Doit-on encore investir dans le développement de fermes verticales ?

Djalil Reghis
Agroecology Capital | France
6 min readAug 27, 2019

Auteurs: Djalil Reghis et Nicolas Denjoy

© sompong_tom

Le rapport d’Agroecology Capital sur les fermes verticales est téléchargeable en intégralité sur le site d’Agroecology Capital. Il décrit les tendances de marché et les investissements réalisés dans le secteur depuis 2010.

Assurer la sécurité alimentaire et développer la qualité des aliments dans un contexte de tension sur les ressources naturelles est un enjeu de taille pour le système agricole.

La culture verticale promet de surmonter certains de ces défis en cultivant localement et efficacement des produits frais sans produits chimiques. Elle permet aussi d’augmenter considérablement les rendements en utilisant moins de terres et moins d’eau. Son mode de production offre une surveillance constante de la qualité des produits cultivés.

Ces promesses, combinées à la capacité des fermes verticales à industrialiser la production de variétés à forte valeur ajoutée (légumes-feuilles et herbes aromatiques) sont autant de facteur favorisant la disruption d’un marché de plusieurs milliards de dollars (rien que pour le marché U.S. des légumes-feuilles). Cette conjoncture a permis à un certain nombre de start-ups de lever des sommes considérables auprès d’investisseurs intéressés par une possible recomposition de la chaîne de valeur alimentaire.

L’investissement dans les fermes verticales connaît une croissance forte

Afin d’évaluer la magnitude des changements en cours, Agroecology Capital a analysé chacune des transactions réalisées dans le secteur entre 2010 et 2019 (sur une base mondiale). Pour les besoins de cette étude, seules les sociétés ayant développé des solutions intégrées avec une forte composante d’innovation technologique ont été retenues. Les 31 sociétés étudiées ont reçu au total 873 millions de dollars de financement entre 2010 et 2019 (voir la liste des sociétés étudiées dans notre rapport détaillé).

Source : Agroecology Capital Research, 2019. Données Pitchbook, Crunchbase, CB Insights, et données du marché.

Le segment des fermes verticales a représenté une part croissante de l’investissement dans les nouvelles technologies de l’Agriculture (AgTech). Les financements d’AeroFarms (2013 et 2017) et de Plenty (200 millions de dollars en 2017) ont permis à ce segment d’atteindre une part considérable du total des investissement AgTech (10% en 2013 et 15% en 2017).

Sans surprise, les États-Unis ont concentré 89% des investissements totaux du secteur entre 2010 et 2019.

Source : Agroecology Capital Research, 2019. Données Pitchbook, Crunchbase, CB Insights, et données du marché.

Malgré une proposition de valeur attractive, l’investissement dans des fermes verticales reste un pari risqué pour les investisseurs

Les coûts actuels de production, par exemple, souffrent la comparaison avec ceux de l’agriculture conventionnelle. La majorité des intrants gratuits (air, lumière, eau, CO2) représentent des sources de coûts considérables dans une atmosphère régulée. Dans certaines des startups étudiées, le coût de production d’une tête de salade en culture verticale atteint le double de celui d’une tête de salade cultivée en plein champs. L’efficience énergétique[1] des fermes verticales devient de ce fait, un facteur critique pour la compétitivité de cette nouvelle industrie.

L’intensité capitalistique nécessaire au déploiement de nouvelles fermes constitue également un défi important. L’industrie ne pouvant compter sur une « compétitivité coût » ni sur un potentiel effet de réseau (network effect), il pourrait devenir difficile de financer la croissance et la multiplication des implantations. Les potentielles économies d’échelle demeurent quant à elles incertaines si ce n’est insignifiantes, bien qu’il pourrait être envisagé de négocier les coûts liés aux besoins énergétiques. Il reste néanmoins que cette solution n’a pas encore été éprouvée en pratique compte tenu de l’échelle réduite des processus de production actuels.

De surcroît, les fermes verticales se sont jusqu’à maintenant concentrées sur un nombre de cultures limitées. Les légumes-feuilles et les herbes aromatiques sont des cultures relativement simples à réaliser dans des fermes verticales à environnement contrôlé, mais d’autres cultures pourraient être plus complexes à réaliser à grande échelle. Le manque de recherche scientifique appliquée sur le sujet reste un autre problème pour le secteur tout entier, notamment au regard du type de semence employé.

