La microbiologie urbaine : un champ d’investigation en émergence

Par Benoit Cournoyer, Laurent Moulin, Rayan Bouchali, Claire Mandon, et Jean Yves Toussaint

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
8 min readDec 19, 2019

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An English translation of this text can be found below the orginal version in French.

Fig. 1. Les facteurs clés de l’Anthropocène en relation avec les maladies infectieuses

Sur plusieurs continents, les prédictions suggèrent une augmentation de 50 à 100 % de la population urbaine donnant une estimation mondiale de cinq milliards d’humains localisés dans les agglomérations pour 2030. En ce qui concerne la microbiologie, les villes favorisent, en raison de leur densité et de la diversité d’humains et de non-humains qui y sont hebergés, des interactions et des mises en contact propices à la dissémination des micro-organismes, dont des formes pathogènes. Tout cela dans un contexte plus général du changement global des conditions de vie terrestre. Le développement du domaine de la microbiologie urbaine apparaît donc, dans cette perspective, évident, et ce texte vise à en expliquer brièvement les fondements.

Complexité des relations entre environnement urbain et microbiologie

Les activités urbaines (trafic automobile, activités industrielles, bâti, usages d’une multitude d’objets dans la vie quotidienne, pollutions et impacts liés aux animaux domestiques, commensaux, sauvages) exercent une pression importante sur le cycle de l’eau, sur l’air ainsi que sur les sols urbains. Elles contribuent à l’émergence d’environnements originaux offrant de nouvelles opportunités au développement microbien. Par ailleurs, les êtres vivants qui participent à l’urbanisation constituent des vecteurs/hôtes importants pour de nombreux micro-organismes dont l’évolution est d’autant plus rapide que les échanges et forçages environnementaux augmentent (en nombre et en distance) et se mondialisent. Ces transformations induites par l’urbanisation ont ainsi des effets sur les microbiomes (c.-à-d. la totalité des composantes microbiennes d’un système structuré par les contraintes du milieu et les complémentarités métaboliques). Elles peuvent produire des opportunités de développement pour des espèces bactériennes exogènes aux systèmes initiaux par exemple les bactéries pathogènes opportunistes de l’Homme, zoonnoses ou microorganismes pouvant dégrader les hydrocarbures. La figure 1 ci-dessus illustre quelques relations entre des paramètres clés de l’Anthropocène et l’écologie des maladies infectieuses.

Études scientifiques pionnières dans l’émergence du domaine de la microbiologie urbaine

Le domaine scientifique dédié à l’étude de la microbiologie urbaine est en forte expansion. Il a fait l’objet de plusieurs articles scientifiques significatifs dans les revues à fort facteur d’impact par ex. Bahcall (2015. Nature Reviews Genetics 16: 194–195), mais également dans la presse grand public. Plusieurs projets de recherche ont été lancés depuis quelques années pour référencer les micro-organismes présents dans les villes occidentales, et leur dangerosité (Ehrenberg, 2015. Nature 522:399–400). Nous pouvons citer les travaux sur les fèces de rongeurs (Rattus norvegicus) qui ont permis d’observer, en ville, des émissions importantes d’Escherichia coli producteurs de shiga-toxines, Clostridium difficile, et Salmonella enterica, mais également de Bartonella spp. et Leptospira interrogans (Firth et coll. 2014. mBio 5, e01933–14). En 2015, une étude étatsunienne s’est attelée à faire l’inventaire des ADN bactériens présents dans le métro de New York (Afshinnekoo et coll. 2015. Cell Systems 1:72–87). Ce travail a eu un impact médiatique important dans la mesure où la présence d’ADN bactériens appartenant à des groupes hautement pathogènes comme Yersinia pestis (agent de la peste bubonique) ou Bacillus anthracis (maladie du charbon) a été mise en évidence, et ce même si des réserves importantes concernant la méthodologie utilisée ont pu être exprimées. L’équipe de B. Cournoyer de l’UMR LEM a montré quant à elle une relation significative entre la présence de contaminants chimiques comme les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) et la diversité des microbiomes de dépôts urbains (Marti et coll. 2017. Sc. Reports. 7 : 13219). Des espèces pathogènes (opportunistes) comme Pseudomonas aeruginosa et Aeromonas caviae ont été retrouvées dans ces dépôts (Bernardin-Souibgui et coll., 2018. Env. Sc. Poll. Res. 25 : 24860–24881). L’équipe de L. Moulin (Eau de Paris) a observé que la quantité de virus humains présents au sein des cours d’eau d’île de France était reliée à l’état sanitaire de la population (Prévost et al 2015, 2016). D’autres travaux de la même équipe se sont également attachés à décrire le « microbiote » global d’un réseau d’eau potable, et plus spécifiquement de la diversité microbienne intra-amibienne (Delafont et al 2014. Env. Sc. Technol. 48 : 11872–11882). Ces organismes unicellulaires eukaryotes se nourrissent de bactéries, mais abritent également des formes bactériennes résistantes à la phagocytose. Les amibes participent ainsi dans notre environnement à la propagation de micro-organismes qui peuvent impacter la santé (légionnelles, mycobacteries etc…). Les dispositifs de gestion des eaux en ville (systèmes d’infiltration, réseau d’eau potable et d’eaux usées) constituent donc des exemples de biomes fabriqués par l’Homme, et offrant des opportunités de développement pour les micro-organismes.

