La parole est aux animaux

Clara DUMAS
Anthropocene 2050
Published in
7 min readSep 28, 2021

Depuis plusieurs années, des mouvements pro-animaux essaient de porter la parole des animaux ou de défendre l’idée qu’ils auraient une parole à porter.

Qu’en est-il ? Qu’apporte la compréhension des échanges d’informations entre animaux aux humains ?

Ce sujet a été abordé lors de la séance des Mercredis de l’Anthropocène intitulée « Les animaux et les humains », le 16 juin 2021, qui donnait la parole à Nicolas Mathevon, biologiste et spécialiste du comportement animal et à Jérôme Michalon, sociologue et chargé de recherche au CNRS.

Photo by Miguel Arguibide on Unsplash

COMPRENDRE LES ANIMAUX PAR LE SON

Les sons émis par les animaux, bien qu’ils se ressemblent, ne divulguent pas le même message. Par le chant, un mâle paruline à sourcils blancs défend son territoire au Brésil ; un manchot royal tente de reconnaître son partenaire après une escapade dans l’océan et un bébé crocodile crie lorsqu’il est en détresse pour appeler ses parents.

La question fondamentale de la bioacoustique : comprendre comment les animaux, aussi bien que les humains, s’échangent de l’information via des signaux sonores et comment cette information est propagée puis reçue par un individu. “C’est comprendre les langages animaux”, explique Nicolas Mathevon.

“Les mâles éléphants de mer sur une même plage se reconnaissent tous, comme Pierre, Paul, Jacques se reconnaissent par la voix”.

Nicolas Mathevon, président de l’IBAC (International Bioacoustics Society) a créé une équipe de recherche dédiée à la bioacoustique et un nouveau master sur ce domaine récent, aux champs pluridisciplinaires : biologie, sciences, informatique, musique, animaux…

Les avancées techniques ont permis l’accès à de nouvelles connaissances sur les animaux, leurs émotions, les codes dans leurs signaux et leurs interactions voire leurs incompréhensions avec les humains.

Le professeur complète que la bioacoustique est issue de l’éthologie, l’étude du comportement animal, “dont un grand principe est de considérer que chaque espèce animale est dans son propre monde et il faut, pour la comprendre, entrer dans son monde et se poser des questions qui ont un sens pour l’animal étudié”. Ainsi, il faut mener des enquêtes auprès de ces « non humains » en s’immergeant dans une situation, en dirigeant l’attention vers eux ou en les laissant l’interrompre, afin d’analyser leurs comportements. Par la suite, il est possible de s’interroger sur l’intérêt de l’étude.

Les humains ont su appliquer cela avec la production sonore, pour transformer l’habitat des animaux. Il est ainsi possible d’agir sur le comportement de l’animal ou de se faire une idée de la biodiversité d’un habitat grâce à ces données.

“Si vous connaissez le codage de la détresse dans le cri des chevreuils, vous pouvez imaginer construire des signaux acoustiques qui vont les faire fuir, pour agir sur le comportement de l’animal dans des buts précis”, constate Nicolas Mathevon.

Ces bruits anthropiques, c’est-à-dire provenant de l’activité humaine, ont des impacts sur la faune. Que ce soit dans le milieu marin ou aérien, ils gênent les animaux, impactent leur physiologie, leurs communications voire la chaîne trophique elle-même.

Retournons vers la période de confinement liée à la crise sanitaire. Avez-vous entendu plus d’oiseaux chanter que d’habitude ? Si oui, cela s’explique par l’absence d’activités humaines, qui a fait réapparaître des syllabes dans les chants, qu’ils n’utilisaient plus depuis les années 70. On peut ainsi s’interroger sur la place de l’Homme et de ses intérêts qui bouleversent l’équilibre naturel.

Photo by Ivana Cajina on Unsplash

MOUVEMENTS PRO-ANIMAUX

Brigitte Gauthière, co-fondatrice et porte-parole de l’association L214, constate que nous sommes “devant une extension de notre sphère de considération et que ce sont les animaux qu’il faut faire rentrer parce qu’ils ont avec nous en commun cette sentience : la capacité à ressentir des émotions, avoir le désir de vivre”.

Elle ajoute que tuer des animaux est un massacre inutile et qu’un monde davantage en paix est possible à construire.

Depuis le début du XXème siècle, le ressenti et l’intérêt des animaux sont de plus en plus considérés. Une préoccupation qui rejoint la notion de zoocentrisme d’Adrian Franklin, sociologue, qui désigne une manière de penser notre rapport aux animaux à partir de leur point de vue. Jérôme Michalon ajoute que “ce mode de pensée émerge à travers le développement de la protection des animaux, l’augmentation de la possession d’animaux de compagnie et une culture juvénile pro animale (…) qui amènent à considérer les animaux comme des êtres qui comptent, c’est un phénomène socio historique important”. Le sociologue ajoute qu’il y a des “différences en fonction des milieux sociaux dans le rapport aux animaux”. Dans certaines familles, le chien est un membre à part entière ; dans d’autres, c’est un animal de garde.

