Interview de Ziad Doueri

Alma Mater
Alma Mater
Published in
4 min readMar 2, 2018

Ziad Doueri est un réalisateur d’origine libanaise. Après West Beyrouth et L’Attentat, son nouveau film L’Insulte, nominé aux oscars pour le prix du meilleur film étranger, est sorti en salle le 31 janvier. La saison 2 du Baron Noir, qu’il a aussi réalisé, est diffusée depuis le 22 janvier sur Canal Plus.

« Le cinéma aime le conflit »

J’ai quitté Beyrouth en 1983, et je suis allé aux Etats-Unis pour faire des études de cinématographie, spécialisé en chef opérateur. Dans mes premiers boulots, je touchais à tout : décor, assistant monteur, machiniste… Mais je savais que je voulais travailler avec la caméra. En 1991, j’ai été engagé comme assistant caméra sur Reservoir Dogs de Tarantino. J’ai travaillé sur cinq de ses films. En 1997, arrivé en France, j’ai toqué à la porte de 3B Productions. Ils ont lu mon scénario et ont accepté de produire mon premier film : West Beyrouth.

Baron Noir était votre première expérience pour la télévision ?

C’était un challenge. On a tourné Baron Noir comme on tourne un long-métrage. C’était ma condition pour travailler avec Canal Plus. C’était un peu difficile parce qu’on est restreint par le temps, mais je pense qu’on a réussi à créer un look. C’était une très belle expérience.

Comment choisissez-vous les sujets de vos films ?

Je parle de mes expériences. J’ai toujours un lien avec mon pays natal parce qu’il est très riche en conflits. Et le cinéma aime le conflit. En plus, je suis de nature conflictuelle. J’aime quand ça explose, parce que c’est quand on est dans un état de conflit que notre personnalité ressort.

Vos films abordent des sujets sinon tabous, du moins sensibles…

Je veux dire la vérité. C’est un choix personnel. Au Moyen-Orient, il y a beaucoup d’abus, d’injustice, on cache beaucoup de choses parce que les dictatures veulent rester en place. Quand tu dis la vérité, tu es juste. Quand j’étais enfant, on se faisait arrêter et tabasser quotidiennement, on m’a battu plusieurs fois sur les barrages de l’occupation syrienne. Je ne suis pas idéaliste. On est souvent exposé à l’injustice dans les moments les plus simples de notre vie. L’Insulte parle d’une injustice.

Vous considèrez-vous comme un réalisateur engagé ?

Non, je déteste ce terme. Un réalisateur engagé est quelqu’un qui veut faire passer un message, ce qui rend le film artificiel. Un cinéaste doit raconter une histoire. Les messages, c’est quelque chose que le spectateur en tire. Mes films se situent au Moyen-Orient, populairement lié à la politique. Mais c’est pas mon truc ; moi je suis dans la dramaturgie. Baron Noir est une série politique pure et dure, c’est vrai, mais c’est une exception.

Comment vos films ont-ils été reçus au Liban ?

On a tourné L’Attentat en Israël. La loi libanaise interdit d’y aller parce que le Liban et Israël sont toujours en état de guerre. Je savais que c’était risqué. Au Liban, quand ça s’est su — parce que je l’ai dit — il y a eu une vague de colère énorme à travers la gauche, qui a monté une campagne et forcé le gouvernement et 22 pays arabes à interdire le film. On m’a collé le mot de « collabo »… Quand je suis revenu en 2017 pour tourner L’Insulte, l’État libanais a tourné la page. On m’a donné les permis de tournage. Quand L’Insulte est sorti, le groupe de gauche a mené une campagne virulente pour interdire le film. Mais il a été sélectionné pour représenter le Liban aux Oscars et il est numéro un aux guichets. En revenant du festival à Venise, j’ai été arrêté à la frontière libanaise, et mis en prison pour avoir été en Israël il y a cinq ans. Mais j’ai été acquitté le lendemain par prescription.

Cette accusation cinq ans plus tard était surtout un moyen de faire barrage à L’Insulte, non ?

Au Liban et dans le monde, les palestiniens ont toujours été montrés comme les victimes ultimes. Mais j’ai découvert qu’ils avaient eux aussi commis des massacres horribles, dont personne ne veut parler. L’Insulte parle de cette vérité, et montre que les palestiniens ne peuvent pas avoir l’exclusivité de la souffrance, ce qui a posé problème. Parce qu’en disant cette vérité, certains ont trouvé que je réduisais l’importance de leur cause. Ce ne sont pas les palestiniens des camps de réfugiés qui ont attaqué mon film, mais la bourgeoisie, l’élite palestinienne. Et c’est dommage parce que ce dont parle le film, c’est de réconciliation.

Propos recueillis par Charlotte Bréhat

--

--