Perspectives

Il n’y a pas, à ce jour, de publications significatives confrontant les regards entre les domaines de la sociologie urbaine, de l’écologie microbienne, et de l’évolution des génomes bactériens. L’École Urbaine de Lyon (EUL), le Labex Intelligences des Mondes Urbains (IMU), l’ANSES via son programme « Environnement — Santé — Travail, l’ANR (Agence Nationale de la Recherche Française) et le CNRS via la « Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires » soutiennent les initiatives de recherche permettant de rapprocher ces différents domaines pour mieux répondre aux questionnements concernant l’incidence de la ville sur l’écologie et l’évolution des micro-organismes dont les problématiques d’épidémiologie et d’expologie.

Cette approche multidisciplinaire pourrait permettre d’expliquer les relations entre structure des microbiotes, et typologies urbaines des zones industrielles, commerciales ou résidentielles. Elle pourrait permettre par ailleurs de documenter les dangers d’expositions aux formes pathogènes ou leur dérive génétique (émergence de nouvelles lignées suite à des gains de fonction comme la résistance aux antibiotiques ou biocides). Ces nouvelles connaissances pourraient en outre permettre de repenser certaines modalités de fonctionnement liées à la gestion de l’eau, des déchets, de la propreté urbaine, des activités de loisirs (baignade urbaine…) ou des espaces verts. Enfin, ce type d’analyse pourrait participer à renouveler la conception et la fabrication des objets mobilisés dans la vie quotidienne urbaine. Cette discipline est ainsi appelée à devenir un axe important de l’écologie urbaine.

Par B. Cournoyer (1), L. Moulin (2), R. Bouchali (1), C. Mandon (3), et J. Y. Toussaint (3).

(1) UMR Ecologie Microbienne — Lyon (LEM), 69622 Villeurbanne ; (2) R&D, Eau de Paris, 94200 Ivry Sur Seine ; (3) UMR Environnement, Ville, Société (EVS), 69362 Lyon

Urban microbiology: an emerging field of investigation

(Automatic translation made with Deepl.com and revised by Lucas Tiphine)

On several continents, predictions suggest an increase of 50 to 100% in the urban population, giving a global estimate of five billion people located in urban areas by 2030. With regard to microbiology, cities, because of their density and the diversity of humans and non-humans living in them, promote interactions and contacts that are conducive to the spread of microorganisms, including pathogenic forms. All this in a more general context of the earth’s living conditions global change. The development of the field of urban microbiology is therefore obvious from this perspective, and this text aims to briefly explain its foundations.

