Etude de la contamination des grands bassins fluviaux du monde.

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
Published in
5 min readMar 14, 2022

Synthèse dun article scientifique

La pollution des eaux douces

Depuis plus de cinquante ans, les eaux douces du monde entier subissent une détérioration chimique, en particulier à cause des polluants hérités des activités humaines passées. C’est pourquoi les problèmes de qualité de l’eau sont devenus un défi majeur pour l’humanité au XXIe siècle.

Toutefois, la répartition des pollutions dans le monde est loin d’être uniforme. Une équipe de recherche lyonnaise a mené l’enquête pour évaluer la distribution spatiale de la pollution des grands bassins fluviaux et en comprendre l’origine.

Une méthode pour comparer la pollution des grands fleuves du monde

Comment mener un travail précis à une telle échelle? Hugo Delile et le reste de son équipe se sont concentrés sur une catégorie de contaminants particulière qui présente la spécificité d’affecter l’intégralité de la surface de notre planète. Parmi ces contaminants omniprésents, on trouve les micropolluants hérités. Les micropolluants hérités sont amplement émis par les activités humaines depuis la seconde guerre mondiale. Ces substances présentent la particularité d’être généralement hydrophobes. Autrement dit, les micropolluants hérités se fixent sur les particules sédimentaires dans les milieux aquatiques. Il s’agit notamment d’éléments-traces métalliques, des polychlorobiphényles et des hydrocarbures aromatiques polycycliques.

En mesurant les niveaux de ces micropolluants, les chercheurs ont pu étudier le degré de contamination des grands bassins fluviaux situés partout dans le monde. Pour définir les grands bassins fluviaux, les scientifiques utilisent des critères classiques tels que la superficie des bassins fluviaux, ainsi que leur débit liquide et solide. Dans leur article, les chercheurs lyonnais ont sélectionné les fleuves dont la taille des bassins fluviaux est supérieure à 100 000 km2 et qui hébergent un nombre d’habitants important. La sélection s’est donc ainsi portée sur 19 fleuves qui regroupent environ 2 milliards d’habitants — 30% de la population mondiale — et charrient 4000 millions de tonnes de sédiments par an — 30 % de la charge sédimentaire mondiale émise dans les mers et océans chaque année. La sélection dépend aussi des données disponibles sur les micropolluants d’intérêt (disponibilité et qualité des données, matrices sédimentaires considérées, etc.). L’étude compare donc les niveaux de contamination de grands fleuves en Europe (Rhône, Garonne, Loire, Seine, Volga, Danube, Elbe et Rhin), en Asie (Pearl [Zhujiang], Liao, Yangtze [Changjiang], Yellow [Huang He], Mekong et Ganges-Brahmaputra), en Amérique du Nord (Mississippi, Colorado et St. Laurent), en Amérique du Sud (Amazone) et en Afrique (Niger).

Pour ces fleuves, les chercheurs ont évalué les flux particulaires inter-annuels (moyenne des flux annuels depuis les années 2000) de ses micropolluants hérités qui sont rejetés dans les mers et océans au niveau des embouchures fluviales. Ces flux sont rapportés à la superficie des différents bassins versants considérés dans cette étude. Les données sur le Rhône ont été collectées par l’Observatoire des Sédiments du Rhône au cours des dix dernières années.

Figure 1. Le bassin du Rhône et ses principaux affluents. Le réseau de surveillance déployé dans le cadre de l’Observatoire des Sédiments du Rhône se matérialise par un réseau de stations de mesure du débit, des matières en suspension et des micropolluants associés (symboles orange).

La pollution des grands bassins fluviaux du monde

Premier résultat, le bassin du Rhône est aujourd’hui bien plus propre qu’il ne l’était par le passé et est comparable au niveau de contamination des fleuves français (la Loire, la Garonne et la Seine), européens (Elbe, Volga, Danube) et nord-américains (Mississippi, Saint-Laurent et Colorado).

