Programme Blue Marble. Les lettres persanes à l’ère Anthropocène.

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
Published in
8 min readApr 12, 2023

Conçu et mis en œuvre par le photographe Adrien Pinon, le Programme Blue Marble est un documentaire fictif sur deux spationautes missionnés par l’École Urbaine de Lyon, pour la collecte, dans notre Monde, de la matière nécessaire à l’étude de l’Anthropocène. Retrouvez le résultat de cette aventure artistique et scientifique via le site dédié qui recense plus de 200 photographies.

Adrien Pinon est urbaniste et photographe. La photographie est un médium lui permettant à la fois de comprendre, d’archiver et de raconter l’Anthropocène.

Alexandre Rigal. Pouvez-vous nous partager votre expérience de la photographie Blue Marble — comment l’avez-vous découverte et qu’est-ce qu’elle vous évoque?

Adrien Pinon : J’ai découvert la photographie The Blue Marble lors du premier cours public « Qu’est-ce que l’anthropocène ? » de Michel Lussault aux Halles du Faubourg. C’était étonnant car elle semblait très familière (sensation très certainement dû au fond d’écran par défaut de l’Iphone à sa sortie) et nouvelle à la fois. Monsieur Lussault, après avoir fait l’éloge de l’esthétique de cette image, nous a expliqué l’importance symbolique et historique de celle-ci. Je ne m’attarde pas dessus et vous invite grandement à écouter le podcast de ce cours (https://www.sondekla.com/user/event/9491).

Ce cours a éveillé ma curiosité, j’étais touché par cette photo qui donne à voir toute la beauté et la fragilité de notre planète perdue dans l’immensité noire de l’espace, et je voulais en savoir plus sur les conditions de sa réalisation. Je me suis donc mis à me renseigner sur les différentes missions Apollo et je me suis posé des questions très pratiques : Quel était le matériel utilisé ? Comment les spationautes étaient formés à la photographie ? Quels objectifs de prises de vues avaient-ils pour répondre aux exigences scientifiques mais aussi à la narration de leur mission ? En tant que photographe ce fut stimulant de plonger dans les détails d’une aventure photographique exceptionnelle.

photograhie d’Adrien Pinon - Programme Blue Marble

AR. Alors que la photo Blue Marble est une photographie prise de l’espace par des astronautes, vous avez décidé d’un autre dispositif pour photographier la planète : documenter la mission, fictive, d’un spationaute sur Terre. Pouvez-vous nous expliquer ce parti pris?

AP : L’idée de revenir sur terre est venue d’un constat et d’une envie. Le constat était que la photographie Blue Marble allait fêter ses 50 ans le 07 décembre 2022. C’était donc l’occasion idéale de faire un projet photo partant de celle-ci pour la célébrer. L’envie était de remettre les pieds sur terre, en rebondissant d’ailleurs sur le titre du livre de Bruno Latour « Où atterrir ? », et d’affirmer que 50 ans après il étant temps de revenir sur cette bille bleue, de voir comment elle avait changé. Ainsi l’aventure spatiale continue mais en revenant à la case départ, celle où nous sommes toutes et tous, avec des spationautes qui prolongent leur récit photo et leur mission scientifique.

AR. Vous avez apporté un soin particulier au choix des objets, tant de votre appareil photo que du costume du spationaute et de son drapeau inédit semble-t-il. Pouvez-vous nous les décrire?

AP : Effectivement une attention particulière a été portée sur les objets pour avoir un rendu le plus crédible possible. Tout d’abord, pour être le plus fidèle à la continuité du récit visuel entre les missions du programme Apollo et les missions du Programme Blue Marble, j’ai décidé d’utiliser le même appareil photo moyen-format (un Hasselblad 500 C/M) et la même pellicule (une Kodak Ektachrome). J’ai aussi essayé de suivre au maximum les directives donnés aux spationautes dans un petit fascicule d’époque pour prendre de “bonnes photos”, c’est-à-dire cadrer, composer et exposer de la même manière.

Pour le costume du spationaute j’ai eu plusieurs échanges autour du design de celui-ci avec l’entreprise qui allait le fabriquer. Je souhaitais aller vers quelque chose de simple et contemporain pour ancrer cette histoire dans notre actualité. La couleur blanche s’imposée et le casque devait être vraiment convaincant pour être certain que nous avions bien affaire à un spationaute. Je pense que nous avons réussi notre coup car quelques mois après les costumes de SpaceX étaient dévoilés et nous étions assez proche de ce rendu-là !

Le drapeau était un élément qui me tenait particulièrement à cœur car il allait permettre de faire des photos emblématiques qui dialogueraient directement avec des photos que l’on a en tête quand on pense à la lune et à la conquête spatiale (pas de conquête sans drapeau non ?!). L’intention était d’avoir un drapeau qui nous rassemble en tant qu’habitant d’une même planète. Il fallait donc donner une vision de simplicité et d’unité. Au final j’ai décidé de faire ce qui paraissait le plus logique : une bille bleue. Avec ce drapeau fièrement dressé on affirme que la Terre est bien notre maison et que la grande histoire de l’humanité se joue ici et nulle part ailleurs.

photograhie d’Adrien Pinon — Programme Blue Marble

AR. Muni de son équipement, votre spationaute ne débarque pas sur la Terre à n’importe quelle époque, mais en plein Anthropocène. Quelle perspective sur l’Anthropocène avez-vous adopté dans votre projet?

