Imaginaires urbains des épidémies. Partie 1

Par Alfonso Pinto, chercheur post-doctoral à l’École urbaine de Lyon

Alfonso Pinto
Anthropocene 2050
14 min readMar 25, 2020

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Le Triomphe de la Mort, Pieter Bruegel, 1562 env ©Museo Nacional del Prado

« Et la vie de l’horloge d’ébène disparut avec

celle du dernier ces êtres joyeux. Et les

flammes des trépieds expirèrent. Et les Ténèbres, et

le Ruine, et la Mort Rouge établirent sur

toutes les choses leur empire illimité ».

(Edgar A. Poe, Le masque de la Mort Rouge)

Décembre 2019. Les épidémies ne sont qu’un imaginaire qui se manifeste à travers trois registres. Le premier est celui des médias. C’est loin. C’est à la télé ou encore sur internet. Ebola a ravagé certains pays de l’Afrique Subsaharienne il y a quelques années. Ebola faisait peur. La fièvre jaune est terrible. Mais la violence de ce virus, sa rapidité, sa létalité, ont été en même temps son point faible. Les infectés ne tiennent pas longtemps pour pouvoir véhiculer le virus. À un certain moment, ce fut le SARS-COV… entre 2002 et 2004… En tout cas, pour une grande partie du monde occidental, cette menace n’est restée qu’un imaginaire médiatique.

Le deuxième registre est celui de l’histoire. Les épidémies et les pandémies ont toujours fait partie des sociétés humaines. Elles les ont accompagnées sans cesse et parfois ont même constitué un véritable moteur de l’histoire.

Le troisième registre est celui de la fiction, qui non seulement s’est chargée de raconter ces événements, mais qui les a tout court créés, réinventés, prévus, imaginés, anticipés…

Mars 2020. La pandémie est une réalité attestée par l’OMS. Parti de Chine, le virus COVID-19 a profité en quelques semaines d’un monde interconnecté comme jamais auparavant dans l’histoire pour se répandre sur la planète. D’un point de vue générationnel, pour une bonne partie des habitants de la planète, la situation est inédite. Depuis la fin de janvier, quand une région chinoise entière a été mise en quarantaine, les choses ont pris une allure dramatiquement globale et rapide : retards, sous-estimations, impréparations et parfois même un négationnisme criminel dont les conséquences seront difficiles à évaluer. En mars 2020, un jour on va au stade et le lendemain on est confinés. Un jour on va voter et le lendemain on se retrouve en état de quarantaine. Un jour on va bien, le lendemain ce n’est plus le cas.

Redécouvrir l’imaginaire, ou mieux les imaginaires, des épidémies n’est ni un jeu de pure fiction déconnecté du temps et de l’espace, ni une manière d’exorciser un moment particulièrement difficile dans lequel notre quotidien et notre histoire collective semblent coïncider dramatiquement.

La redécouverte des imaginaires est un outil cognitif majeur qui peut nous aider à vivre le désastre avec équilibre, c’est-à-dire en évitant d’un côté la panique et le désespoir, et de l’autre un négationnisme qui, encore en ces jours, de mars règne souverain.

Redécouvrir l’imaginaire des épidémies équivaut à voir, par exemple, dans les zombies, une puissante métaphore des vulnérabilités urbaines auxquelles nous sommes confrontés. C’est aussi le fait de regarder des films pour apprendre à gérer une situation nouvelle. Regarder Contagion de Steven Soderberg aujourd’hui devient donc un acte d’apprentissage collectif et individuel. La prise de conscience est un acte tant douloureux qu’indispensable. Les rues vides, les queues devant les supermarchés, les convois des militaires, la fin des rites funéraires, ne sont plus un imaginaire narratif. Nous y sommes. Et plus vite on accepte que nous ne sommes pas face à un accident de parcours, plus vite on essaie de faire face à l’idée que l’actuelle crise est systémique, plus vite on s’en sortira… avec l’espoir d’avoir développé une nouvelle conscience et une nouvelle manière de considérer les priorités de nos sociétés à l’âge de l’Anthropocène supérieur dont cette épidémie est une manifestation…

Les textes qui suivront dans cette série sont issus d’un travail de recherche doctorale effectué entre 2012 et 2016 et qui a eu comme objet l’exploration des imaginaires urbains dans le cinéma d’anticipation des désastres et des catastrophes. L’un des chapitres les plus longs était celui dédié aux imaginaires urbains des épidémies et des contaminations. Ces textes sont issus de ce dernier.

