Labels, signes de qualité et notations de produits agricoles et alimentaires : ce qu’il faut savoir pour y voir plus clair

Duru
Agricultures positives
12 min readJan 18, 2023

Les labels et signes de qualité se sont progressivement développés depuis la seconde guerre mondiale pour informer et rassurer les consommateurs alors que l’industrialisation du système alimentaire les a fortement éloignés des agriculteurs. Ils sont associés à des cahiers des charges mentionnant l’ensemble des exigences auxquelles les pratiques agricoles et de transformation ces produits doivent souscrire.

Plus récemment, des scores nutritionnels ont été conçus pour informer les consommateurs de la composition nutritionnelle des produits alimentaires pour leur valeur santé. Des initiatives sont en cours pour évaluer les impacts environnementaux des produits alimentaires.

Cet article apporte des éclairages pour identifier les atouts, faiblesses, complémentarités et divergences entre ces différentes sources d’information pour une alimentation saine et durable.

Ce qu’il faudrait manger pour une alimentation saine et durable https://eatforum.org/eat-lancet-commission/the-planetary-health-diet-and-you/

1- Une multiplicité de signes de qualité et scores nutritionnels et environnementaux

Etant basés sur des obligations ou interdictions quant aux pratiques à mettre en oeuvre, les cahiers des charges correspondent à des indicateurs de moyens. Ils mettent en avant les qualités et spécificités du produit qui constituent des promesses, sans pour autant que le consommateur puisse vérifier qu’elles soient toutes réalisées.

Une profusion de labels et signes de qualité https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/Signe-de-qualite

Quatre labels publics sont reconnus au niveau européen et français. La certification européenne « agriculture biologique AB» garantit un mode de production respectueux de l’environnement, notamment du fait de l’interdiction d’utiliser des engrais et des pesticides de synthèse. Le Label rouge (LR), signe français, certifie un produit de qualité supérieure à celle des produits courants, sans lien avec un lieu de production. A l’inverse, l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) pour la France et l’Appellation d’origine protégée (AOP) pour l’Europe garantissent le lien d’une production avec un terroir et une tradition de production et de transformation. Ces deux labels consacrent une production déjà existante. L’Indication géographique protégée (IGP) est une appellation européenne qui garantit le lien d’un produit avec son territoire d’origine, alors que la Spécialité traditionnelle garantie (STG) garantit une qualité liée à une tradition sans lien à un terroir précis.

Des mentions valorisantes officielles comme « produit fermier », « produit de montagne » ou « produits de pays » indiquent un mode de production spécifique qui suit un processus de fabrication normalisé et certifié.

La mention « issue d’une exploitation de haute valeur environnementale » (HVE) est récente. Elle a succédé à l’agriculture raisonnée. Son cahier des charges vient d’être révisé compte tenu de l’insuffisance d’exigences pour réduire les impacts environnementaux. Le cahier des charges de ces produits peu ou pas transformés est élaboré par l’ensemble des acteurs de la filière (producteurs et transformateurs), agréé par l’INAO, et contrôlé par des organismes certificateurs indépendants, et publié au Journal Officiel.

En plus des signes officiels, il existe un nombre important de marques ou de signes privés mis en place par des organismes professionnels ou des distributeurs dans le but de crédibiliser leurs produits pour leur intérêt santé et/ou environnemental. A la différence des signes officiels, ils ne sont pas contrôlés par les pouvoirs publics.

Plus récemment, des initiatives publiques et privées sont à l’origine de scores pour évaluer la valeur nutritionnelle des produits alimentaires ou leurs impacts environnementaux. L’objectif est d’éclairer les consommateurs pour choisir des produits au sein d’une même catégorie. En France, le score pour qualifier la valeur nutritionnelle des produits soutenu par l’état est le Nutriscore. Des initiatives privées (Yuka) prennent en compte d’autres caractéristiques comme le degré de transformation des produits (score Nova) pour évaluer leur valeur santé. Les scores pour évaluer les impacts environnementaux des produits alimentaires sont en construction. Ils vont de la source à la tombe, prenant ainsi en compte l’amont de l’agriculture, mais aussi le transport, la transformation et le recyclage.

Le consommateur dispose donc d’une masse considérable d’informations accessibles au travers de logos (le label, la marque) ou d’un score. Mais cette massification de l’information introduit de la confusion.

Le but de cette note est d’apporter un éclairage sur les spécificités, complémentarités, divergences et redondances entre labels, signes de qualité et scores au prisme de la littérature scientifique.

Nous aborderons trois questions :

- Que peut-on dire des signes de qualité : qu’apportent-ils vraiment par rapport aux produits sans labels et tiennent-ils leurs promesses ?

