Comment améliorer la connaissance des risques environnementaux liés à la pollution des eaux usées en milieu urbain ? Éléments d’analyse à partir du projet Éco-Risks.

Par Antoine Gosset (1, 2 3), Philippe Polomé (2), et Yves Perrodin (3).

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
10 min readFeb 17, 2020

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Cet article s’inscrit dans le cadre du projet Éco-Risks, qui est soutenu par l’Ecole Urbaine de Lyon. Il s’agit d’un projet multidisciplinaire entre écotoxicologie, chimie analytique et économie qui vise à améliorer la connaissance de la pollution émergente toxique issue des rejets des stations d’épuration urbaines et à mieux comprendre quels sont les grands facteurs qui déterminent la composition de cette dernière.

(1) Ecole Urbaine de Lyon, (2) UMR 5824 Groupe d’Analyse et de Théorie Economique, 69131 Ecully ; (3) UMR 5023 Laboratoire d’Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés, 69518 Vaulx-en-Velin

©L’oeil du Lou pour l’Ecole Urbaine de Lyon

An English translation of this text can be found below the original version in French.

Au cours des dernières décennies, de nombreuses études ont porté sur la quantification des polluants d’origine anthropiques et sur leurs conséquences en ce qui concerne la qualité des cours d’eaux (e.g. Pal et coll. 2015. Sci. Total Environ. 408 : 6062–6069). En milieu urbain et péri-urbain, une part importante de cette pollution provient des eaux usées rejetées quotidiennement via les effluents issus des stations d’épurations (STEP). Ces eaux usées peuvent être d’origines domestiques, industrielles ou encore hospitalières, et ce en proportions variées selon les villes.

Vers la prise en compte des polluants émergents toxiques dans la gestion des eaux usées

Les stations d’épuration ont, à leur origine, été créées pour abattre les fortes teneurs en azote, phosphore et matière organique présentes dans les eaux usées. L’attention donnée aux nombreux micropolluants, définis par une concentration de l’ordre du microgramme par litre, et qui sont également présents dans les eaux usées (métaux, hydrocarbures, …), est apparue par la suite, notamment au travers des différentes directives européennes (par exemple les directives DERU et DCE). Malgré une amélioration considérable des traitements effectués, les stations d’épurations restent à ce jour encore peu efficaces pour abattre significativement certains de ces micropolluants. Plus récemment encore, une prise de conscience s’est développée au sujet d’une autre catégorie de polluants présents dans ces rejets : les polluants dits « émergents ». Ce terme désigne un nombre toujours plus grand de substances chimiques tels que les médicaments, les pesticides, les phénols, ou encore les retardateurs de flamme, qui ne sont pas forcément nouvelles mais auxquelles la communauté scientifique s’intéresse seulement depuis peu. Les données d’émission, de toxicité ou de dégradation/traitement disponibles pour ces substances sont encore limitées. Il est par contre prouvé que ces polluants émergents sont à l’origine d’impacts toxiques sur les organismes aquatiques, tels que des dommages à l’ADN ou des dysfonctionnements des systèmes hormonaux (e.g. perturbateurs endocriniens), ce qui peut entrainer des problèmes de reproduction, de croissance ou même de survie des individus.

Améliorer les techniques de détection des polluants émergents présents dans les rejets urbains et optimiser l’évaluation des risques associée.

La préservation de la qualité de la ressource en eau étant un enjeu prioritaire, le projet Éco-Risks vise à améliorer la connaissance de la présence de ces composés émergents dans les eaux usées urbaines, et les risques environnementaux pour les cours d’eaux qui en découlent. Il s’intéresse notamment plus particulièrement à deux familles de composés fortement présents dans les eaux usées : les pesticides et les médicaments. Ces dernières décennies, des méthodes d’évaluation des risques écotoxicologiques (ERA), fondées sur la comparaison des données d’exposition à des polluants des écosystèmes aquatiques avec des données de toxicité de ces substances ont été développées sur les eaux usées. Elles se sont cependant souvent limitées à des listes restreintes de molécules dites « prioritaires » soit parce qu’elles sont directement inspirées de la réglementation européenne ou du fait de coût d’expérimentations trop importants ou bien encore de savoirs méthodologiques limités.

Afin d’améliorer l’évaluations des risques, de nouvelles techniques de chimie analytique (« Suspect-screening ») ont récemment vu le jour afin de pouvoir identifier de manière plus exhaustive les polluants présents dans les matrices liquides et solides. Une équipe partenaire du projet Éco-risks, située à l’Institut de Sciences Analytiques (ISA) de Lyon, a ainsi développé une méthodologie permettant d’identifier les molécules présentes dans les échantillons d’eaux usées parmi plus de 2000 composés : 1200 pesticides et 800 médicaments, et de les quantifier par la suite (Pinasseau et coll. 2019. Sci. Total Environ. 672 : 253–263). Les premiers résultats du projet ont par exemple permis de montrer la présence, dans les eaux usées traitées, de nombreuses familles de composés pharmaceutiques tels que les anti-hypertenseurs (e.g. aténolol, céliprolol), les antidépresseurs (Venlafaxine) ou encore les antibiotiques comme l’azithromycine et l’érythromycine.