Par ailleurs, aucun acteur n’a à ce jour démontré qu’il existe un marché adressable prêt à accepter de payer un prix plus élevé pour consommer un produit supérieur ou cultivé de façon différente. La capacité des acteurs du secteur à s’extraire de la vente d’un produit de type « commodité » et à discriminer par le prix n’a pas encore été démontrée à ce jour.

Enfin, ce secteur, malgré les sommes investies, en est encore à ses débuts et il est difficile de prédire qui deviendra l’acteur de référence de l’industrie. La variété des modèles économiques, tels que la vente sous-licence de solutions technologiques ou de gestion de fermes verticales (les deux principaux modèles en vigueur) peut être un signe que cette industrie, encore peu mature, est en quête du modèle économique idoine.

Quelles opportunités d’investissement dans ce secteur encore peu structuré : Intégration verticale vs. Spécialisation

© Michael Sapryhin

La chaîne de valeur de l’agriculture verticale pourrait, à terme, se rapprocher de celle de l’agriculture conventionnelle. Par analogie, la plus importante partie de la valeur créée pourrait être majoritairement capturée par des acteurs spécialisés en position oligopolistique, à des étapes clés de la chaîne de valeur (plateformes de bio-ingénierie, sociétés spécialisées dans les produits de grande consommation, fournisseurs de solution de production, nouveaux acteurs développant des modèles économiques innovants).

Source : Agroecology Capitals Research, 2019

Être capable de développer des semences de qualité, adaptées à la culture verticale (i.e. semences adaptées à la culture en environnement contrôlé, variétés miniatures) permettrait de générer de meilleurs rendements et des produits de meilleure qualité. L’augmentation de la variété des cultures, à des prix économiquement viables, pourrait aussi augmenter la taille du marché adressable. Ce secteur sera probablement un marché cible pour les investisseurs du secteur dans les années à venir.

Démontrer la qualité supérieure des produits cultivés verticalement permettrait aussi de développer des marques fortes susceptibles de créer de nouvelles catégories de produits. Cette segmentation devrait, elle-aussi, permettre une meilleure valorisation des productions à travers un positionnement « premium ». On peut dès lors imaginer que les sociétés déjà spécialisées dans l’alimentation et dans les marchés de grande consommation, trouveront dans les produits de la culture verticale une opportunité de marché susceptible de capturer de la valeur.

Concevoir des suites technologiques complètes destinées à la culture verticale (équipements et logiciels) permettrait d’augmenter la qualité des produits et de diminuer les coûts de production. La donnée collectée jouera certainement un rôle central dans l’augmentation des rendements et dans la stabilisation/optimisation des processus de production. Toutefois, faire pousser un végétal, à la différence de la fabrication d’un processeur, n’est pas une activité pouvant obéir à la loi de Moore. L’impact de la technologie, s’il promet d’être majeur, devrait devenir plus marginal au cours du temps et la valeur créée pourrait se déplacer de l’équipement, vers le logiciel et in fine vers la donnée et à son traitement.

La mise en place de modèles économiques innovants pourrait résoudre une partie des problèmes de déploiements. En externalisant le financement des outils de production par la mise en place de réseaux de franchise, il serait possible de déporter sur les franchisés les contraintes liées à l’intensité capitalistique du modèle. Cela permettrait en outre aux acteurs de concentrer leurs ressources sur le développement de technologies clés sans avoir à se préoccuper du financement de la production.

En conclusion, un secteur d’avenir qui va probablement encore évoluer entre volonté d’intégration et de spécialisation

Même si le marché de la culture verticale n’a pas encore trouvé son modèle économique de référence, son développement ne fait aucun doute et reste porté par des tendances de marché puissantes (sécurité alimentaire, qualité des produits, réduction importante du volume de produits phytosanitaires).

Toutefois, les acteurs du secteur doivent trouver un modèle de déploiement des technologies employées rapide et profitable. Très intégrées verticalement, ces sociétés apparaissent exposées à l’entrée sur le marché d’acteurs oligopolistiques dans des points clefs de leur chaîne de valeur, que ce soit en amont (fournisseurs de semences à valeur ajoutée), au niveau de la production (technologies d’automation et de traitement des données), ou en aval (capacité d’acteurs de biens de large consommation à imposer une nouvelle catégorie de produits).

La spécialisation des modèles économiques devrait permettre d’explorer ce nouveau gisement de valeur pour le consommateur et pour les investisseurs.

[1] Nombre de calories produites rapportée au kWh consommé

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