- Comment sont calculés les scores nutritionnels et environnementaux ? sont-ils adaptés pour aller vers une alimentation saine et durable ?

  • Quel lien entre les labels ou signes de qualité et les scores nutritionnels et environnementaux ?
Les trois questions auxquelles nous répondons

2- Que peut-on dire des labels et signes de qualité ?

2.1 Evaluation de modes de production bien documentés avec ou sans signe de qualité

Les articles scientifiques ne comparent généralement pas les labels. Cependant un grand nombre d’études fournissent des évaluations détaillées pour les produits agricoles issus de l’agriculture conventionnelle (assimilable à l’agriculture raisonnée) et de l’agriculture biologique. Quelques-unes comparent aussi des formes d’agriculture agroécologique basées sur des cahiers des charges (agriculture de conservation des sols pour les productions végétales ; marque Bleu Blanc Cœurpour les productions animales), ainsi que pour des produits estampillés Label Rouge. Ces comparaisons portent sur les impacts des modes de production (consommation de ressources et pollutions) et les services qu’ils fournissent à la société (régulation du climat et de l’eau, valeur santé des produits du fait d’une plus grande densité nutritionnelle et/ou d’une moindre teneur en résidus de pesticides). Le bien-être animal est aussi considéré.

Les évaluations d’impacts et de services synthétisées dans le tableau 1 correspondent chacune à plusieurs indicateurs qui ne sont pas pondérés, et le classement fait ne pondère pas non plus impacts et services. Sur cette base, les produits avec labels ou signes de qualité sont mieux évalués que ceux issus de l’agriculture conventionnelle du fait d’un plus grand nombre de services rendus à la société, bien que parfois le mode de production conventionnel soit mieux noté pour les impacts et la consommation de ressources. Les produits issus de l’agriculture biologique sont aussi bien (lait), ou un peu moins bien (grandes cultures, poulets) que ceux respectivement issus de l’agriculture de conservation des sols ou la filière Bleu Blanc Cœur. Cependant, une pondération des critères donnant plus de poids aux indicateurs d’écotoxicité et de toxicité humaine inverserait le classement entre ces modes de production.

Tableau 1 Evaluation qualitative des impacts, ressources et services de produits agricoles selon les modes de production d’après des données expérimentales. A : moins d’impacts ou plus de services à la société ; * : synthèse de plusieurs indicateurs ; ** classement pour les trois critères sans pondération (1 correspondant à la meilleure note)

2.2. Les produits avec labels et signes de qualité tiennent-ils leurs promesses ?

La comparaison d’une quinzaine de labels, certifications, marques privées, démarches de progrès pour leurs impacts sociaux, économiques et environnementaux pour cinq problématiques centrales (biodiversité, climat, santé humaine, bien-être animal et atteinte d’un revenu décent pour l’agriculteur) montre des niveaux très différents d’ambitions en termes de durabilité et d’atteinte de ces ambitions (tableau 2). Ainsi, des différences s’observent entre productions animales ayant le même label : le label rouge est plus ambitieux pour le poulet que pour le porc. Les fromages Comté et Cantal, tous deux ayant le label AOP, ont des notes respectivement élevées et faibles tant pour les composantes environnementales que sociales de l’évaluation. Par ailleurs, une étude récente confirme la faible ambition du label HVE. On peut même dire que c’est une allégation usurpée.

Ces classements de démarche de durabilité ont été comparés à ceux du tableau 1 qui eux sont basés sur une évaluation qualitative des impacts, ressources et services de produits agricoles selon les modes de production d’après des données expérimentales. Pour quatre labels ou signes de qualité où la comparaison est possible on notre un classement cohérent (dernière colonne du tableau 2).

Tableau 2 Comparaison des ambitions (1 étant le plus élevé) et du niveau de réalisation de labels et signes de qualité pour plusieurs indicateurs environnementaux, de santé humaine et de bien-être animal

2.3 En résumé pour y voir plus clair

Les produits issus d’une agriculture avec cahiers des charges publics ou privés présentent en général des atouts pour la santé et/ou l’environnement que les produits provenant d’une agriculture conventionnelle n’ont pas. Ces atouts proviennent surtout des services que ces formes d’agriculture fournissent à la société.

Les produits avec labels et cahiers des charges ont des niveaux d’ambition très différents les uns des autres, y compris au sein d’un même label. En outre, le degré de réalisation des ambitions varie beaucoup entre labels et signes de qualité, qu’ils s’agissent de cahiers des charges publics ou privés.

