Les ateliers d’autoréparation du vélo et l’enseignement de la vélonomie.

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
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18 min readApr 5, 2022

Une équipe internationale de chercheurs décrit comment s’enseigne la culture du vélo à l’échelle globale: par le développement d’un réseau d’ateliers où apprendre la mécanique, la récupération et aussi la contre-culture cycliste.

Préambule

Il existe une large diversité de mouvements du vélo dans le monde. Certains sont plus formels et institutionnels, centrés sur la défense du vélo comme activité politique. En France, on peut identifier la Fédération Française des Usagers de la Bicyclette (FUB) ; au niveau européen l’European Cyclists’ Federation (ECF); aux États-Unis la League of American Bicyclists (LAB).

Il existe aussi des mouvements plus radicaux et communautaires qui sont souvent à la source de changements sociaux. Sans être exhaustifs, notons que les systèmes de vélos en libre-service trouvent leur origine dans le radicalisme néerlandais des années 1960 et 70, en parallèle à la mobilisation contre la prolifération nucléaire. A la fin du XXe siècle, les ateliers d’autoréparation et le réseau de l’Heureux Cyclage ont été créés au sein de la mouvance de la sobriété écologique, ce qui est assez similaire avec le réseau Bike!Bike! en Amérique du Nord.

Affiche des Rencontres de L’Heureux Cyclage Crédit : L’Heureux Cyclage

En 2022, pour la première fois depuis le début de la pandémie Covid-19, L’Heureux Cyclage (LHC), le réseau français des ateliers d’autoréparation a tenu ses rencontres annuelles en présentiel. Alors que la League of American Bicyclists (LAB) réalisera pour l’essentiel son congrès de manière virtuelle — à l’exception de certaines activités de plaidoyer prévues au Capitole — , le réseau à fait le choix de Moulins-sur-Allier, territoire peu dense et ancienne capitale du bourbonnais. Ce choix symbolise l’émergence d’une culture vélo au-delà des grandes villes françaises, dans la lignée du développement des politiques de cyclabilité des centres urbains vers les périphéries comme remarqué par Dusong (2021) à propos de l’extension des pratiques du vélo du centre de Paris vers la petite et la grande couronne. Les territoires peu denses présentent des défis en matière de cyclabilité et de vélonomie, notamment é cause des faibles densités et d’un développement territorial centré sur l’automobile.

La vélorution se rend au centre de Moulins-sur-Allier. Crédit Alejandro Manga

Les mouvements radicaux sèment les graines du changement social : en France, les filières de Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) et la formation populaire pour formateurs de formation de vélo sont des politiques réalisées grâce à l’engagement des mouvements radicaux du vélo. Il en est de même pour les questions du genre. Il y a une dizaine d’années la question du genre dans les ateliers vélo tournait autour du besoin de faire comprendre aux hommes cisgenre le besoin d’espaces en mixité choisie. Aujourd’hui la question tourne autour de leur essaimage à travers les réseaux des ateliers, et d’un travail de communication pour expliquer à une partie du public la nature de ces espaces, incluant et excluant à la fois. Ces espaces réservés servent à mettre en confiance des personnes qui appartiennent à des minorités de genre, et qui ont souvent des histoires personnelles de souffrance, mêlées à des violences. Les ateliers en mixité choisie permettent à des personnes ayant des identités avec divers gradients de subalternité de participer et de devenir autonomes à vélo dans des espaces sûrs et libres de symboles d’oppression de divers traumatismes.

Il est important de rappeler aux acteurs de ces mouvements ces petites victoires quand il semble que le système absorbe et broie toute pratique innovante ou changement social issus du mouvement du vélo, que ce soit le VTT, les vélos partagés, où les fêtes du vélo comme la Ciclovía (Montero, 2017), ou les vélorutions (Carlsson, 2002). Cet article approfondit une publication dans The Conversation Australie. Son but est aussi de rendre hommage au retour de ces moments de partage desquelles nous furent privés pendant la pandémie.

Figure 1. Zine expliquant le besoin d’espaces en mixité choisie, Davis Bike Collective milieu des années 2000

Introduction

La pratique du vélo réduit les émissions de gaz à effet de serre en décarbonant la mobilité et apporte une myriade d’avantages pour la santé, tout en réduisant le trafic (Rissell 2009)¹. Or, les praticiens de l’urbanisme et décideurs politiques ont des difficultés à augmenter sa pratique.