Petit voyage dans le temps

Les imaginaires urbains des catastrophes accordent une place importante aux situations de quarantaine, de contamination, de fermeture, de confinement et de militarisation. Ces scénarios mettent en scène différentes formes d’épidémies, parfois avec des efforts de réalisme, parfois avec des traits métaphoriques et symboliques. Ce genre de catastrophes possède une actions « indirecte » sur la matérialité urbaine, au sens que les agents pathogènes et les contaminants impactent la biologie des êtres humains et non directement les matérialités urbaines comme c’est le cas par exemple pour d’autres catastrophes telles que les tremblements de terre, les tsunamis, etc. Les transformations urbaines provoquées par les épidémies et les contaminations sont certes radicales, mais elles sont le résultat d’une action mise en place dans le but de contrer les différentes formes de contagion. Ces changements visent d’une certaine manière à renverser certains traits essentiels et constitutifs de la ville : la circulation, la socialité, l’échange, le commerce, etc. D’une certaine manière, on peut dire que les épidémies obligent à mettre en place des actions qui visent à dénaturer les espaces urbains.

Les imaginaires des villes vidées, fermées, en quarantaine, etc., sont en effet récurrents dans les films qui traitent d’épidémies et de contaminations. Ces phénomènes, dans l’abstrait, n’ont pas de conséquences directes et tangibles sur les formes de l’urbain. Ils impactent en revanche tous les fonctionnements des villes en tant que lieux de l’humain. Pendant ces jours marqués par l’arrivée du virus COVID-19, cet aspect est devenu tragiquement actuel dans plusieurs zones de la planète. De ce point de vue les imaginaires cinématographiques en question assument une signification nouvelle, au-delà des différentes formes de réalisme proposées. Bien avant la situation que nous vivons actuellement, le cinéma avait déjà proposé une réflexion intéressante à propos des rapports entre les structures morphologiques et matérielles de l’urbain et ses fonctions sociales, politiques, économiques et culturelles. Les imaginaires des contaminations et des épidémies mettent en image et en fiction des dysfonctionnements qui sont capables de révéler les nombreuses dimensions de l’urbain et de ses vulnérabilités intrinsèques. La tradition littéraire et iconographique à propos des contagions est richissime et possède des véritables caractères urbains. Les raisons sont logiques et faciles à déduire. L’épidémie est un fait avant tout urbain, puisque ce sont les caractéristiques même de ces espaces qui constitue le terrain favorable à son émergence et à sa diffusion. Tant les cités que les villes modernes, ou encore les nouvelles dimensions du régime de l’urbain contemporain, sont des espaces axés sur la cohabitation, sur la proximité, sur la liberté de circulation (du moins interne), sur la forte densité de population. De plus, historiquement, l’efficacité des systèmes d’hygiène n’a pas toujours été la même. Ce n’est pas donc un hasard si les épidémies ont été souvent associées au nom de la ville touchée. La peste d’Athènes, la peste de Milan, la peste de Marseille, la peste de Londres, etc., juste pour évoquer les exemples les plus connus.

Avant de traiter plus précisément de la cinématographie en question, il est peut-être utile de parcourir brièvement l’imaginaire épidémique avant le cinéma.

Un point de départ pourrait être Thucydide et sa Guerre du Péloponnèse, ouvrage rédigé à la fin du Vème siècle av. J.-C. qui raconte le conflit entre Athènes et Sparte entre le 431 et le 404 av. J.-C. L’un des évènements majeurs fut la fameuse peste qui toucha la ville de Périclès entre 430 et 426. Les études archéologiques et historiographiques, en revanche, ont remis en question la nature de la maladie. Selon les symptômes décrits, certains ont émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’une fièvre typhoïde. D’autres, optent plus pour une fièvre hémorragique de type « Marburg ». Quoi qu’il en soit, l’événement laissa un écho très important, au point que quelques siècles plus tard, Tite Lucrèce se livre à une autre description du fléau dans son De Rerum Natura.

