système alimentaire actuel pour la santé et l’environnement

L’agriculture et l’alimentation font problème pour la santé surtout du fait des pesticides (d’où souvent la grande attention pour le bio), et pour l’environnement surtout du fait de l’éloignement entre zones de production et de consommation (d’où l’engouement pour des systèmes alimentaires territorialisés).

Au delà de ces caractéristiques, le système alimentaire actuel est aussi critiquable du fait de son fort impact environnemental : dégradation des ressources (eau : nitrates), air (ammoniac), mais aussi du fait du niveau élevé des émissions de gaz à effet de serre (GES), qu’il s’agisse d’émissions directes (méthane, protoxyde d’azote) ou indirectes (déforestation). En outre, un régime alimentaire basé sur une proportion élevée de protéines animales est aussi critiqué du fait de son impact sur la santé (viande rouge et excès de consommation de produits ultra-transformés comme certaines charcuteries). Dans le même temps, les produits animaux peuvent être source de micronutriments d’intérêt pour la santé.

Sur la base des connaissances scientifiques récentes, il est suggéré de réduire fortement notre consommation de produits animaux (première partie), et pour les produire d’utiliser prioritairement les ressources (terres, co-produits de l’agroalimentaire) n’entrant pas en compétition avec l’alimentation humaine (deuxième partie). Compte tenu des effets des modes d’alimentation des animaux sur la composition des produits (viande, lait, œuf) en acides gras à longue chaine qui sont bénéfiques pour la santé, il importe de les prioriser en élevage et dans notre alimentation (troisième partie). Ces données scientifiques permettent de définir des systèmes alimentaires qui réduisent fortement notre empreinte environnementale tout en étant meilleurs pour la santé (quatrième partie). La question du bien-être animal, bien que fondamentale, n’est pas abordée ici.

Pourquoi faut-il réduire notre consommation de produits animaux ?

Dans un monde où les ressources sont « finies » et où les impacts environnementaux de nos activités doivent être réduits, la consommation moyenne de produits animaux dans les pays occidentaux doit être impérativement réduite. A ceci, trois raisons :

- l’efficience protéique (production de protéines animales à partir de protéines végétales) est faible, surtout pour les ruminants (de moins 0,1 pour la viande à 0,2 pour la production laitière). Ceci veut dire qu’avec 1kg de protéine végétale, il n’est produit que 0,1 à 0, 2kg de protéine animale. Cette efficience est plus élevée pour les monogastriques (0,4 pour le porc et 0,5 pour la volaille).

- les émissions de gaz à effet de serre (exprimées en eq CO2/100g de protéines) pour produire les protéines animales sont bien supérieures à celles générées pour la production de protéines végétales. Elles sont les plus élevées pour la viande rouge (50 pour la viande provenant de troupeaux allaitants spécialisés en viande, mais 17 pour la viande issue d’un troupeau laitier car dans ce cas les émissions totales sont partagées entre la production de viande et de lait). Elles varient de 4 à 11 pour les autres produits animaux (viandes de volaille et de porc, œuf, lait et laitage), et entre 0,3 et 2,7 pour différentes sources de protéines végétales (céréales, légumineuses…..).

- La compétition entre alimentation humaine et animale pour l’utilisation des terres (exprimée en m2 pour produire 100g de protéines animales) est élevée pour la viande (de 22 à plus de 150 selon que la viande rouge est un co-produit du lait ou non) ; moyenne pour les autres produits animaux (de 6 pour les œufs à 41 pour le fromage) et plus faible pour les graines (de 3 à 8).

Ces résultats doivent être pris en considération pour arbitrer les différentes utilisations des terres et de la biomasse. Ainsi, nourrir une population grandissante peut ainsi passer en partie par une substitution de protéines animales par des protéines végétales, et par forcément par augmentation unitaire des performances animales (par animal) et végétales (par ha).

Utiliser prioritairement les ressources n’entrant pas en compétition avec l’alimentation humaine pour nourrir les animaux

Une solution logique de ce qui précède est de cantonner l’élevage à l’utilisation de ressources (terre, co-produits) qui n’entrent pas en compétition avec l’alimentation humaine ou d’autres usages. L’élevage étant réduit, les émissions de GES le sont d’autant. De tels scénarios ont ainsi évalué aux échelles mondiale, européenne et française quelle serait la place de l’élevage pour ne pas entrer en compétition avec l’alimentation humaine. La question n’est pas simple car il y a controverse et débat sur les ressources considérées comme n’entrant pas en compétition avec l’alimentation humaine :

- Pour certains, il est considéré les ressources utilisées par les animaux qui ne sont pas consommables par l’homme (le maïs ensilage, le tourteau de soja). Mais d’autres auteurs considèrent que les surfaces utilisées pour produire le maïs et le soja pourraient être utilisées pour produire des protéines végétales pour la consommation humaine. La place accordée à l’élevage dépend alors fortement de l’hypothèse retenue.