Pour promouvoir le cyclisme utilitaire, en plus d’infrastructures cyclables, nous avons besoin d’un changement socio-culturel. C’est le rôle, à l’échelle planétaire, du mouvement d’ateliers d’autoréparation de vélos, connue chez les Anglo-Saxons sous le nom de « cuisines d’autoréparation » (bike kitchens).

Les ateliers d’autoréparation proposent des outils, des pièces d’occasion, des vélos récupérés, ainsi qu’une aide conviviale pour apprendre à réparer soi-même son vélo. Ils sont des nœuds qui renforcent le lien social des communautés locales comme par exemple dans le Grand Lyon (Abord de Chatillon et Eskenazi, 2022) ou chez les communautés d’immigrants dans la baie de San Francisco (Barajas, 2020). Les ateliers d’autoréparation offrent des vélos aux personnes dans le besoin, une pratique observée par les auteurs de ce texte en Haute-Savoie, dans le Pas-de-Calais, à Bruxelles, et à Worcester dans la grande banlieue de Boston aux États-Unis (Batterbury & Dant 2019). Les ateliers vélo organisent aussi des workshops pour réfugiés, comme par exemple à Vienne en Autriche (Teppner, 2020).

Dans le cadre de nos recherches et de bénévolats, nous avons visité et conduit des interviews dans plus de 50 ateliers d’autoréparation autour du monde depuis 2014 : en Allemagne, en Australie, en Autriche, en Belgique, aux États-Unis, en France, au Mexique, en Nouvelle-Zélande, au Portugal, au Royaume-Uni et en Suisse.

Construire une culture du vélo

Dans les villes, la lutte pour le développement d’infrastructures cyclables est une cause bien connue. Le cœur du conflit est la réorientation des budgets de mobilité pour remettre en question ce que John Urry a appelé le « système d’automobilité ». La voiture et ses infrastructures dominent les espaces urbains, même si les pistes cyclables dédiées, les traitements routiers et les parkings à vélos sont relativement peu coûteux à construire et à entretenir, en particulier par rapport aux routes pour véhicules motorisés, aux parkings et aux grands systèmes de transport public. Buehler et Pucher(2021) ont d’ailleurs montré une corrélation entre de meilleures infrastructures cyclables et une augmentation du nombre cyclistes.

Mais de meilleures infrastructures, un “hardware” de qualité, ne résolvent pas d’elles-mêmes tous les problèmes. A Paris, les politiques pro-vélo et les initiatives d’apaisement de la circulation (y compris la fermeture de la rue de Rivoli à la grande majorité du trafic motorisé), sont accompagnées d’une explosion récente de l’utilisation du vélo qui a entrainé aussi une augmentation d’accidents et d’affrontements. Cette situation, ainsi que d’autres facteurs tels que l’acceptation sociale et le savoir nécessaire pour rouler, requièrent une attention particulière. Ailleurs, en 2021, lors du confinement lié à la pandémie, Sydney a connu une augmentation de 78% de blessures à vélo lorsque une plus grande partie du public adopta la pratique cycliste. Comme Batterbury et Manga (2022) le soulignent, faire du vélo en ville est une pratique sociale et la construction essentielle d’une culture du vélo qui correspond au « software » — en particulier là où l’utilisation du vélo a traditionnellement été faible. Il est nécessaire pour le développement de la pratique que la culture du vélo acquière une masse critique de personnes vélonomes (Jacobsen & al, 2015), possédant un savoir-rouler en matière de sécurité, adaptés à des déplacements utilitaires et de loisirs ; possédant un savoir-faire qui leur permet d’entretenir leurs vélos, ce qui devrait conduire à une plus grande acceptation sociale du vélo dans nos rues.

C’est à ce niveau qu’interviennent les ateliers d’autoréparation du vélo ou « bike kitchens ».