Leur quantification, actuellement en cours, permettra d’appréhender le risque qu’ils représentent pour les cours d’eaux de la métropole Lyonnaise. Il sera par ailleurs nécessaire de prendre en compte le risque lié à leur mélange (effets « cocktail ») car ils n’agissent pas individuellement sur les organismes aquatiques, mais bien en interaction, par des phénomènes de synergie, d’additivité ou encore d’antagonisme. C’est l’un des objectifs essentiels du projet Eco-Risks.

Etablir des relations entre la nature des territoires drainés par les stations d’épuration et la pollution des eaux usées qui en découle

Un autre enjeu très important est de mieux comprendre les facteurs qui influencent la présence de polluants et donc les risques liés aux eaux usées. Si le nombre d’études traitant des risques liés aux rejets de STEP a explosé depuis 20 ans, il est actuellement très difficile de trouver dans la littérature scientifique des études traitant de l’influence des activités anthropiques en ville sur la pollution émergente de ces effluents. Des travaux pionniers, comme ceux de Choi et coll. (2019. PNAS. 116 : 21864–21873) commencent à paraître sur la base d’approches épidémiologiques qui se fondent, dans le cas de l’étude mentionnée, sur la mesure de traceurs tels que la codéine ou encore l’aténolol dans des eaux usées australiennes et leur corrélation à des paramètres sociodémographiques (e.g. âge des populations, niveau d’étude, taux et type d’emploi). Les auteurs ont par exemple démontré que l’aténolol (médicament luttant contre l’hypertension) était retrouvé en plus grandes concentrations dans les eaux usées de villes où les populations étaient plus âgées.

Le projet Éco-Risks présente une approche similaire (comparaison de concentrations en polluants émergents/paramètres socio-urbanistiques (par exemple l’âge des populations, les revenus, le nombre d’hôpitaux et d’industries)) sur les eaux usées des STEP du Grand Lyon, et ce à des fins de protection des cours d’eaux récepteurs. Cette démarche s’inscrit en adéquation avec l’une des démarches en cours du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, qui a entrepris une étude ayant des objectifs similaires sur des composés d’intérêt prioritaire tels que certains pesticides, hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou encore alkylphénols, et ce en identifiant les sources de micropolluants déversés dans les réseaux d’eaux usées par type de contributeur et de bassin versant de collecte (Note technique du 12 Août 2016).

Perspectives du projet Éco-Risks

Les perspectives d’Éco-Risks sont multiples. Au-delà de la connaissance scientifique que va permettre d’apporter Éco-Risks, son ambition est de fournir de véritables leviers de politique publique en matière d’eaux usées. En travaillant sur l’optimisation des modalités de gestion des territoires (par exemple les hôpitaux et laboratoires d’analyses raccordés ou non au réseau d’assainissement communal, …), il pourrait être possible d’agir sur les concentrations de substances émergentes toxique en sortie de STEP, et in fine dans les milieux récepteurs. De plus, l’identification des polluants émergents tels que les médicaments menant à un risque élevé pour les cours d’eau pourra, par exemple, permettre d’alimenter la réflexion quant à la substitution de certaines molécules par d’autres ayant les mêmes propriétés curatrices mais moins impactante pour l’environnement (Eco-Prescription). Des réflexions à ce sujet ont d’ores et déjà pu être présentées par le docteur Patrick Bastien lors de la 7ème Conférence Eau et Santé (Villeurbanne, 7–8 Novembre 2019). Il sera de plus possible de cibler des traitements en station d’épuration pour permettre d’abattre en priorité les molécules les plus risquées pour l’environnement.

How to improve knowledge of the environmental risks related to urban wastewater pollution? Elements of analysis based on the Eco-Risks project.

By Antoine Gosset (1, 2, 3), Philippe Polomé (2), and Yves Perrodin (3)

(1) Ecole Urbaine de Lyon, (2) UMR 5824 Groupe d’Analyse et de Théorie Economique, 69131 Ecully ; (3) UMR 5023 Laboratoire d’Ecologie des Hydrosystèmes Naturels et Anthropisés, 69518 Vaulx-en-Velin__

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This article is part of the Eco-Risks project, supported by the Lyon Urban School. It’s a highly multidisciplinary project between ecotoxicology, analytical chemistry and economy, which aims to improve knowledge of emerging toxic pollution from urban wastewater treatment plants effluents and to understand the major factors that govern it.

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In recent decades, numerous studies have focused on the quantification of anthropogenic pollutants and their consequences on the functioning of watercourses (e.g. Pal et al. 2015. Total Saw. Approx. 408: 6062–6069). In urban and peri-urban areas, a significant part of this pollution comes from wastewater discharged daily via effluents from wastewater treatment plants (WWTPs). This wastewater can be of domestic, industrial or hospital origin in varying proportions depending on the city.