La dissolution de l’Empire romain d’Occident en 476 plongea une grande partie de l’Europe et l’Italie en particulier dans une période de profonde instabilité politique qui durera plusieurs siècles. C’est à ce moment que nous avons une première attestation de la Peste stricto sensu (Yersinia Pestis). L’épidémie que l’on a connue sous le nom de « Peste de Justinien » se développe d’abord à Constantinople en 541 pour ensuite se répandre en Europe continentale en passant par l’Italie, déjà dévastée par les guerres des Goths. Le chroniqueur par excellence de cet événement est Procope de Césarée, historien de l’époque qui rédigea, entre autres, l’extraordinaire Guerres de Justinien. Pendant le Moyen-âge la peste deviendra endémique en Europe en ravageant à plusieurs reprises tout le continent jusqu’au XIXe siècle. Le moment sans doute le plus dramatique fut la diffusion de celle qui fut appelée « Mort Noire » au XIVe siècle. Entre 1347 et 1352, la peste, en provenance probable de Chine, se répandit à nouveau dans toute l’Europe grâce aux intenses activités de commerce et d’échange. Aujourd’hui on évalue les pertes humaines à un chiffre compris entre 25 et 40 millions de personnes, c’est-à-dire le quart ou le tiers de la population européenne entière à l’époque[1].

L’événement marqua grandement le domaine des arts et de la littérature. En Italie, par exemple la Mort Noire est le contexte de l’une des œuvres qui ont marqué la naissance de la littérature italienne : le Décameron de l’écrivain florentin Giovanni Boccaccio.

Trois jeunes hommes et sept jeunes filles décident de quitter la ville de Florence et de s’isoler à la campagne pour échapper à la contagion. Pour apaiser l’ennui du confinement, les jeunes raconteront chacun des nouvelles qui constitueront le véritable objet de l’œuvre. Certains traits de l’imaginaire épidémique commencent à se mettre en place. Par exemple, on trouve chez Boccaccio l’idée d’isolement dans un lieu éloigné de la ville. Il s’agit d’une pratique qui témoigne de la perception du danger que l’environnement urbain constitue dans le cadre d’une épidémie.

Pour comprendre les enjeux urbains au Moyen-âge et donc l’impact des épidémies, la référence incontournable reste l’œuvre de l’historien belge Henri Pirenne[2] qui décrit les différentes phases de l’urbanisation tout le long d’une période qui, on le rappelle, s’étend sur dix siècles environ. L’épidémie provoque une sorte de renversement : la cité fortifiée, douée souvent d’un système défensif capable de protéger les habitants au sein d’un contexte politique instable, perd toute son attractivité. La cité devient le lieu du danger. Sa densité, ses flux, sa concentration de personnes et d’espaces publics la rendent le cœur même de la Mort Noire. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si la pandémie a suivi le tracé de l’urbanisation européenne de l’époque en se concentrant d’abord sur les zones les plus densément urbanisées, pour atteindre seulement après les « périphéries » de l’Europe, comme le nord de l’Angleterre ou la Scandinavie.

La Mort Noire marqua aussi l’affirmation du thème iconographique du Triomphe de la Mort, une variation des Danses Macabres et du Dit des trois morts et trois vifs. Selon Michel Ragon « en Italie aux danses macabres on préfère le Triomphe de la Mort ; d’ailleurs les Danses Macabres, dont la diffusion à niveau iconographique fut immense en France et en Allemagne, n’avaient pas eu beaucoup de succès dans ce pays : les Italiens préfèrent le thème de la rencontre entre les morts et les vivants, très populaire surtout du XVIe siècle au début du XVe »[3]. Le rôle de la maladie dans l’affirmation de cette tradition est aussi remarqué par les historiens de la médecine Rippa Bonati e Zampieri : « depuis le Moyen-âge il semblerait que la peste ait joué un rôle déterminant dans l’introduction d’une dimension macabre au sein de la conception de la fin de la vie, dont témoigne l’apparition de nouveaux thèmes iconographiques tels que le Triomphe et la Danse de la Mort »[4].

