École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
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5 min readJan 11, 2022

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Synthèse d’un article scientifique: le care et les processus d’attention et désattention comme référents analytiques et opérationnel pour la santé collective.

Par María Grace Salamanca González — Docteure en Philosophie et chercheuse en post-doctorat à l’Ecole Urbaine de Lyon

Cet article a un double objectif : d’une part, il contribue au lien théorique entre l’éthique du care et l’épidémiologie socioculturelle ; d’autre part, il a une visée pratique en explorant le rôle référentiel du care pour la santé collective. Les auteurs débutent leur article en précisant quels concepts de care ont été utilisés dans le domaine de la santé et en explorent la polyphonie. Ils concluent que les dynamiques d’attention et désattention* sont centrales du point de vue de l’éthique du care et de l’intégralité du soin** dans une perspective décoloniale.

Les auteurs montrent comment le discours dominant sur le care dans la santé publique a eu un caractère instrumental et individualiste, diluant la responsabilité de la société et de l’État envers la santé publique, favorisant également sa soumission au marché. Cependant, le care est un droit fondamental, qui devrait être intégré dans les constitutions des Etats et les systèmes de suivi médical pour le garantir.

Dans le domaine de la santé, le care est défini en général comme quelque chose qui s’accorde, comme un geste personnel, et non comme quelque chose qui puisse également être exigé, construit collectivement et exercé par soi-même. Il n’y a aucune perspective sur un care collectif, ni sur son exercice en tant qu’attribut de la citoyenneté, ni sur sa dimension politique. Il existe plutôt une approche unidirectionnelle qui, en outre, néglige souvent les conditions sociales et contextuelles spécifiques de l’individu. Par conséquent, le potentiel du care pour constituer un référent politique de l’intégralité des soins et de la santé collective est ignoré.

En suivant l’éthique du care, les auteurs proposent que “prendre soin” [to care] ne se réfère pas à une contemplation passive mais à un exercice actif de la volonté, nécessairement précédé de moments d’attention, tels que la reconnaissance d’une personne “individuellement” vulnérable. Mais aussi, dans une perspective de santé publique, l’éthique du care implique la détection de vulnérabilités collectives. Les auteurs affirment que si la reconnaissance est un besoin humain fondamental, la prise en charge passive ne suffit pas : il faut agir pour rendre la vie plus vivable. La définition du terme care dans l’une de ses caractéristiques centrales pour la santé collective souligne que le care est à la fois une disposition et une pratique.

Du point de vue des éthiques du care, l’attention est une première étape décisive ; elle est un déclencheur du care, mais elle ne le consomme pas, car faire attention ne revient pas à résoudre, mais plutôt à rendre visible et à reconnaître. Pour cette raison, l’attention elle-même exige visibilité et reconnaissance, car elle est une clé pour déclencher les processus de care ; mais aussi parce que, corrélativement, le dommage évitable, pour se réaliser, suppose des dynamiques synergiques de désattention individuelle et collective.

La désattention est l’invisibilité différentielle produite dans les sociétés hiérarchisées par la classe, l’ethnie et le genre. Il s’agit du mécanisme qui concrétise la détermination sociale du dommage. La désattention, dans sa diversité de niveaux et de champs d’application, rend le care impossible et concrétise les dommages évitables générés en synergie par ces trois dispositifs structurels pathogènes que sont la classe, l’ethnie et le genre.

Dans la trajectoire souhaitable de l’inattention et de la désattention vers l’attention et le care, l’éthique du care met l’accent sur la capacité à répondre aux besoins des autres, puisque les réponses morales ne sont pas validées par des principes, mais par leurs conséquences concrètes. Il s’agit donc non seulement d’un raisonnement moral contextualisé et affectif, mais aussi d’un référent pour la santé collective.

L’éthique du care nous permet de nous éloigner de l’éthique néolibérale, qui circonscrit la responsabilité comme une affaire exclusivement privée, comme si la somme des responsabilités individuelles conduisait automatiquement à la “responsabilité sociale”, ce qui ignore et occulte la responsabilité des structures sociales à l’œuvre. En supposant systématiquement que la santé est le résultat d’actions individuelles, sa marchandisation est facilitée et les conditions structurelles d’inégalité des ressources ou des capacités essentielles pour influencer les processus de vie et de changement social sont évitées.

Intégrer le concept réévalué du care dans la santé collective implique de surmonter la bureaucratisation et la marchandisation de nos affaires communes ; de subvertir la rationalité instrumentale dominant la modernité ; d’inverser les processus qui ont dégradé les relations humaines, en les transformant en transactions ; de subordonner les avancées technologiques à une proposition éthico-politique qui place la justesse, l’altérité et la reconnaissance de l’autre au centre de la réflexion, réflexion toujours insérée dans un tissu de vie, riche de significations et de symboles.

Par María Grace Salamanca González — Docteure en Philosophie et chercheuse en post-doctorat à l’Ecole Urbaine de Lyon

*Néologisme en français pour décrire la production effective de non-attention, ce qui implique de se donner une permission-justification pour des omissions dont on se considérera ultérieurement comme non responsable. C’est l’autorisation politiquement correcte de l’indifférence et il fait référence au terme-concept espagnol de desatención.

**L’intégralité du soin est une perspective de santé collective née des mouvements sociaux portés par les travailleurs du système de santé du Brésil, on pourrait résumer sa visée en la caractérisant en tant qu’un projet éthique et politique soutenu par le constat premier de que la vie de l’autre vaut la peine et nous enrichi. Il faudra penser la santé non pas dans des termes de pathologies, ou les personnes en tant que “patients”, mais de réfléchir à la vie dans sa globalité, ce qui inclut les structures sociales et les conditions de viabilité des vies (voir par exemple: https://www.scielosp.org/article/scol/2016.v12n1/113-123/es/)

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Une synthèse issue d’un article scientifique: Hersch Martínez P, Salamanca González MG. El cuidado y los procesos de atención-desatención como referentes analíticos y operativos para la salud colectiva. Rev. Fac. Nac. Salud Pública [Internet]. 15 de diciembre de 2021;40(1):e345191.

https://revistas.udea.edu.co/index.php/fnsp/article/view/345191

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L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.