[Synthèse] Les principales leçons du Climate Emergency Design Guide — LETI

Alice Duvivier
Alternative Builders
9 min readMar 17, 2021

Le “Climate Emergency Design Guide”, publié le 27/01/2020 par LETI donne les clés pour une construction neuve alignée avec les objectifs climat à l’horizon 2050.

LETI, un réseau anglais dynamique en quelques mots

Le réseau LETI (London Energy Transformation Initiative) regroupe plus de 1000 professionnels multidisciplinaires volontaires de la construction œuvrant ensemble pour accompagner la ville de Londres vers un avenir zéro carbone. L’initiative du réseau fut initiée en 2017 par le cabinet Elementa Consulting, en réponse à la London’s Energy Policy dont l’évolution n’était pas en phase avec les objectifs de décarbonisation.

Les travaux de LETI

Le “Climate Emergency Design Guide” (CEDG), publié en Janvier 2020 donne les clés pour une construction neuve zéro carbone net. Ce guide est issu d’ateliers et de recherches à large échelle. Il est accessible gratuitement (1) et, un an après sa publication, a déjà été téléchargé plus de 40 000 fois (2) par des entreprises et individus au niveau international.

Ses directives ont été implémentées dans de très nombreux projets au Royaume-Uni et le guide s’impose comme une référence aussi bien pour les concepteurs que pour les donneurs d’ordre ou les maîtres d’ouvrages. Le “Embodied Carbon Primer” (ECP) (3) vient en complément pour explorer plus en détail la notion d’empreinte carbone des bâtiments. Un appel à contributions est en cours sur la page LinkedIn de LETI, dans l’objectif de rédiger le guide “Client Guide for Net Zero Buidings” à destination des maîtrises d’ouvrages s’engageant dans des opérations zéro carbone net.

LETI s’intéresse aussi aux problématiques énergétiques et publie en Février 2021 le guide “Hydrogen : a decarbonisation route for heat in buildings?” (“L’hydrogène : une voie de décarbonation pour les chauffage des bâtiments?”) (4).

Le guide

Le ”Climate Emergency Design Guide” part du constat suivant : nous vivons actuellement une crise climatique et le bâti est responsable de 49% des émissions carbones annuelles du Royaume-Uni. De plus, les projections des 40 prochaines années montrent que l’on ajouterait l’équivalent d’un Paris par semaine en surface construite.

Bien que se concentrant sur le contexte britannique, la méthodologie de LETI reste applicable quel que soit le pays, et elle nous semble très pertinente et intéressante à partager. La trajectoire proposée par année pour atteindre un bâti zéro carbone au Royaume-Uni à l’horizon 2050 nous semble en effet tout à fait transposable ailleurs. Cela justifie sans doute l’engouement international pour ce guide, encouragé de plus par le rayonnement de LETI.

Le guide détaille de manière qualitative et quantitative les objectifs de limitation d’empreinte carbone pour différentes échelles de bâtiments neufs : petites à grande maisons individuelles, bureaux, et écoles. Les 5 thèmes conducteurs sont détaillés par la suite. Pour chaque catégorie de bâtiment, une méthode dite d’ “Upskilling” ou de perfectionnement est présentée. Celle-ci est fondée sur les axes suivants:

  • Réaliser en conception une simulation énergétique représentative de l’exploitation, en intégrant le concept de flexibilité énergétique : mesurer la demande en électricité à un instant t et y répondre au mieux (tout en palliant aux intermittences des énergies renouvelables)
  • Concevoir de manière responsable avec comme fil directeur la réduction de la consommation énergétique et de l’empreinte carbone du bâtiment tout en restant dans l’enveloppe budgétaire
  • Construire avec des hauts niveaux d’étanchéité à l’air et d’isolation en supprimant les ponts thermiques
  • Proposer aux usagers des bâtiments dont ils sont acteurs et garants de leur pérennité et de leur empreinte environnementale

Une approche en 5 thèmes

Le guide propose une approche basée sur 5 thèmes pour lesquels sont formulés des indicateurs de performance suivis de propositions de solutions. Le but de ces indicateurs est de pouvoir évaluer la performance environnementale d’un ouvrage et de rendre comparables les performances de plusieurs ouvrages entre eux. Les 5 thèmes sont les suivants : l’énergie opérationnelle, le carbone intrinsèque, le futur de la chaleur, la réponse à la demande et enfin le traitement des données.

Entrons maintenant dans le détail de ces thématiques. Nous souhaitons vous proposer une synthèse des grands axes de réflexion de chaque thématique. Nous espérons que l’envie vous viendra de les approfondir en consultant le guide complet.

Operational Energy, l’énergie opérationnelle (p.35)

“Design approaches should only begin with efforts to reduce building energy demand prior to the introduction of complex mechanical systems. Only after thorough consideration of these steps should renewable energy be considered.”