Des lieux de convivialité pour construire et réparer des vélos

Les ateliers d’autoréparation sont des espaces initiés et animés par des bénévoles engagé.e.s et des cyclistes solidaires. La plupart partagent leur savoir-faire et aident les personnes qui souhaitent apprendre des techniques d’auto-réparation et d’entretien. Les ateliers prolongent la durée de vie des vélos et des composantes. Ils font partie de ce que Gibson-Graham et al. (2013) appellent l’économie communautaire, qui comporte une dimension sociale et s’intéresse aussi à réduire et interrompre le flux de déchets ; ce qui est proche de ce que l’on connait en France sous le nom d’économie sociale et solidaire. La plupart des pièces proviennent de vélos donnés ou récupérés et sont réutilisées de manière créative et à moindre coût selon une philosophie du bricolage évitant une nouvelle consommation.

Le nombre d’ateliers d’autoréparation a augmenté depuis les années 1990, à mesure qu’ils se sont répandus à travers l’Europe, les Amériques , l’Australasie et le reste du monde.

La plus grande concentration de ces ateliers se trouve en France, qui possède le plus grand réseau au monde d’ateliers d’autoréparation : l’Heureux Cyclage . L’Heureux Cyclage plaide pour l’économie circulaire et l’autoréparation, et les filières d’éducation populaire au service du vélo. L’Heureux Cyclage a recensé 443 ateliers d’autoréparation en France et le réseau coordonne des événements, facilite l’apprentissage, et la logistique dans 195 ateliers membres du réseau, servant plus de 110 000 personnes par an. Pendant la pandémie, le réseau a promu le développement des chèques vélo de 50 euros, une subvention donnée aux personnes pour sortir les vélos des caves et les remettre en état de marche (Abord de Chatillon 2020). L’Heureux Cyclage a aussi plaidé pour que le dispositif soit établi de sorte que les ressources puissent atteindre les ateliers d’autoréparation et le milieu associatif. Le choix de Moulins-sur-Allier comme site des rencontres de 2022 est symbolique. Il montre une orientation stratégique : essaimer le réseau dans des territoires peu denses souvent délaissés par l’action de l’état.

Ailleurs, Bruxelles compte au moins 20 ateliers de ce type (en 2021, contre 11 en 2015), comme la Cycloperativa , répartis dans les arrondissements de la ville (Batterbury & Vandermeersch 2016; Batterbury 2018). Dix ateliers de vélo existent actuellement en Autriche, dont quatre à Vienne (Teppner, 2020).

Comment fonctionnent les ateliers d’autoréparation ?

En Ville à Vélo Annemasse : Crédit Alejandro Manga

Il y a deux types principaux d’ateliers d’autoréparation :

1) Des lieux où des outils, des pièces et des supports à vélos sont proposés à tous.t.es, aidé.é.s par des bénévoles de l’atelier et parfois par des mécanicien.n.es rémunéré.e.s. La plupart sont des entreprises sociales ou des associations à but non lucratif, promouvant la vélonomie.

2) Ceux qui réparent des vélos pour les autres — souvent pour les plus démuni.e.s — comme WeCycle à Melbourne qui offre des vélos aux réfugiés et demandeurs d’asile. Working Bikes à Chicago est l’un des plus grands ateliers de ce genre au monde et envoie des vélos dans les pays du Sud tout en ayant une action locale aussi.

Ces deux types d’ateliers d’autoréparation peuvent se juxtaposer. Par exemple, Flickerei à Vienne organise des ateliers réguliers pour réfugiés, tout en offrant des pièces, des outils et de l’aide par des bénévoles pour l’autoréparation (Teppner, 2020). « Change de chaîne » à Lyon assure de temps à autre des workshops payants pour des entreprises privées, et propose aussi de l’autoréparation, ce qui représente son travail quotidien. « L’atelier solidaire » à Grenoble porte des projets d’insertion de jeunes au marché portés par des bénévoles.

Récup’R dans ses anciens locaux de Bordeaux, France. Simon Batterbury 2020

Il y a souvent des séances d’autoréparation et d’autres activités pour des âges, des genres et des groupes spécifiques. Dans l’un des plus anciens ateliers de vélo français, Un p’Tit véLo dAnS la Tête à Grenoble, une bénévole nous expliqua les différentes séances d’entretien qu’elle propose, certaines réservées aux femmes et aux minorités de genre (Interview, février 2020).

Les règles des ateliers varient, mais presque tous interdisent des comportements racistes et sexistes et favorisent la convivialité , la diversité et le respect. À l’édition des rencontres de Moulins, fut adressé pour la première fois dans une Assemblée Générale la question de la blanchitude de l’espace, et un nouveau groupe sera porté par le réseau pour travailler sur le racisme et la discrimination des livreurs à vélo racisé.e.s.