Towards taking emerging toxic pollutants into account in wastewater management

Wastewater treatment plants (WWTPs) were originally created to reduce the high levels of nitrogen, phosphorus and organic matter present in wastewater. The problem linked to the numerous micropollutants present (metals, hydrocarbons, etc.), i.e. pollutants with concentrations of the order of one microgram per litre, subsequently arose, in particular through the various European directives (e.g. DERU and DCE directives). Despite a considerable improvement in the treatments carried out, WWTPs are still not very effective in significantly reducing some of them. More recently, there has been a growing awareness of another category of pollutants emitted in these discharges: the so-called “emerging” pollutants. This term refers to a growing number of chemical substances, such as drugs, pesticides, phenols, or flame retardants, which are not necessarily new but which the scientific community has only recently become interested in and for which the available data on emissions, toxicity or degradation/treatment are still limited. These emerging pollutants cause toxic impacts on aquatic organisms, such as DNA damage or hormonal system dysfunctions (e.g. endocrine disruptors) that can lead to problems in reproduction, growth or simply survival of individuals.

Improve detection techniques for emerging pollutants in urban discharges and optimize the associated risk assessment.

As the preservation of water resources is a priority issue, the Eco-Risks project aims to improve knowledge of the presence of these emerging compounds in urban wastewater and the resulting environmental risks for watercourses. It focuses in particular on two families of compounds that are highly emitted in wastewater: pesticides and drugs. In recent decades, ecotoxicological risk assessment (ERA) methods, based on the comparison of exposure data for pollutants in aquatic ecosystems with toxicity data for the latter, have been developed for wastewater. However, they have often been limited to short lists of so-called “priority” molecules, often resulting from European regulations, or simply because of the cost of overly large experiments and limited methodological knowledge.

In order to improve these risk assessments, new analytical chemistry techniques (“Suspect-screening”) have recently been developed to more comprehensively identify pollutants in liquid and solid matrices. A project partner team located at the Institute of Analytical Sciences (ISA) in Lyon has developed a methodology (Pinasseau et al. 2019. Sci. Total Environ. 672: 253–263.) to identify the molecules present in wastewater samples among more than 2,000 compounds: 1,200 pesticides and 800 drugs, and to quantify them subsequently. For example, the first results of the project have made it possible to show the presence in effluents of numerous families of pharmaceutical compounds, such as antihypertensives (e.g. atenolol, celiprolol), antidepressants (Venlafaxine) or antibiotics such as azithromycin and erythromycin in treated wastewater.

Their quantification, which is currently under way, will make it possible to assess the risk they represent for the watercourses of the Lyon metropolitan area. It will also be necessary to take into account the risk linked to their mixture (“cocktail” effects) because they do not act individually in the environment on aquatic organisms, but rather in interaction, through phenomena of synergy, additivity or even antagonism. This is one of the essential objectives of the Eco-Risks project.

To establish relations between the nature of the territories drained by the sewage treatment plants and the resulting wastewater pollution

Another very important issue is to better understand the factors that influence the presence of pollutants and therefore the risks associated with wastewater. While the number of studies dealing with the risks associated with WWTP discharges has exploded over the past 20 years, it is currently very difficult to find studies in the scientific literature dealing with the influence of anthropogenic activities in cities on the emerging pollution of these effluents. Early work, such as that of Choi et al. (2019. PNAS. 116: 21864–21873) have begun to appear based on epidemiological approaches, where tracers such as codeine or atenolol have been measured in Australian wastewater and correlated with socio-demographic parameters (e.g. age of populations, level of study, rate and type of employment). For example, these authors demonstrated that atenolol (a drug for the control of hypertension) was found in higher concentrations in sewage from cities with older populations.

The Eco-Risks project presents a similar approach (comparison of concentrations of emerging pollutants/social-urban parameters (e.g. age of populations, income, number of hospitals and industries)) on wastewater from WWTPs in Greater Lyon, for the protection of receiving watercourses. This approach is also in line with the current issues of the Ministry for the Ecological and Inclusive Transition, which has undertaken a study with a similar objective (to identify the sources of micropollutants discharged into wastewater networks by type of contributor and collection catchment area) on compounds of priority interest such as certain pesticides, polycyclic aromatic hydrocarbons, or alkylphenols (Technical Note of August 12, 2016).

Perspectives for the Eco-Risks project

The perspectives of Eco-Risks are multiple. Beyond the scientific knowledge that Eco-Risks will bring, it will help provide real levers for public policy in the field of wastewater. By working on the optimization of territorial management methods (e.g. hospitals and analysis laboratories connected or not to the municipal sewerage network, …), it will be possible to act on the concentrations of emerging toxic substances at the outlet of the WWTP, and ultimately in the receiving environments. Moreover, the identification of emerging pollutants such as drugs leading to a high risk for watercourses could, for example, fuel the debate on the substitution of certain molecules by others with the same curative properties but with less impact on the environment (Eco-Prescription). Reflections on this subject have already been presented by Dr. Patrick Bastien at the 7th Water and Health Conference (Villeurbanne, 7–8 November 2019). It will also be possible to target treatment in wastewater treatment plants to allow the most environmentally risky molecules to be removed as a priority.

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École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050

L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.