“La conception ne devrait commencer qu’avec la considération des efforts à fournir pour réduire la demande en énergie du bâtiment avant de considérer le recours à des systèmes mécaniques complexes. Le recours à des énergies renouvelables ne devrait être considéré qu’une fois ces étapes mûrement réfléchies.”

A travers cette citation, on constate que la démarche présentée dans le guide est similaire à celle donnée dans le référentiel français E+C-. Celui-ci donne en effet les 4 étapes suivantes pour améliorer la performance énergétiques des bâtiments : la sobriété (travail sur l’enveloppe, indicateur BBio), l’efficacité (limiter la consommation en choisissant les systèmes adéquats, indicateur Cep), le recours aux ENR (énergies renouvelables, indicateur BEPOS), et enfin le potentiel de production d’ENR par le bâtiment même (indicateur BEPOS) pour aller vers des territoire à énergie positive pour la croissance verte.

Les objectifs énergétiques ambitieux proposés par le guide sont les suivants (données en “Energy Use Intensity” (EUI) assimilable à l’énergie finale, la “Source EUI” faisant référence à l’énergie primaire) :

  1. Consommation énergétique par typologie de bâtiment
  • Résidentiel : 35 kWh/m².an
  • Bureaux : 55 kWh/m².an
  • Ecoles : 65 kWh/m²/an

2. Consommation de chauffage : 15 kWh/m².an

3. Maximiser la part de production d’énergie renouvelable sur site

L’énergie liée à l’exploitation est l’énergie qui va être consommée par un bâtiment à l’usage par l’eau chaude sanitaire (ECS), le chauffage, la ventilation, la climatisation (CVC), l’éclairage, les équipements spécifiques.

La figure suivante présente les opportunités pour réduire la consommation en énergie dans une opération de résidentiel neuf (avec une proposition de traduction de gauche à droite par poste) :

  1. Etat actuel (colonne grise)
  2. Utiliser une pompe à chaleur
  3. Éliminer l’écart de performance conception / exploitation
  4. Améliorer l’étanchéité
  5. Installer une ventilation double-flux
  6. Améliorer le U des fenêtres
  7. Renforcer l’isolation
  8. Améliorer l’efficacité des systèmes d’ECS
  9. Améliorer la compacité
  10. Réduire les ponts thermiques
  11. Optimiser l’indice d’ouverture
  12. Conception basse énergie (colonne bleue)

Cet autre exemple de figure ci-dessous montre la marge d’amélioration de consommation de chauffage en fonction de l’orientation des baies d’un local. Nous vous invitons à aller consulter les visuels très intelligibles dont le document est jonché.

Plus largement, le guide dénonce la manière actuelle court-termiste de concevoir par conformité avec les réglementations, et incite à aller vers une stratégie à long-terme de conception avec un réel objectif de performance vérifié en phase d’exploitation.

Les solutions proposées sont les suivantes :

  • réduire le besoin énergétique des bâtiments
  • décarboner le mix énergétique
  • augmenter la part d’énergies renouvelables
  • assurer une production de chaleur non fossile

Embodied Carbon, le carbone intrinsèque (soit les émissions en équivalent carbone hors exploitation sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment) (p. 53)

L’empreinte carbone d’un ouvrage est décomposée en deux notions :

  • ce que l’on nomme le carbone opérationnel, c’est-à-dire les émissions équivalentes carbone liées à l’exploitation et besoins énergétiques du bâtiment ;
  • le carbone intrinsèque qui rend compte des émissions équivalentes carbone liées à toutes les étapes du cycle de vie des matériaux et équipements constitutifs de l’ouvrage (extraction, transformation, transport, consommation en énergie et en eau, maintenance à l’exploitation, fin de vie).

A l’usage, le carbone intrinsèque est mobilisé pour les opérations d’entretien et de maintenance seules. La distinction entre les deux notions suivant le cycle de vie est illustrée sur la figure suivante :

Après avoir donné une répartition moyenne de l’empreinte carbone en fonction des éléments d’un bâtiment (super- et infrastructure, finitions intérieures, façade, fluides) pour les 4 typologies de bâtiment, le guide fixe les 2 objectifs suivants :

  1. Faire tendre l’empreinte carbone intrinsèque des PCE (produits de construction et équipements) vers : i) < 300 kgCO2/m² pour les bâtiments à usage domestique et ii) < 350 kgCO2/m² pour les bâtiments à usage non domestique. Pour les deux typologies, l’objectif est d’atteindre en 2030 une réduction de 65% de l’empreinte vis-à-vis de l’actuelle, et d’avoir 50% des matériaux provenant de réutilisation, et 80% des matériaux réutilisables en fin de vie.
  2. Vérifier l’empreinte carbone des PCE à la livraison de l’opération.