Parmi les exemples célèbres, on peut citer la fresque anonyme Le Triomphe de la Mort, conservée à Palerme et datant de la moitié du XVe siècle (fig.1). Certains historiens de l’art ont émis l’hypothèse que la fresque pourrait avoir inspiré un autre — et bien plus célèbre — Triomphe de la Mort, celui de Pieter Bruegel, réalisé un siècle plus tard après un voyage de l’auteur en Sicile (fig.2). La scène est dominée par une ambiance macabre et apocalyptique : incendies, dévastations, squelettes, et bien d’autres symboles encore. Allégorie, selon certains, des guerres et plus généralement de tous les malheurs de l’humanité, le Triomphe de la Mort affiche un univers de dissolution et de chaos.

Triomphe de la Mort. Anonyme XVe siècle. Palerme, Palazzo Abatellis
Triomphe de la mort. Pieter Bruegel, 1562 env. Madrid Museo del Prado.

Donc, à partir du XIVe siècle la peste restera endémique en Europe et se manifestera régulièrement au cours des siècles : Milan en 1630, Naples en 1652, Marseille en 1720–1721, Moscou en 1771, Constantinople en 1839, etc.

La peste de Milan du 1630 a été immortalisée par la plume d’Alessandro Manzoni qui, au XIXe siècle, publie probablement le plus grand roman historique de la littérature italienne : I Promessi Sposi (Les Fiancés en français). Les chapitres du XXXI au XXXVI font un extraordinaire portrait de la contagion qui toucha la ville lombarde et qui, selon les historiens, provoqua le décès d’un quart de la population. L’épidémie se répandit dans tout le nord l’Italie en profitant d’une convergence de facteurs : les guerres intestines pour la succession dans le Duché de Mantoue qui provoquèrent la fameuse descente des Lansquenets ; une crise économique et alimentaire qui provoqua une famine.

Un autre exemple littéraire digne d’être mentionné est le fameux Journal de l’Année de la Peste, rédigé en 1722 par l’écrivain anglais Daniel Defoe et qui décrit la peste londonienne du 1665. Le roman se présente sous la forme de journal intime d’un personnage imaginaire. Le récit est précieux non tant d’un point de vue littéraire, mais plutôt en raison de l’attention portée à certains aspects « bureaucratiques » (loi, registres des paroisses, etc.) très intéressants pour reconstruire la contagion londonienne et ses conséquences.

Dans le romantisme tardif on peut mentionner deux nouvelles d’Edgar Allan Poe. Le Roi Peste et Le masque de la Mort Rouge faisaient partie du recueil Nouvelles histoires extraordinaires, paru en français en 1857 avec la traduction de Charles Baudelaire. La première situe l’action dans la Londres du XVIIe siècle et raconte l’histoire de deux matelots s’aventurant dans les quartiers de la ville placés en quarantaine à cause de la peste. Le deuxième, assez célèbre, ne contient pas de connotations historiques précises, mais offre à nouveau l’idée d’un groupe de personnes s’isolant du reste du monde dans l’espoir d’échapper à la maladie. Un espoir qui toutefois se révélera vain.

Le roman historique Le Hussard sur le toit de Jean Giono, publié en 1951, situe l’action pendant une épidémie de Choléra (exagérée à des buts narratifs) qui atteignit la Provence au début du XIXe siècle.

Plus récente, bien qu’entièrement fictionnelle, est la description offerte par Albert Camus dans le chef d’œuvre La Peste, publié en 1947, qui raconte, en guise d’allégorie de la condition humaine face à la catastrophe, une fantomatique épidémie de peste dans la ville d’Oran, en Algérie.

Pour ce qui concerne le cinéma, contrairement à d’autres imaginaires catastrophiques, les épidémies et les contaminations en milieu urbain n’affichent pas forcément des scénarios de destruction matérielle. Nous nous trouvons plutôt face à des réinventions, des restructurations, qui se concrétisent notamment dans l’idée de fermeture (barrages, barricades, postes de contrôle, quarantaine, etc.) et/ou dans l’évacuation.