Pour les membres avec peu de moyens, il existe également des possibilités. Si certains sont en mesure d’offrir la gratuité du vélo pour ces publics, il existe aussi un certain nombre de programmes pour acquérir un vélo, par exemple, lorsque les heures de bénévolat peuvent être échangées contre l’acquisition d’un vélo, sans avoir recours à une transaction monétaire.

Au fil du temps, certains ateliers se sont diversifiés pour devenir de « grandes » entreprises sociales, comme Cyclo à Bruxelles, et Back2Bikes à Melbourne. En France, les ateliers perçoivent des cotisations annuelles de quelques euros, ce qui constitue une petite base financière. Dans plusieurs pays anglophones, les clients peuvent se servir de l’espace des ateliers en payant pour le temps d’utilisation, et en payant de petits prix pour des pièces de récupération vendues, ou de pièces neuves au prix de revient. Il existe aussi un système des donations où les clients laissent un don pour avoir utilisé les outils et l’espace de l’atelier. Plusieurs ateliers dans différents pays vendent des vélos recyclés plus bas que les prix du marché. Finalement, les ateliers situés dans des pays ayant de fortes cultures du don en argent, comme les États-Unis, ont souvent des bénévoles chargés de faire des demandes de dons aux fondations privées qui s’intéressent aux causes environnementales, de justice sociale et de mobilités durables.

Les revenus perçus, en particulier des deux dernières activités mentionnées, peuvent permettre l’embauche d’un voire de plusieurs salarié.e.s à court ou à long terme. En France et dans certains autres pays, il existe aussi des programmes de soutien à l’emploi dont bénéficient les associations par exemple avec le service civique. Les services civiques engagés dans les ateliers vélo acquièrent des compétences professionnelles comme la mécanique de vélos. Ces salariés peuvent être affecté.e.s dans un atelier, aux côtés des bénévoles. Des exemples existent à « Change de Chaîne » et « Le Chat Perché », tous les deux à Lyon, et à « Cyclofficine » à Paris.

D’autres ateliers, comme l’ Atelier Vélorutionaire à Paris, rejettent complètement le soutien du privé ou des agences du gouvernement, défendant une position plus militante contre les voitures et le capitalisme (del Real, B. 2015).

Atelier « Le Chat Perché » à Lyon, France (Source : Kowasch, 2020)
Au fil du temps, les ateliers de vélo ont tendance à suivre l’une des deux voies suivantes : a ou b. Source : Batterbury SPJ. 2021. Community bike workshops: place-based organisations and the culture of active travel. Decarbon8 international conference, UK. Sept. https://www.simonbatterbury.net/decarbon82021.mp4, version française adaptée par Alejandro Manga

Ateliers d’autoréparation en Australie

L’histoire des ateliers d’autoréparation et autres projets communautaires en Australie remonte à une trentaine d’années ; The Bike Shed à Melbourne étant l’un des premiers projets — datant probablement du début des années 1990 à différents emplacements. Les ateliers vont et viennent, mais il y en a au moins 18 dans le pays, dont sept à Melbourne et quatre à Sydney. De nombreuses petites initiatives ont fonctionné dans des écoles, des universités, des églises, des Men’s Sheds ou des centres de recyclage. Ils sont mis en réseau via un groupe Facebook, BiCANZ .

WeCycle à Melbourne est un atelier axé sur la réparation de vélos pour autrui. Les fondateurs Gayle Potts et Craig Jackson ont fourni des vélos remis à neuf aux demandeurs d’asile, aux réfugiés et aux personnes dans le besoin depuis 2016. Dans cette ville, Back2Bikes est une entreprise sociale datant de 2012, avec une bonne échelle : elle propose une offre de formation, la réparation, la vente de vélos remis à neuf et de vélos gratuits pour les nécessiteux.