La figure suivante présente un exemple de répartition du carbone intrinsèque d’un bâtiment typique (usage résidentiel et commercial) selon les lots afin d’identifier les postes prioritaires, ainsi que la réduction de l’empreinte vers laquelle on pourrait tendre par poste :

Les actions à mener pour tendre à cette réduction sont listées comme telles :

  • construire moins
  • construire léger
  • construire de manière responsable
  • construire bas carbone
  • construire pour le futur
  • construire de manière collaborative

Future of heat, le futur de la chaleur (p. 67)

Le chauffage et l’ECS constituent des postes prioritaires pour engranger une économie d’énergie ainsi qu’une limitation de l’empreinte carbone. Dans ce chapitre, LETI développe le “Heat Decision Tree”, soit un arbre à décision pour le choix d’un scénario de chauffage. Nous avons souhaité le présenter comme tel et donner les clés pour sa compréhension pour les lecteurs non-anglophones :

OPPORTUNITÉS :

  1. Quel est l’objectif? (un niveau approprié de confort thermique et d’eau chaude)
  2. Réduire le besoin en chauffage (enveloppe performante, systèmes de distribution d’ECS avec limiteur de débit)
  3. Abaisser les températures de fonctionnement (améliorer l’efficience des systèmes, favoriser les options zéro carbone)
  4. Récupérer la chaleur fatale (énergie thermique non valorisée ni récupérée, provenant des processus industriels, des égouts, etc.)
  5. Développer les réseau de chaleur (récupération de chaleur, réseaux basse température)
  6. Identifier des solutions de systèmes

CONTRAINTES :

  1. Est-ce l’option avec la plus faible empreinte carbone?
  2. Y-a-t’il un plan de transition vers le zéro carbone en place?
  3. Est-ce que le système limite les nuisances (bruit, pollution de l’air et chaleur)?
  4. Est-ce que le système contribue à réduire la facture énergétique?
  5. Est-ce que le système minimise le besoin en kWh/m² à l’usage et effectue-t-il un suivi des consommations?
  6. Peut-on implémenter un scénario pour le pic de consommation énergétique?
  7. Quelles sont les autres alternatives pour limiter la demande? Puis retour au 2).

Demand response, la méthodologie de réponse flexible à la demande énergétique (p.81)

Pour mémoire, le pic de consommation énergétique correspond à la surconsommation enregistrée l’hiver lors des vagues de froid (allumage du chauffage par les foyers au retour du travail en semaine) et l’été (utilisation massive des climatiseurs et ventilateurs).

Le guide propose une réflexion sur la gestion de l’offre et la demande au niveau du bâtiment mais aussi au niveau national. Les solutions à envisager sont, entre autres :

  • Réduire la demande au pic de consommation énergétique de manière passive en travaillant sur l’enveloppe, l’étanchéité à l’air, l’inertie, l’indice d’ouverture et l’orientation des baies, les masques, etc.
  • Réduire la demande au pic de consommation d’ECS par des systèmes de limiteur de débit et des systèmes efficients à haut rendement
  • Proposer une stratégie de réponse basée sur la demande
  • Produire de l’énergie et la stocker
  • Anticiper la demande en recharge de véhicules électriques (VE) avec notamment la possibilité de décharger la batterie des VE dans le réseau (ce qu’on appelle V2G Vehicule To Grid)
  • Changer les comportements des usagers en les sensibilisant et les responsabilisant
  • Choisir de se raccorder à un microréseau (ou microgrid)

Data Disclosure, le traitement des données (p.95)

Le guide évoque enfin une “performance gap” soit un écart de performance entre les besoins énergétiques tels qu’estimés en phase conception, et ceux réellement demandés par les bâtiments à l’exploitation. Une façon de réduire cet écart est de procéder à des études pendant la phase d’exploitation. Il s’agit donc de travailler sur le commissionnement et le mesure des consommations à l’usage. Des recommandations sont données pour chaque typologie de bâtiment, détaillés dans le guide.

Notre conclusion

Même si les ordres de grandeur et les objectifs à atteindre peuvent varier selon les régions de même que la hiérarchie des leviers, les principes directeurs ainsi que les mesures préconisées par le guide de LETI sont applicables et bénéfiques quelle que soit la région où l’on se trouve et quel que soit le projet envisagé. C’est donc avec une grande curiosité que nous continuerons à suivre et à partager les travaux de LETI!

Liens

(1) (3) (4) Lien vers les publications de LETI : Publications | LETI (consulté le 17/03/2021)

(2) LETI, LETI celebrates 1 year anniversary of Climate Emergency Design Guide & Embodied Carbon Primer publications du 27 janvier 2021 252d09_76f3aec1ac5943e3ae260e9c3cf9eb4b.pdf (filesusr.com) (consulté le 17/03/2021)

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