- Il est considéré pour les ruminants que seules les prairies permanentes (non labourables) n’entrent pas en compétition avec l’alimentation humaine. Cependant certains auteurs considèrent qu’elles pourraient servir à la méthanisation, ce qui réduirait d’autant la surface disponible pour les animaux. A l’inverse, réintroduire des prairies temporaires à base de légumineuses dans des systèmes de grande culture permet de fournir des services intrants offrant l’opportunité de réduire les intrants de synthèse aux cultures.

En France, on peut estimer que 30 à 40 % du lait est fait à l’herbe, ce qui n’exclut pas pour autant l’utilisation de compléments azotés, mais dans une moindre mesure que pour les élevages où la ration de base est constituée de maïs. Pour les élevages allaitants, cette proportion est beaucoup plus importante et peut se rapprocher des 100%, excepté durant la phase d’engraissement où l’herbe constitue moins de 25% de la ration. Pour les monogastriques, les co-produits ne dépassent pas 15% de la ration.

Ces différentes données montrent que la réduction de la consommation de protéines animales devrait donc être ciblée sur celles issues d’élevages dont l’alimentation n’entre pas en compétition avec l’alimentation humaine. Ce choix permettrait en outre de réduire drastiquement les émissions de GES.

Atouts et inconvénients des produits animaux pour notre santé

Les produits animaux ont des atouts pour l’alimentation et la santé

Les produits animaux contiennent en moyenne 20 à 25 % de protéines, généralement plus digestibles que les protéines végétales et certains micronutriments spécifiques (vitamine B12, Fe.. Les végétaux peuvent contenir des teneurs similaires en protéines (graines de légumineuses par exemple), mais une fois préparés (cuisson dans l’eau), les valeurs observées sont plutôt autour de 10–15%. Un plat associant légumineuses et céréales (par exemple semoule-pois chiche) fournit un met équilibré en acides aminés ainsi que des fibres, ce qui permet de remplacer une partie des protéines animales.

Pour comparer différentes sources de protéines, il est possible d’utiliser le système d’indicateur SAIN-LIM :

- L’indicateur SAIN repose sur des caractéristiques de l’aliments favorables à la santé (teneurs en protéines, fer, vitamine B12 et omega 3);

- le LIM décrit les aspects défavorables de l’aliment (sels, acides gras saturés et sucres rapportés au seuils à ne pas dépasser).

De cette manière, les aliments peuvent être comparés pour les valeurs de SAIN et de LIM ou pour le ratio des deux critères. Sur cette base, on peut distinguer :

- les aliments à bon rapport SAIN/LIM (viandes rouges, volailles, yaourt avec les valeurs les plus élevées de SAIN ; légumineuses et pâtes avec les valeurs les moins élevées de SAIN)

- les aliments à rapport intermédiaire (porc, oeuf et tofu avec les valeurs les plus élevées de SAIN ; plats préparés comprenant de la viande avec les valeurs les moins élevées de SAIN)

- les aliments ayant un rapport défavorable (pain, pizza, charcuterie)

- les fromages et les poissons se caractérisent par un ratio très mauvais pour les fromages (à cause des acides gras saturés et du sel) et excellent pour les poissons (forte teneur en bons acides gras).

Le positionnement des aliments dans ce référentiel permet de prioriser certains d’entre eux au détriment d’autres. Il est cependant insuffisant pour prendre en compte tous les aspects relatifs à la santé. Par exemple, il est maintenant montré qu’un excès de consommation de viande rouge est un facteur de risque pour le cancer colorectal. De même, l’ultra transformation des produits (salage, fumage…) ou l’adjonction de certains additifs dans des plats à base de viande constituent un facteur de risque pour le développement de maladies chroniques.

Prioriser les modes d’élevage et les produits animaux les meilleurs pour notre santé

Outre l’excès de sucres rapides et d’acides gras saturés, ainsi que l’insuffisance de fibres et d’anto-oxydants notre alimentation se caractérise par un fort déficit en omega 3 (0,9g/jour) par rapport aux recommandations (1,8g/jour), de telle sorte que 95% de la population française n’atteint pas les recommandations. Les omega 6 ont un rôle pro-inflammatoires et les omega-3 anti-inflammatoires. L’inflammation chronique à bas bruit due à l’insuffisance d’omega 3 est un facteur de risque pour beaucoup de maladies chroniques (cancers….). Un indicateur d’une alimentation équilibrée en ces acides gras est un rapport omega 6/omega 3<4, alors qu’il est voisin de 10.

La particularité des produits animaux est que les teneurs en omega 6 et surtout 3 dépendent beaucoup des modes d’élevage. Les produits des monogastriques (œuf, poulet, porc), ainsi que le tofu ont un rapport Omega 6/3 supérieur à 9. Ils ne peuvent donc contribuer à contrebalancer les huiles qui sont très riches en omega 6 (huile de tournesol) ou d’avoir un ratio bien supérieur à 4 (olive, arachide, maïs et soja se retrouvant le plus souvent sous forme cachées) ; ces aliments sont donc « déséquilibrants ». A l’inverse, les produits de ruminants ou les céréales sont équilibrantes. Les légumineuses ont un rôle neutre puisqu’elles ne contiennent pas ces acides gras. Les poissons ont par contre un rôle très équilibrants. L’apport de lin, notamment chez les monogastriques, et dans une moindre mesure l’utilisation de l’herbe plutôt que du maïs chez les ruminants améliore considérablement la teneur en omega 3 et réduit fortement le rapport omega 6/3, de telle sorte que tous les produits animaux ont un rapport omega 6/3 favorable à la santé (<4).