En revanche, l’étude indique que les niveaux de contamination des bassins fluviaux situés dans des pays en voie de développement (Asie et Amérique du Sud) sont proches de ceux du Rhône dans les années 1980. Le croisement statistique des données de contamination avec des indicateurs socio-économiques (densité d’habitants, de barrages, de villes, PIB par habitant) a confirmé ce « déterminisme » économique de la distribution des niveaux de contamination générale des eaux continentales sur les cinq continents. Cette conclusion est identique à celle publiée récemment dans le prestigieux journal PNAS à propos de la pollution aux produits pharmaceutiques des fleuves à l’échelle planétaire (Wilkinson et al., 2022).

Cette relation entre le niveau de contamination des bassins fluviaux et leur degré de développement économique s’explique par (1) les capacités inégales des pays en matière de traitement des eaux usées industrielles, municipales et ménagères, (2) de la mise en service d’infrastructures d’assainissement et d’approvisionnement en eau et (3) de la mise en œuvre d’une réglementation environnementale sur le contrôle des émissions et l’utilisation de produits chimiques.

D’après les auteurs l’urbanisation croissante à l’échelle mondiale est considérée comme le principal facteur de la contamination excessive des bassins fluviaux des pays en développement. En effet, cette urbanisation croissante des sociétés humaines contemporaines implique la consommation de ressources naturelles sylvicoles, minières ou encore fossiles nécessaires à la production d’énergie destinée au transport routier ou encore aux activités agricoles, industrielles et ménagères sources de contamination.

Figure 2. Cartes des flux spécifiques particulaires (indicateur du niveau de contamination des bassins fluviaux par unité de temps et d’espace) des HAP prioritaires, des PCB indicateurs, du Hg du Cd et des sédiments (SPM pour Suspended Particulate Matter), ainsi que la répartition du PIB par habitant (GDP per capita pour Gross Domestic Product) dans les 19 grands bassins fluviaux étudiés par les auteurs.

En conclusion, la distribution de la contamination chimique dans les grands bassins fluviaux est liée au stade de développement économique du pays. Les résultats de l’étude des quatre chercheurs lyonnais montrent un gradient de contamination qui distingue les bassins fluviaux les plus contaminés et localisés dans les pays en développement à revenus faibles et moyens (Asie et Amérique du Sud), de ceux qui sont les moins contaminées situés dans les pays développés à revenus élevés (Europe et Amérique du Nord).

Selon les auteurs cette relation inverse entre le niveau de développement économique d’un bassin hydrographique et l’intensité de sa contamination est plutôt cohérente avec la théorie dite de « la courbe environnementale de Kuznets », elle-même empruntée à l’économiste Simon Kuznets qui témoignait en son temps au travers de sa théorie de la relation existante entre le niveau de richesse d’un pays (mesuré en PIB par habitant) et son niveau d’inégalité. La courbe environnementale de Kuznets prendrait ainsi la forme d’un U inversé lorsque sont mis en relation sur la longue durée (plusieurs décennies) le niveau de développement économique d’un pays et l’état de son environnement. Les premières phases du développement économique impliquerait une économie destructrice de l’environnement, puis, une fois un seuil de richesse atteint, ce développement s’accompagnerait d’une réduction de son impact environnemental (mise en œuvre de réglementations environnementales, mise en service d’infrastructures d’assainissement, prise de conscience collective, etc.). Au regard des résultats obtenus par l’équipe de recherche lyonnaise, cette théorie semble plutôt bien décrire la répartition mondiale des niveaux de contamination des eaux continentales.

Références: Wilkinson et al., 2022. Pharmaceutical pollution of the world’s rivers. PNAS 119 (8) : e2113947119. https://doi.org/10.1073/pnas.2113947119

Vers L’article scientifique : Delile, H., Dendievel, A.-M., Yari, A., Masson, M., Mi ge, C., Mourier, B., & Coquery, M. (2022). Legacy-micropollutant contamination levels in major river basins based on findings from the Rhône Sediment Observatory. Hydrological Processes, 36(2), e14511. https://doi.org/10.1002/hyp.14511

Auteurs de la synthèse : Hugo Delile et Alexandre Rigal

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Anthropocene 2050

L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.