Enfin, on observe une convergence des évaluations entre une approche basée sur la littérature scientifique (synthèse, méta-analyse) et une approche plus empirique basée sur l’analyse des cahiers des charges et des entretiens avec les promoteurs des démarches de durabilité.

3- Quels atouts et limites des scores pour la santé et l’environnement ?

3.1 Des scores nutritionnels perfectibles pour une alimentation santé

Le Nutriscore permet d’évaluer la valeur nutritionnelle des aliments avec code barre. Il est calculé uniquement à partir d’informations visibles sur l’emballage. Un algorithme permet de calculer le niveau des composantes de l’aliment favorables à la santé (fibres, protéines, fruits et légumes, fruits à coque et légumineuses) et inversement défavorables (calories, sel, sucres, acides gras saturés) pour 100g. Il est conçu pour comparer des aliments d’une même catégorie. Le Nutriscore n’est donc pas adapté pour prendre en compte les effets des pratiques agricoles sur les contaminants (résidus de pesticides) et la densité nutritionnelle en micronutriments (oméga-3, vitamines…). Il ne tient pas non plus compte du degré de transformation des aliments qui est maintenant évalué comme impactant la santé. En conséquence, il n’y a pas de lien entre le score et les façons de produire et de transformer, ni avec les cahiers des charges, puisque les scores sont établis en fonction de ce qui est écrit sur l’étiquette.

Deux scores pour qualifier la valeur santé des alimentshttps://comprendre.ethicadvisor.org/blog/nutri-score-nova-score-mais-encore

A la différence, Nova est une catégorisation des aliments en quatre catégories selon le degré de transformation. La 4èmecorrespond aux aliments ultra-transformés qui comprennent des ingrédients purifiés et/ou dénaturés : sirop de glucose, isolats de protéines, des arômes naturels ou artificiels, ainsi que des additifs dits « cosmétiques » destinés à modifier le goût, la texture, la couleur des aliments.

De ce fait, les produits bien notés par le Nutriscore (A et B) peuvent correspondre à des produits ultra-transformés. Une proposition est d’entourer le logo du Nutriscore par une bordure noire pour identifier les aliments ultra-transformés des autres, quel que soit la note du Nutriscore. Une qualification plus complète de l’aliment est possible en distinguant les produits AB des autres pour tenir compte des résidus de pesticides qui impactent notre santé.

3.2 Des scores environnementaux complexes à concevoir

Un score environnemental est plus compliqué à élaborer qu’un score nutritionnel. Une initiative publique, appelée Eco-score, a été prise. Elle s’appuie d’abord sur l’analyse du cycle de vie (ACV) en utilisant la base de données d’Agribalyse. Agribalyse se basant sur des moyennes d’impacts par produit, il n’est pas possible de tenir compte des pratiques agricoles effectives qui dépendent des modes de production. C’est pourquoi un système de bonus/malus est proposé pour prendre en compte certaines caractéristiques du système de production (bio …), la saisonnalité pour les fruits et légumes (malus si hors saison), l’origine pour le transport et la recyclabilité de l’emballage (voir encart).

Un bonus si le produit porte un label officiel (bio, commerce équitable, MSC/ASC mais aussi Label Rouge par ex.) : + 5 à 20 points.

Un bonus sur base de l’origine des ingrédients (transport, politique environnementale du pays de production) : + 0 à 15 points.

Un bonus/malus si l’aliment contient des ingrédients qui ont un impact sur la biodiversité et les écosystèmes (par ex. l’huile de palme et la déforestation) : -5 à +5 points.

Un malus lié à l’emballage (suremballage…) : 0 à -15 points.

Au cours de la phase d’expérimentation en cours, des acteurs privés se sont fédérés pour construire un score prenant mieux en compte les modes de production. Le Planet-score combine l’ACV pour comparer des catégories d’aliments pour quatre enjeux (santé et toxicité environnementale, biodiversité et écosystèmes, climat, ressources), et des indicateurs complémentaires pour comparer des aliments au sein d’une même catégorie, auxquels s’ajoute une note pour le bien-être animal. Pour chaque enjeu, l’ACV est complétée de la manière suivante, avec des bonus-malus :

- Pour la biodiversité : pesticides, antibiotiques, pratiques agricoles, origine de la production, irrigation (pendant la période d’étiage), emballage ;

- Pour le climat : déforestation, transport avion, stock de carbone, engrais de synthèse, approvisionnement local et produits hors saison ;

- Pour la santé environnementale (pesticides et antibiotiques) : intensité d’usage à la production pour chaque ingrédient et danger de chaque substance.

Un algorithme permet de pondérer les notes des items pris en compte pour chacun des enjeux.