Complexity of the relationships between the urban environment and microbiology

Urban activities (car traffic, industrial activities, construction, use of a multitude of objects in everyday life, pollution and impacts related to domestic, commensal and wild animals) exert significant pressure on the water cycle, on the air and on urban soils. They contribute to the emergence of original environments that offer new opportunities for microbial development. In addition, living beings that participate in urbanization are important vectors/hosts for many micro-organisms, which evolve all the more rapidly as environmental exchanges and forcings increase (in number and distance) and become more global. These transformations induced by urbanization thus have effects on microbiomes (i.e., all the microbial components of a system structured by environmental constraints and metabolic complementarities). They can provide development opportunities for bacterial species outside the original systems, such as opportunistic human pathogenic bacteria, zoonoses or microorganisms that can degrade hydrocarbons. Figure 1 above illustrates some relationships between key Anthropocene parameters and the ecology of infectious diseases.

Pioneering scientific studies in the emergence of the field of urban microbiology

The scientific field dedicated to the study of urban microbiology is expanding rapidly. It has been the subject of several significant scientific articles in high-impact journals such as Bahcall (2015. Nature Reviews Genetics 16: 194–195), but also in the general public press. Several research projects have been launched in recent years to reference microorganisms present in western cities and their dangerousness (Ehrenberg, 2015. Nature 522:399–400). We can mention the work on rodent faeces (Rattus norvegicus) which has led to the observation of significant urban emissions of shiga-toxin-producing Escherichia coli, Clostridium difficile, and Salmonella enterica, but also Bartonella spp. and Leptospira interrogans (Firth et al. 2014. mBio 5, e01933–14). In 2015, a US study began to inventory bacterial DNA in the New York City subway system (Afshinnekoo et al. 2015; Cell Systems 1:72–87). This work had a significant media impact insofar as the presence of bacterial DNA belonging to highly pathogenic groups such as Yersinia pestis (bubonic plague agent) or Bacillus anthracis (anthrax disease) was highlighted, even if significant reservations regarding the methodology used were expressed. B. Cournoyer’s team at UMR LEM showed a significant relationship between the presence of chemical contaminants such as PAHs (polycyclic aromatic hydrocarbons) and the diversity of urban deposit microbiomes (Marti et al. 2017. Sc. Reports. 7 : 13219). Pathogenic (opportunistic) species such as Pseudomonas aeruginosa and Aeromonas caviae have been found in these deposits (Bernardin-Souibgui et al., 2018. Env. Sc. Poll. Res. 25 : 24860–24881). The team of L. Moulin (Eau de Paris) observed that the quantity of human viruses present in Ile de France region’s rivers was related to the health status of the population (Prévost et al 2015, 2016). Other work by the same team has also focused on describing the global “microbiota” of a drinking water network, and more specifically of intra-amibian microbial diversity (Delafont et al 2014. Env. Sc. Technol. 48 : 11872–11882). These unicellular eukaryotic organisms feed on bacteria, but also harbour bacterial forms resistant to phagocytosis. Amoebae thus participate in our environment in the propagation of microorganisms that can impact health (legionella, mycobacteria etc…). Urban water management systems (infiltration systems, drinking water and wastewater networks) are therefore examples of man-made biomes that offer development opportunities for micro-organisms.

Prospects for the future

To date, there are no significant publications comparing the views between the fields of urban sociology, microbial ecology and the evolution of bacterial genomes. The École Urbaine de Lyon (EUL), the Labex Intelligences des Mondes Urbains (IMU), the ANSES through its “Environment — Health — Work” programme, the ANR (French National Research Agency) and the CNRS through the “Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires” support research initiatives that bring these different fields together to better answer questions about the city’s impact on the ecology and evolution of micro-organisms, including epidemiology and expeditions.

This multidisciplinary approach could explain the relationships between microbiote structure and urban typologies of industrial, commercial or residential areas. It could also make it possible to document the dangers of exposure to pathogenic forms or their genetic drift (emergence of new lines following function gains such as resistance to antibiotics or biocides). This new knowledge could also make it possible to rethink certain operating methods related to the management of water, waste, urban cleanliness, leisure activities (urban swimming, etc.) or green spaces. Finally, this type of analysis could help to renew the design and manufacture of objects used in everyday urban life. This discipline is thus destined to become an important focus of urban ecology.

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École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050

L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.