Les vélos donnés sont entreposés dans un atelier, en attente de réparations et d’une deuxième vie. Simon Batterbury.
Vélos Back2Bikes, Melbourne. De https://back2bikes.com.au/our-mission/

Ateliers d’autoréparation en France

En France le rôle des ateliers d’autoréparation dans les changements de vie et l’adoption de pratiques sobres et low-tech a été documenté par Alexandre Rigal (2019 & 2020). Margot Abord de Châtillon a écrit sur la manière des femmes de naviguer ces espaces sexistes, mais aussi sur comment les objets et les personnes s’entremêlent pour donner à la petite reine une deuxième vie (Abord de Chatillon, 2021 ; Adam et Ortar, 2022). Les bénévoles de l’Heureux Cyclage, souvent des professionnels de l’urbanisme, du transport et des mobilités sont les auteurs du Panorama des Ateliers Vélo Participatifs et Solidaires, document mandaté par l’ Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME), qui montre l’état de la filière en termes d’emploi, économie circulaire, et d’essaimage sur le territoire. L’Heureux Cyclage participe aussi au plaidoyer pour les filières du réemploi et de l’économie solidaire ; de l’éducation populaire ; ainsi que pour le développement de la pratique du vélo dans les milieux peu denses. Ces milieux ont d’ailleurs maintenu la pratique cycliste jusqu’au milieu des années 70 quand la montée généralisée du niveau de vie, couplée aux imaginaires de l’automobilité, pénalisèrent le vélo comme solution de mobilité utilitaire (Héran, 2015).

Ateliers d’autoréparation en Autriche

Le plus ancien atelier d’autoréparation de vélo au monde qui est toujours en service se trouve probablement à Vienne : le WUK a été crée en 1983. Le deuxième atelier en Autriche qui est toujours en activité a été fondé en 2005, puis le nombre a augmenté. En 2020, l’année d’une étude exhaustive dans le cadre d’un mémoire de master par Maximilian Teppner, il y avait 10 ateliers en Autriche, dont 4 à Vienne, 2 à Graz, 1 respectivement à Innsbruck, Linz, St. Pölten et Wels. Toutes les villes autrichiennes promeuvent l’infrastructure de cyclisme, une étude a ainsi révélé que 13% des habitants des villes se déplacent en vélo (contre 36,5% pour Copenhague par exemple) (Teppner, 2020). Cependant, la capitale, Vienne, a pendant longtemps privilégié la promotion des transports en commun, c’est pourquoi 38% des habitants utilisent ce moyen de transport pour se déplacer en ville (bien plus qu’à Copenhague ou Amsterdam).

Parmi les 10 ateliers en activité, deux étaient en restructuration et cinq étaient organisés en association. Les bénévoles des trois autres se retrouvaient selon leurs arrangements. Seulement un atelier demandait une adhésion payante afin de pouvoir utiliser les outils et l’espace de l’atelier. Les ateliers se définissent comme des lieux de rencontre pour tisser le lien social avec la communauté. L’un des problèmes majeurs est d’avoir un lieu « stable », c’est-à-dire un endroit où on peut se retrouver et organiser l’autoréparation. Seulement quatre ateliers n’ont jamais changé de lieu depuis leur fondation (Teppner, 2020).

Atelier de réparation à Linz (Autriche) (Source : Teppner, 2020)

Conclusion — une approche communautaire du transport durable

Les ateliers d’autoréparation de vélos sont souvent négligés en tant qu’agents de l’économie circulaire, que ce soit par les professionnels du milieu ou par des chercheurs ayant des perspectives hégémoniques comme Buehler et Pucher. Pourtant, ils ont un rôle clé à jouer dans les transitions écologiques, en prolongeant la durée de vie des vélos et en promouvant et soutenant une approche communautaire des mobilités, fondée sur la convivialité, le partage et l’entraide, atteignant des centaines de milliers de participants.

Initiés et animés par des militants engagés et des cyclistes solidaires, ces ateliers se sont installés dans des villes et territoires urbains partout au monde. Ce sont les centres de socialité et d’apprentissage, le “software” de l’infrastructure du vélo — ou ce qu’Alejandro Manga appelle les “espaces du vélo” (Batterbury et Manga 2020 ; Manga 2020, 2021). Ils accumulent un savoir-faire populaire, qu’ils mettent à disposition des adhérents néophytes ou pas, pour qu’ils désirent rouler, sachent rouler, et puissent rouler. Ils font partie d’une économie alternative, sociale et solidaire axée sur la réutilisation plutôt que sur la surconsommation. Ils travaillent avec d’autres organisations qui encouragent et promeuvent l’économie circulaire et font partie d’un mode de vie plus lent établi sur des principes qui valorisent la justice sociale, le partage et l’autonomie.