Ces données montrent l’intérêt de privilégier les produits animaux correspondant à des modes d’élevage générant une composition des produits favorables à notre santé.

Vers des systèmes alimentaires plus sains et plus durables

Quels élevages dans nos campagnes et quelles protéines dans notre alimentation ?

La réduction de l’élevage et de la consommation de produits animaux permettrait d’améliorer notre système alimentaire en termes de santé et d’environnement. Il y a convergence et non contradiction entre les moyens à mobiliser pour ces deux enjeux.

Compte tenu de la nécessité d’accroître la production de produits bio-sourcés et de réduire fortement les émissions de GES pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la réduction de la consommation de protéines animales s’impose et vraisemblablement aussi la diminution de la production car les possibilités d’exportations ne sont pas extensibles. Le passage d’une alimentation contenant 2/3 de protéines animales à un apport équilibré (50–50), ainsi que la suppression de l’excès de consommation de protéines (20% environ) sont d’ailleurs recommandés pour des raisons de santé. Néanmoins, un régime alimentaire correspondant à une réduction plus importante de protéines animales (1/3 animal, 2/3 végétal, tout comme dans un régime de type méditerranéen), est reconnu comme bénéfique pour la santé et permet de réduire encore plus fortement les émissions de GES. Une étude épidémiologique de grande ampleur a d’ailleurs montré qu’un régime alimentaire comprenant une moindre consommation de protéines animales et basé sur des produits bio émettait moins de GES, bien que ces derniers en émettent souvent plus que les produits conventionnels. Les surfaces ainsi libérées seraient bien supérieures à celles nécessaires pour faire pousser des légumineuses appelées à remplacer une partie des protéines animales, et elles permettraient aussi de réduire les émissions importées, notamment du fait de la déforestation générée par l’utilisation massive des tourteaux de soja.

A l’échelle de la France, la simple atteinte des apports nutritionnels conseillés permet déjà une réduction des émissions de GES de 13%. Les régimes passant à deux tiers de protéines végétales permettent une réduction de 31 à 36% et le régime qui combine en plus une forte baisse des protéines totales de 62%.

Il en est de même des surfaces utilisées pour l’alimentation qui peuvent diminuer de plus de 50% pour le régime à 60 g de protéines totales. En outre, ces options permettraient de réduire les émissions de GES de manière durable et non transitoire comme le sont des mesures telles que le stockage de carbone dans les sols. La dernière option correspond à une véritable transition du système alimentaire car elle concerne un plus grand nombre d’enjeux (santé, réchauffement climatique, sécurité alimentaire, pollutions, déforestation…..).

Figure 1 Comparaison de 4 régimes alimentaires pour la santé et l’environnement (flèches bleues) selon la part de protéines animales (ordonnée) et la qualité de l’alimentation caractérisée par les indicateurs synthétiques « sain-lim » (cf supra) et des caractéristiques complémentaires

Notons aussi que les effets d’un tel changement de régime alimentaire sur la santé seront d’autant plus élevés que :

- les produits animaux seront issus d’animaux nourris de façon à maximiser la composition en acides gras d’intérêt pour la santé ;

- que les protéines végétales consommées ne correspondent pas à des produits pas ultra-transformés (certains steaks végétaux, fromages analogues, préparations à base de tofu….) dans la mesure où la consommation de ce type d’aliments, tout comme les boissons sucrées, constitue un facteur de risque pour le développement de maladies chroniques : cancer, maladies cardiovasculaires.

Principaux verrous pour la transition

Modifier aussi profondément notre système alimentaire que le suggère les analyses présentées nécessite un changement de paradigme à la fois dans l’agriculture, la transformation, l’alimentation, et la santé. Les politiques de l’agriculture et de l’alimentation étant séparées, et l’UE n’ayant pas de compétence principale en matière de santé, fait que c’est sans doute une des raisons pour laquelle ce changement n’est pas encore à l’agenda des gouvernements européens. À ce jour, ni la politique de l’UE, ni celle des États membres, n’a encore choisi de focaliser l’attention du public sur «le problème de l’élevage» en tant que tel. Pourtant, le défi posé par l’élevage étant systémique, une approche plus stratégique du système alimentaire européen est nécessaire.

Compte tenu des services que rend l’élevage dans les domaines socioéconomiques (marché, emploi, culture), une transition telle que suggérée doit absolument être accompagnée par les politiques publiques dans la mesure où elle nécessite de profondes réorganisations des filières, en les déclinant à l’échelle des territoires compte tenu des différences territoriales dans la diversité des bouquets de services fournis et dans les impacts.

Enfin, les consommateurs, de par les choix d’achat qu’ils font, constituent une force pour peu qu’ils soient sensibilisés aux impacts de leur choix et informés. Un étiquetage environnemental, complémentaire à l’étiquetage nutritionnel, faciliterait leurs choix.

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