Animaux non-humains et Anthropocène

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
Published in
6 min readAug 30, 2019

Par Estelle Loukiadis et Sébastien Gardon // Jérôme Michalon

Valparaiso (2018), photo Lucas Tiphine

L’École Urbaine de Lyon propose régulièrement l’approfondissement des principaux concepts et notions qui caractérisent l’Anthropocène. Zoom sur la place des animaux non-humains dans l’Anthropocène.

La présence des animaux dans la ville n’est pas un phénomène nouveau et interroge les études anthropocènes. Il est d’abord possible de noter une grande hétérogénéité avec, d’un côté, les animaux de compagnie appartenant aux espèces domestiques ; et de l’autre les espèces sauvages incluant certains spécimens considérés comme nuisibles (tels les rats) tandis que d’autres sont protégés, sans oublier les gibiers (renards, chevreuil, blaireau) et les insectes (abeilles, moustiques…).

La réinsertion d’animaux d’élevage en ville, tels que les moutons ou les poules, vient accentuer cette diversité, source de complexité, notamment pour l’identification des solutions à apporter aux problématiques sanitaires, écologiques, économiques, culturelles et sociales, et leur mise en oeuvre. Le développement de la biodiversité animale en milieu urbain rencontre, ainsi, des limites, qui sont en partie liées aux nuisances que sont susceptibles d’engendrer les animaux, et à la volonté de conserver la variété et la variabilité d’espèces animales dans l’espace urbain.

Sur un tout autre plan, les parcs zoologiques apparaissent comme des institutions de gestion d’une animalité urbaine qui font partie de l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture urbaine. Un parc comme celui de la Tête d’Or, au cœur de la ville de Lyon, est ainsi à la fois un lieu de loisir, de pédagogie, de culture, et de maintien d’une certaine biodiversité, quoiqu’inadaptée au milieu urbain. De manière plus générale, les projets d’aménagements urbains cherchent de plus en plus à prendre en compte, dans leur conception, cette faune urbaine introduite volontairement ou non. C’est ce que prévoit, par exemple, la réglementation en vigueur concernant l’élaboration et la préservation des trames vertes et bleues.

Pour préparer la ville de demain, il apparaît ainsi indispensable de réfléchir à la place, au rôle et aux statuts de ces occupants, parmi lesquels les animaux tout comme d’ailleurs les végétaux. Or, la question de l’animalité urbaine excède très largement les questions soulevées par le désagrément de propreté canine sur les trottoirs, les dommages des animaux commensaux, comme les pigeons, ou le bénéfice affectif des bars à chats pour certains citadins. Les animaux, dans leur diversité, ne sont plus seulement des mobiliers, mais des êtres conscients avec qui l’homme partage son existence et fondamentalement son appartenance à une communauté.

Pour conclure, il apparaît possible de proposer quelques facteurs fondamentaux de caractérisation des espaces urbains qui jouent un rôle dans la manière dont l’animalité urbaine peut s’exprimer :

- La part d’espace dédiée à la végétation.

- Le degré de fragmentation des milieux (les voiries et le bâti découpent les espaces de circulation).

- La qualité des sols urbains. L’imperméabilisation du sol rend, en effet, la vie difficile à la faune et à la flore.

- Enfin le nombre et la nature des espèces présentes dans l’espace urbain, dont la cohabitation est plus ou moins évidente.

Estelle Loukiadis, Directrice Scientifique de VetAgro Sup et Sébastien Gardon, VetAgro Sup, ENSV.

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Dire que les rapports aux animaux sont aujourd’hui en pleine transformation relève presque de l’évidence. Que l’on observe la virulence et la récurrence des débats autour de la consommation de viande, de la chasse, de l’expérimentation animale et l’on comprendra que tant les représentations des animaux (de plus en plus perçus comme des êtres sensibles dignes de respect et de bienveillance) que les pratiques dans lesquelles ils sont engagés sont en cours d’évolution.

Évoquer l’anthropocène dans sa relation aux animaux, c’est s’intéresser à la période où l’espèce humaine a considéré les autres « existants » (Descola, 2005) avant tout comme des ressources à exploiter. Depuis la Révolution Industrielle, une bonne part des animaux domestiques a été largement constituée de la sorte : comme de la matière à faire croître exponentiellement pour les besoins d’une consommation humaine exponentielle elle aussi.