D’un point de vue pratique, nous avons constaté que les ateliers ont besoin de bénévoles et particulièrement de locaux sécurisés, ayant accès au moins à l’électricité, en réseau ou pas, selon les emplacements. Leurs budgets limités en font un défi, en particulier dans les villes où les marchés immobiliers flambent. Les ateliers partagent parfois des lieux avec d’autres activités du secteur associatif. Ainsi, la Bicyclette Bleue de Genève fait partie de l’écosystème associatif des Ressources Urbaines. L’accès à des locaux sécurisés est un domaine clé où le soutien des pouvoirs publics et les apports de fondations et individus favorables au vélo sont les bienvenus. Des outils, des stationnements à vélo et des pièces de rechange sont également nécessaires.

Les ateliers d’autoréparation du vélo prolongent la durée de vie des vélos et favorisent une approche communautaire de la mobilité durable, tout en favorisant la convivialité et en rendant nos villes plus vivables.

Notes

  1. Faire du vélo produit un dixième des émissions de CO₂ par rapport à la conduite d’une voiture (calculé à 21 g/km , qui comprennent la nourriture nécessaire pour nourrir le cycliste). Faire du vélo est bénéfique pour la santé, comme observé pendant la pandémie de COVID. Différents modèles s’adaptent à des pratiques différentes : le loisir, les déplacements utilitaires et pendulaires, les mobilités de soins, et les livraisons (Nurse, 2021 ). Les vélos électriques modernes étendent l’autonomie (à plus de 60 km et avec 14,8 g/km de CO₂) et améliorent l’accessibilité, bien qu’avec des impacts environnementaux importants, notamment en raison de la production de batteries au lithium sourcées dans des environnements fragiles.

Bibliographie

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https://doi.org/10.1071/NB08043

Thèses consultables

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Teppner, Maximilian. 2020. Community bicycle workshops in Austria — A comparison study of structures, aims and operating methods. Université de Graz (Autriche), Diplomarbeit (Thèse de Master)

Vidéos et présentations en conférence

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Manga, A. 2020. Activist’s bikespaces. Cycling & Society conference, 2020. https://www.youtube.com/watch?v=k8-jfaTsdvM

Manga, A. 2021. The Bikespace of Greater Geneva. https://www.youtube.com/watch?v=3iMGC4A3L3I

Auteurs:

Simon Batterbury: Professeur Associé à l’Université de Melbourne et Professeur Invité, à l’Université de Lancaster, Royaume-Uni www.simonbatterbury.net https://bikeworkshopsresearch.wordpress.com/

Alejandro Manga: Chercheur Associé Worcester Polytechnic Institute ; Doctorant en cotutelle au Laboratoire Villes, Mobilité et Transport (LVMT), Université Gustave Eiffel, et en Communication, Culture, et Médias, à l’Université Drexel aux États-Unis.

Matthias Kowasch: Professeur d’éducation géographique à l’University College of Teacher Education Styria, à Graz, en Autriche et professeur II à l’Inland Norway University of Applied Sciences, Norvège

Ruth Lane: Professeur Associé en géographie humaine, Monash University, Australie

Financements:

Simon Batterbury a reçu un financement du Melbourne Sustainable Society Institute, Université de Melbourne et Cosmopolis, VUB Bruxelles, Belgique.

Alejandro Manga est administrateur de L’Heureux Cyclage. Il bénéficie d’un financement du Forum Vie Mobiles pour ses recherches doctorales.

Matthias Kowasch est affilié à Chôros ( https://www.choros.place/ ).

Ruth Lane a reçu un financement de l’ARC.

Remerciements

Nous remercions Bernardita del Real, Stephen Nurse, Derlie Mateo-Babiano, Alexandre Rigal, Max Teppner et Carlos Uxo. Cette recherche a été financée par le Melbourne Sustainable Society Institute, de l’Université de Melbourne et de Cosmopolis, Vrije Universiteit Brussel, Belgique. Alejandro Manga bénéficie d’un financement du Forum Vie Mobiles pour son projet de recherche sur le rôle des mouvements du vélo pour les transitions écologiques.

Pour citer cet article: Batterbury SPJ, Manga A, Kowasch M. et R. Lane. 2021. Les ateliers d’autoréparation du vélo et l’enseignement de la vélonomie. Anthropocene2050.

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L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.