L’épidémie fait de la ville, dans toutes ses différentes phases historiques, un espace de danger. Sur ce point, une observation intéressante concerne l’histoire de la reconnaissance médicale des maladies. Dans le cas de la peste au Moyen-âge et à l’âge moderne « la reconnaissance progressive de cette dangerosité par contact permit une importante avancée : à défaut de comprendre ou de soigner, on tenta de barrer la route à l’épidémie et, peu à peu, les moyens — souvent cruels — de limiter sa propagation se multiplièrent. Si bien qu’au XVIIIe siècle, les mesures de prophylaxie s’étaient considérablement accrues et étaient devenues sévèrement réglementées. La fermeture des demeures touchées, l’isolement des malades, la destruction par le feu des lieux et des effets contaminés, l’interdiction des rassemblements publics, le gel du commerce de certaines marchandises, la mise en quarantaine des villes atteintes comme des navires en approche, se révélèrent un moyen de lutte efficace contre l’extension des épidémies »[5]. Même dans des contextes historiques où les sciences médicales n’étaient pas encore en mesure de lutter contre les agents pathogènes, la conscience de la vulnérabilité des conditions de vie urbaine était déjà présente. Ces aspects demeurent encore fondamentaux dans les représentations contemporaines. Limitation des mouvements internes et externes, quarantaine, fermeture des espaces publics, limitation du commerce, etc. reviennent à plusieurs reprises.

Un autre élément récurrent concerne la gestion du pouvoir qui passe souvent du domaine civil à celui militaire. Les conséquences sont le confinement, la loi martiale, la militarisation des espaces et des pratiques quotidiennes (postes de contrôle, couvre-feu, limitation des droits civils), mais aussi répression, violence et par conséquent déclenchement de conflits internes opposant civils et militaires. C’est bien la fin, temporaire ou définitive, d’une certaine conception de l’urbain axé sur la civitas en tant qu’entité politique et ce en faveur d’un débouché dictatorial. Le discours antimilitariste, en effet, est l’un des traits distinctifs de ces films. C’est bien le cas pour une très grande partie des films sur les zombies, dont notamment les productions signées par George A. Romero.

Il y a un dernier aspect qui mérite l’attention : la dissolution humaine et sociale dérivant de l’inéluctabilité de la mort par la maladie. Le monde tel qu’on le connaît se dissout, les liaisons sociales et humaines cèdent la place à une inversion qui se concrétise dans une sorte d’euphorie pré-mort… Jouir et profiter avant que la maladie fasse son travail. C’est un imaginaire assez répandu dont l’une des expressions cinématographiques les mieux réussies est celle mise en scène par le Nosferatu de Werner Herzog (1979). Le film — remake du fameux chef d’œuvre de Murnau — nous montre l’arrivée du mystérieux comte Dracula dans la ville de Wismar. Mais le bateau qui conduit le vampire contient aussi des milliers de rats qui, en débarquant dans la ville, diffusent la peste. Bientôt Wismar devient un paysage à la fois angoissant et grotesque. La place de la ville devient le lieu d’une fête macabre, presque surréelle. Un groupe d’hommes et de femmes, probablement déjà malades, dansent et mangent en essayant de profiter des derniers moments de leurs vies. Lyrique, mais tout de même grotesque comme dans une nouvelle d’Edgar Allan Poe, la séquence nous livre un portrait de l’absurde qui doit beaucoup à la longue tradition des danses macabres et des Triomphes de la Mort. Pas de sang, pas de souffrance directement représentée, mais tout simplement une ambiance de dissolution, dans laquelle la festivité devient le présage de la mort.

Le Nosferatu d’Herzog est à considérer comme un avant-goût des imaginaires cinématographiques. La richesse de l’imaginaire des épidémies et des contaminations, comme on le verra, se situe notamment au sein des films d’anticipation, qui sont nombreux et qui présentent une intéressante alternance entre les registres du réalisme prévisionnel et celui du symbolique- métaphorique.

[1] Audoin-Rouzeau, 2007, F., Les Chemins de la Peste. Le Rat, la Puce et l’Homme, Paris, Éditions Tallandier.

[2] Pirenne, H., 1939, Les Villes et les Institutions urbaines, Alcan.

[3] Ragon, M., 1981, L’Espace de la Mort. Essai sur l’Architecture, la Décoration et l’Urbanisme funéraire, Paris, Albin Michel, p. 148.

[4] Rippa Bonati, M., Zampieri, F., Zanatta, A., 2010, Per una Storia della Medicina 2010–2011, Padova, Libreria Padovana Editrice, p. 83.

[5] Audoin-Rouzeau, F., 2007, op. cit., p.25.

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