L’univers interstellaire de SMITH
Par Danièle Méaux
Les 13, 14 et 15 octobre 2021 se tiendra, à Saint-Étienne, le colloque « Arts Contemporains & Anthropocène », coorganisé par l’École Urbaine de Lyon, l’Unité de Recherche ECLLA (Université Jean Monnet), l’École Supérieure d’Art et de Design de Saint-Étienne, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Saint-Étienne, le projet A.R.T.S, le Lieven Gevaert Centre for Photography, Art and Visual Culture (Université catholique de Louvain / Université de Leuven) et l’Université de Gênes. Une exposition accompagnera ces trois journées de rencontre et de débat.
En préambule de cette manifestation, chaque mois, seront présentées ici des œuvres qui engagent la réflexion à ce sujet.
SMITH est un artiste contemporain transdisciplinaire, tout à la fois photographe, plasticien, metteur en scène et chercheur. Dans Désidération. Anamanda Sîn (initié en 2017), il aborde les relations multiformes, intenses et ambivalentes, que l’homme entretient avec l’immensité cosmique. L’œuvre protéiforme se décline en une diversité d’actualisations qui se complètent et se répondent afin de former un ensemble évolutif : conférences, photographies, vidéos, sculptures, pièces musicales, radiophoniques, chorégraphiques et littéraires, développées par une pluralité d’acteurs, se prolongent les unes les autres pour témoigner diversement de la fascination que les étoiles exercent sur les hommes.
Le terme latin sideralis vient de sidus (astre). Le néologisme « désidération » désigne, grâce au préfixe privatif « dé- », la perte de la relation avec le ciel étoilé ‒ que l’éclairage omniprésent, lié à l’urbanisation croissante, tend aujourd’hui à oblitérer. L’affaiblissement, voire l’anéantissement de ce rapport se présente comme un élément révélateur des désordres que l’anthropocène impose à nos sociétés. Dans le même temps, « désidération » renvoie de façon paronymique à l’intense fascination des hommes pour les étoiles et les nuées ; cette dernière se manifeste au sein des légendes traditionnelles, mais aussi des tentatives technoscientifiques les plus récentes et les plus déraisonnables, mises en place par des apprentis-sorciers mégalomanes. Conçue par SMITH avec l’astrophysicien Jean-Philippe Uzan, l’œuvre reflète l’histoire d’une humanité en quête de lien avec les étoiles, de connexion physique avec une altérité extraterrestre. Se trouve même formulée la possibilité d’une l’inoculation de météorites dans l’organisme ‒ qui permettrait à chacun d’acquérir une dimension cosmique.
L’installation présentée à Arles, au sein des Rencontres Internationales de la Photographie 2021, a été conçue par l’artiste en collaboration avec le Studio d’architectes Diplomates. Le visiteur se trouve guidé par la présence d’une bande vidéo, au sein de laquelle Amanda Sîn commente l’aspiration des hommes pour le monde céleste et leur intense besoin de connexion aux étoiles ; en écho à la voix enjôleuse de ce personnage, l’exposition propose une immersion dans la psyché de l’héroïne. Elle inclut des météorites, tombées sur notre planète, des créations textiles, des interventions musicales du compositeur Gaspar Claus et des nombreuses photographies renvoyant à la présence du cosmos. Réalisées avec une caméra infrarouge, les images de SMITH introduisent dans un monde où les êtres et les choses communiquent par le biais de vibrations et d’ondes davantage qu’au travers de la vue ou de l’intellect. Certaines vues possèdent des couleurs acidulées qui métamorphosent les apparences et transportent le spectateur dans un monde qui oscille entre manifestations immémoriales du merveilleux et science-fiction. Certaines photographies de paysage font ressembler le sol terrestre à la surface de planètes lointaines, encore inviolées. D’autres font voisiner des sujets humains avec des étoiles luisant au sein du firmament sombre et fonctionnent comme autant d’appels à l’imaginaire.
Face à la présence envoûtante de l’univers interstellaire, la vie sur terre paraît précaire. Entre expression du sentiment de la perte d’un lien fondamental et errance onirique, expression de fantasmes atemporels et imagination de dérives aventureuses et potentiellement catastrophiques, Désidération crée une atmosphère dérangeante qui incite le visiteur à réfléchir sur ses rapports au cosmos, à penser la manière ils évoluent aujourd’hui selon les situations sociales ou géographiques des uns ou des autres, à interroger les formes que l’humanité va donner à l’avenir à ces relations.
Par Danièle Méaux, Professeur des universités, Esthétique et sciences de l’art, photographie, Université Jean-Monnet, Saint-Etienne, Laboratoire ECLLA.