Pour cela, des milliards d’animaux ont été « produits », si l’on emploie le langage de la zootechnie, discipline à laquelle on doit notamment le développement de l’élevage industriel. Le terme de « minerai de viande », utilisé aujourd’hui par l’industrie agroalimentaire pour désigner une masse agglomérée de muscles et de chutes de viande produites lors de la découpe, témoigne de l’aboutissement de cette logique « extractiviste » appliquée aux animaux, et qui justifie de les évoquer au prisme du concept d’anthropocène.

On peut également mentionner la force de travail des animaux, qui a tout autant contribué à labourer intensivement le sol des campagnes pour y faire pousser légumes et céréales, qu’à creuser les sous-sols des villes pour extraire combustibles et métaux ou encore à tirer charrettes, calèches, diligences et tramways pour la mobilité. Chevaux, ânes et bœufs sont eux-aussi les animaux de l’anthropocène en ce qu’ils ont contribué à cette exploitation sans précédent des ressources naturelles indexée sur la croissance de la démographie humaine.

Pour contrecarrer ou contenir cet expansionnisme, les initiatives de protection de l’environnement ont vu le jour. Au titre d’une autre logique, « conservationniste » cette fois-ci, des millions d’individus animaux ont été soustraits aux différentes menaces d’exploitation qui pesaient sur eux. La survie des espèces, au nom de la préservation de la biodiversité des écosystèmes, est au cœur des formes de mobilisation pro-environnementales qui ont largement contribué à alerter sur l’urgence écologique.
Les animaux de l’anthropocène, ce sont donc également ceux qui ont été protégés du fait de la prise de conscience collective de l’érosion de la Terre et de son habitabilité.

Pour autant, est-il juste d’interpréter l’ensemble des prises de position contemporaines en faveur des animaux comme le signe d’une adhésion grandissante aux objectifs pro-environnementaux et, en somme, au rejet de la logique anthropocènique ? Rien n’est moins sûr tant l’histoire de la protection animale semble nous indiquer une autre voie. En effet, peu de références à la protection de la nature, à l’écologie ou à
l’environnement dans cette « cause animale » (Traïni, 2011) qui émerge dès le début du XIXe siècle.

Les animaux qui font l’objet de cette protection sont plutôt domestiques (chevaux d’abord, chiens et chats par la suite), et surtout ne sont pas considérés comme de simples exemplaires de leur espèce. Ce sont plutôt des individus, vulnérables et sensibles, qu’il s’agit d’extraire à la maltraitance, au cas par cas, et ce indépendamment d’une quelconque valeur écologique (rareté de l’espèce ou rôle particulier dans un réseau trophique). Le développement de la protection animale ayant partie liée avec l’émergence de la possession d’animaux de compagnie, il n’est pas surprenant qu’elle soit perçue comme allant de pair avec une anthropomorphisation des rapports animaux.

De plus, c’est le propre de cette forme de protection de se focaliser sur les individus animaux, de les doter d’une identité sociale, d’une biographie singulière, qui les rend non interchangeables avec d’autres individus animaux. A la perspective environnementale décrite précédemment, s’oppose ainsi une logique plus anthropologique, visant à accentuer la proximité et la dépendance avec les humains, mais surtout à considérer les animaux comme des proches, des semblables, des membres de l’anthropos, l’humanité comme communauté.

Ce qui se joue aujourd’hui autour du sort des animaux ne peut pas ainsi se réduire à un souci de l’environnement tant la protection animale s’est construite et développée sur des bases conceptuelles différentes et avec des formes qui sont parfois plus proches de l’action humanitaire que des mouvements écologistes. Ayant ceci à l’esprit, on pourra alors voir les choses autrement et comprendre que l’ère de l’anthropocène n’est pas seulement celle de l’expansion sans limites de l’humain, mais qu’elle est également celle de l’extension des limites du périmètre de ce qui est considéré comme « humain ».

Jérôme Michalon, Chargé de Recherche au CNRS, UMR Triangle.

Bibliographie :

Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 2005.

Jérôme Michalon. Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier. Paris, Presses des Mines ParisTech, 2014.

Christophe Traïni, La cause animale. Essai de sociologie historique (1820–1980). Presses Universitaires de France, « Hors collection », 2011.

Textes édités par Lucas Tiphine, chercheur post-doctoral à l’Ecole Urbaine de Lyon.

English summary : The Lyon Urban School regularly proposes analysis of the main concepts that characterize the Anthropocene. Zoom on the place of non-human animals in the Anthropocene (please contact the editorial team for further translation help).

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Anthropocene 2050

L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.