Cela est lié à un effet de construction sociale dès l’enfance, notamment avec un univers où l’on retrouve des animaux partout : dans les livres, les jeux, les films, sur les vêtements.

Brigitte Gauthière ajoute : “Nous sommes des êtres qui sont faits de la culture, des traditions et de l’évolution. On est devant une évolution morale”.

Au XIXème siècle, au moment où naît la protection animale, la mise à mort des animaux en pleine rue était moralement inacceptable d’où l’émergence d’abattoirs en périphérie. Désormais, ce sont les nouvelles générations de ces protecteurs qui veulent révéler les massacres en abattoirs aux yeux du monde afin d’y mettre un terme. Le rapport à la science et à la rationalité fait partie de la singularité de ces nouvelles formes de mouvements pro-animaux, qui émergent après 1970.

COMPRENDRE LA MANIÈRE DONT LES HUMAINS SE REPRÉSENTENT ET AGISSENT AVEC LES ANIMAUX

Jérôme Michalon, auteur de “Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier”, s’est intéressé aux pratiques de médiation animale, qu’il décrit comme “des pratiques paramédicales d’accompagnement, de soin, qui visent à mettre en contact les animaux avec les personnes en situation de handicap, de troubles psychiques ou émotionnels”. Les thérapeutes, à l’instar des militants de la cause animale, se font porte-paroles des émotions, des actions et du point de vue de l’animal.

Jérôme Michalon souligne le rôle de co-thérapeute de l’animal, mais insiste pour dire que ce n’est pas n’importe quel type de relation qui se construit entre l’humain et l’animal : c’est une relation interindividuelle basée sur les qualités et personnalités de chacun, qui forme une rencontre bienveillante. “Il faut comprendre ce que représentent les animaux pour ces humains” ajoute-t-il, ce qu’il a pu observer à travers l’équithérapie, la zoothérapie dans une ferme ou encore en EHPAD avec des chiens.

Photo by wal_172619 on Pixabay

Cela nous mène donc à cette fameuse question : Les animaux ont-ils des émotions ?

Quoi de mieux que les enfants pour y répondre. Pour eux, le chien bat de la queue quand il est content, le chat griffe lorsqu’il est en colère, le lapin baisse les oreilles lorsqu’il a peur… Nicolas Mathevon explique : “Ces animaux ont développé des codes qui leur permettent d’exprimer leurs émotions, il y a une partie du codage qui est commun à un ensemble d’animaux pour arriver à un degré de communication interspécifique entre les espèces”. Pas si bêtes !

Cependant, il existe des codes différents. En entendant des cris de bonobos, on s’imagine qu’ils sont en détresse, alors que leurs cris sont constamment aigus.

Finalement, il est possible de dire que la palette d’émotions des animaux est similaire à la nôtre et que c’est le système social de l’animal qui dépend de sa complexité.

Nicolas Mathevon étudie les communications acoustiques animales et humaines depuis presque trente ans. Son dernier livre s’intitule “Les animaux parlent. Sachons les écouter.” Il analyse : “Les animaux ressentent des choses, ce sont des êtres sensibles qui perçoivent leur environnement, souffrent, perçoivent la douleur (…) même s’ils ne l’expriment pas à travers des poèmes”. Il n’y a donc pas de raison de les différencier.

Le spécialiste constate qu’on a tendance à mettre toutes les espèces animales dans le même groupe en opposition aux humains, alors que “chaque animal est dans son propre monde et doit être considéré différemment” (une mouche ne vit pas dans le même univers qu’un bœuf).

Il finit par ajouter : “L’espèce humaine est omnivore, après chacun fait des choix”.

______________________________________________________________

Retrouvez l’intégralité de cette émission sur « Les animaux et les humains » en podcast, dans le cadre des Mercredis de l’anthropocène organisés par l’Ecole Urbaine de Lyon.

Intervenants :

- Nicolas Mathevon. Biologiste, spécialiste du comportement animal, professeur à l’université de Saint-Etienne, membre senior de l’Institut universitaire de France et explorateur pour la National Geographic Society. Il étudie les communications acoustiques animales et humaines depuis presque trente ans, a fondé une équipe de recherche dédiée à la bioacoustique (Equipe de Neuro-Ethologie Sensorielle, CNRS, université de Saint-Etienne) et préside actuellement l’International Bioacoustics Society (IBAC). Son dernier livre est Les animaux parlent. Sachons les écouter (2021, Humensciences).

- Jérôme Michalon. Sociologue, chargé de Recherche — CNRS UMR Triangle (Sciences Po Lyon — Université Lyon 2 — École Normale Supérieure Lyon — Université Jean Monnet Saint Etienne), il a publié Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier (Presses des Mines, 2014).

Animation :

- Laëtitia Mongeard. Docteure en géographie, elle est actuellement post-doctorante à l’École urbaine de Lyon.

--

--