D’une manière générale, le Planet-score prend bien mieux en compte les impacts des pratiques agricoles sur la biodiversité que l’Eco-score si bien que les produits issus d’une agriculture écologique (bio…) sont mieux notés, alors que l’inverse est observé avec l’Eco-score, surtout car les rendements sont meilleurs et les émissions par unité de produit généralement plus faibles.

Deux démarches pour évaluer l’impact environnemental des produits alimentaires https://www.processalimentaire.com/vie-des-iaa/l-eco-score-et-le-planet-score-livrent-leurs-premiers-bilans-d-etape

4-Les signes de qualité sont-ils congruents avec les scores nutritionnels et environnementaux ?

4.1 Pour la santé

La proposition basée sur un ou plusieurs scores nutritionnels (Nutriscore + Nova), même complétée par la certification AB, n’est pas adaptée pour tenir compte de l’effet des pratiques agricoles sur la densité nutritionnelle des produits. C’est pourquoi, la prise en compte des spécificités des produits ayant un cahier des charges susceptible d’améliorer la densité des produits en micro-nutriments devrait être considérée pour enrichir le score. Cela suppose d’accéder à d’autres informations que celles présentes sur l’étiquetage obligatoire. C’est possible en utilisant la base de données Ciqual, et en la complétant lorsque des informations fiables sont disponibles (exemple filière Bleu-Blanc-Coeur). Ainsi, sur la base de l’évaluation des cahiers des charges (tableau 2), certaines allégations seraient à promouvoir pour les avantages qu’elles confèrent : oméga-3 pour les produits Bleu Blanc Cœur et des fromages issus d’un lait à l’herbe comme le Comté, plus grande densité nutritionnelle pour les produits issus d’une agriculture régénératrice.

4.2 Pour l’environnement

Pour compléter l’ACV, l’Eco-score s’appuie sur les cahiers des charges connus et attribue forfaitairement des bonus. Le Planet-score va au-delà en renseignant bien plus finement les pratiques agricoles, leurs effets (pesticides), l’origine géographique (déforestation) et l’état des agrosystèmes (stock de carbone dans les prairies permanentes).

Les scores sont censés être des indicateurs de résultats, donc être plus fiables que les cahiers des charges qui sont des indicateurs de moyens qui nous l’avons vu ont des ambitions différentes qui de plus ne sont pas toujours atteintes.

Des modes de calculs associant l’ACV et une prise en compte de services rendus par l’agriculture à la société sont donc à construire.

5- Penser l’alimentation saine et durable au-delà des scores et cahiers des charges

La création des cahiers des charges et des scores répond à un besoin croissant d’informations et de transparence pour les consommateurs, mais leur multiplicité conduit à de la confusion.

Les cahiers des charges présentent des atouts certains par rapport aux produits qui n’en n’ont pas ; cependant, ils mettent en avant un nombre d’atouts variables et les ambitions affichées ne sont pas toujours atteintes. Les impacts et services concernés ne sont quantifiés que pour quelques-uns. Les scores nutritionnels ne recouvrent pas toujours l’ensemble des caractéristiques pertinentes. A ce jour, c’est au consommateur d’en coupler plusieurs. Les scores environnementaux sont encore en devenir.

Les cahiers des charges et les scores ne sont pas suffisants pour s’assurer d’un système alimentaire sain et durable. En effet, une alimentation saine porte autant sur la composition des menus (les différents aliments) que sur la valeur nutritionnelle des aliments qui le compose. Ainsi, on peut avoir de bons aliments (au sens Nutriscore ou de Nova) et un régime alimentaire déséquilibré en acides gras ou bien insuffisant en fibres et en anti-oxydants. Un régime alimentaire équilibré peut-être non durable car composé d’aliments issus d’une agriculture impactante sur l’environnement ou de produits produit à contre saison. De même, une agriculture durable nécessite de prendre en compte l’ensemble des impacts du système de production dont les produits sont issus. En effet le produit agricole concerné par le cahier des charges ne préjuge pas de la façon dont les autres productions de l’exploitation agricole sont conduites ; on ne sait pas si l’agriculteur tire bien partie des synergies entre ses différentes activités (culture et élevage ; production d’aliments et d’énergie…).

En résumé, ce n’est pas le produit agricole ou l’aliment qui sont durables, mais le système de production et le régime alimentaire dans lesquels ils s’inscrivent. Pour ces raisons, il importe de contextualiser les signes de qualité et les scores des produits pour préciser dans quelle vision du système alimentaire ils s’insèrent. Agissant sur la demande et l’offre alimentaires, les scores tout comme les cahiers des charges reflètent de fait une vision de la transition agricole et alimentaire.

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