AP. Je dois ici préciser que même si on ne voit qu’un seul spationaute en photo il faut bien avoir en tête qu’ils sont deux. De fait, je me positionne comme le deuxième spationaute qui accompagne le premier que l’on découvre sur les photos. Dans cette fiction ma principale mission était de photographier les paysages, les activités et d’archiver nos sorties extra-véhiculaire, la sienne était de récolter la matière et les objets nécessaires à l’étude de l’Anthropocène, ainsi on opérait en binôme comme sur la Lune.

J’ai décidé d’aborder cette époque de l’Anthropocène de manière assez “naïve”, comme s’il fallait d’abord découvrir ce que c’était pour ensuite pouvoir en parler. On débarque donc sur la Terre avec un regard neuf et on est surpris par ce qu’on y voit (nos environnements, nos pratiques, nos objets…). Pour y arriver j’ai photographié, autant que possible, de manière assez extinctive afin de mettre en exergue ce qui peut nous sembler banal et anodin mais qui peut avoir un réel intérêt scientifique pour aborder et comprendre l’Anthropocène. Evidemment beaucoup de photos étaient aussi planifiées pour être certain d’accompagner le plus justement possible des productions de l’Ecole Urbaine et s’assurer de couvrir de nombreuses thématiques phares (l’eau, les déchets, l’urbanisation, les énergies, les mobilités…).

AR. A la manière des spationautes, vous avez également réalisé des prélèvements d’objets, quelle était votre méthode et quels sont les résultats de ces collectes?

AP. La méthode de collecte consistait à récupérer sur le terrain (ainsi qu’à domicile) des objets et différentes matières (terre, eau, roche…) qui montreraient la diversité d’entrées d’études possibles et témoigneraient du fait que l’Anthropocène concerne bien tous les territoires, toutes les activités, tout le vivant. Cet inventaire est très limité car il se résume uniquement à 5 sorties (en ville, en périphérie, en campagne, en montagne et sur le littoral) mais il me semble qu’il aborde bien la complexité et la diversité du sujet.

Le choix de se concentrer sur des objets du quotidien, ou sur de simple petite roche, s’explique aussi par le souhait de nous ramener à une échelle que l’on comprend mieux. Nous avons beaucoup d’images liées à l’imaginaire de l’Anthropocène qui sont impressionnantes et souvent prises du ciel. Elles mettent en scène des quantités incroyables d’objets, des pollutions démesurées ou des catastrophes énormes. Parfois ça nous déconnecte car ces images rentrent dans la catégorie de l’exceptionnel, voire même de l’impensable, et pire peuvent parfois être très belles ! On rentre dans cette notion du “sublime” que le chercheur Alfonso Pinto aborde dans l’esthétique des catastrophes. Revenir à quelque chose de petit, banal, et parfois moche, permet ainsi de se dire que l’Anthropocène n’est pas quelque chose d’exceptionnel et de distant, mais bien proche de nous au quotidien.

photograhie d’Adrien Pinon

AR. Votre projet est multimédia, quelle est la raison de cette démarche et comment pouvons-nous en savoir plus sur votre travail?

AP. Mon objectif premier avec ce projet photographique était de mettre en avant la diversité et la richesse des travaux de l’Ecole Urbaine de Lyon. Le récit est donc une manière ludique d’attirer le grand public et de faire découvrir, via des liens accompagnant les photos, les productions de l’Ecole Urbaine présentes sur différentes plateformes. Car il y des vidéos sur Youtube, des podcasts sur Soundekla, des articles sur Medium… on peut facilement passer à côté de quelque chose ou tout simplement ne pas savoir par quoi commencer ! Donc la personne qui visite le site www.programmebluemarble.com découvre d’abord une histoire, se balade au gré de ses envies dans les différentes zones étudiées et s’arrête sur les photos qui l’intriguent (souvent accompagnées d’un lien permettant de comprendre les enjeux mis en lumière).

Pour donner du corps et du sérieux à cette fiction j’ai sollicité le géographe Alfonso Pinto pour produire un texte “scientifique”. Je lui ai demandé de se mettre dans la peau d’un chercheur qui découvrirait les clichés et qui en tire une première analyse. Le texte se veut très sérieux, aussi surprenant et décalé soit-il, et nous permet de nous regarder dans le miroir. Il me semble que cela conclut de manière originale le projet et fait la synthèse de ce qu’il faut retenir si on n’a pas le temps d’écouter les centaines d’heures de podcasts !

J’invite aussi les personnes curieuses des coulisses de ce projet à visionner la vidéo documentaire d’une quinzaine de minutes présente sur le site internet. J’y explique plus en détails comment j’ai travaillé à concrétiser cette aventure et on m’y voit photographier le spationaute sur les différents terrains. Un grand merci à l’équipe de The D’s pour ce film que je trouve vraiment très réussi !

Interviewé: Adrien Pinon est urbaniste et photographe. La photographie est un médium lui permettant à la fois de comprendre, d’archiver et de raconter l’Anthropocène.

Interview par: Alexandre Rigal est chercheur postdoctoral à l’Ecole Urbaine de Lyon et rédacteur en chef d’Anthropocene 2050

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L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.