Nicolas Grimaldos-Osorio : “L’utilisation de l’hydrogène vert pourrait résoudre en grande partie le problème des émissions de gaz à effet de serre liées aux transports et à la mobilité”.

Par Lucas Tiphine

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
6 min readSep 30, 2020

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©N. Grimaldos-Osorio and al. 2020

A l’occasion des annonces du gouvernement concernant un investissement massif pour la filière hydrogène dans le cadre du plan de relance économique, Nicolas Grimaldos — Osorio, doctorant à l’Université Claude Bernard Lyon 1, lauréat d’une bourse de thèse de l’Ecole Urbaine de Lyon, présente ses premiers résultats de recherche sur l’electrolyse des polymères, une nouvelle piste de recherche dans le domaine. Il partage également sa vision de l’innovation scientifique au service de la mutation écologique.

Pourriez-vous tout d’abord expliquer le procédé de stockage de l’énergie à l’aide de l’hydrogène ?

L’hydrogène est l’un des éléments les plus courants et les plus abondants sur Terre, mais le principal problème qui a entravé son utilisation à grande échelle comme vecteur d’énergie est qu’il n’existe pas naturellement sous sa forme moléculaire. Cela signifie qu’il n’est pas possible de trouver un «réservoir» d’hydrogène diatomique (H2) stable. À ce jour, l’hydrogène est principalement produit par un procédé appelé «vaporeformage du méthane», qui utilise un combustible fossile pour générer un H2 de faible pureté, accompagné de composés polluants comme le CO et le CO2.

Pour parvenir à une utilisation cohérente avec les ambitions environnementales actuelles, il est nécessaire d’utiliser un procédé de production d’hydrogène «vert» à partir de sources renouvelables et sans émissions polluantes dans son sillage. Pour cela, le procédé le plus prometteur est «l’électrolyse de l’eau», qui consiste à casser la molécule d’eau (H2O) pour produire H2 et O2 en utilisant uniquement de l’électricité renouvelable. Idéalement, des sources d’énergie intermittentes telles que le vent, le solaire et les marées pourraient être utilisées pour produire de l’hydrogène vert à l’aide d’électrolyseurs.

Cet hydrogène propre peut être utilisé pour remplacer les combustibles fossiles pour l’industrie, les transports et la production d’électricité en cas de besoin. L’utilisation de l’hydrogène comme carburant ne produit que de la vapeur d’eau en tant que déchet, aucune autre émission polluante n’est générée. Il est également important de dire que l’approvisionnement en hydrogène est essentiel pour l’industrie chimique et que la nécessité de le produire de manière durable est donc d’une importance vitale.

Dans une étude que vous avez menée et dont les résultats viennent de paraître (lien à la fin de l’interview), vous avez réalisé une electrolyse de polymère tel que l’on en trouve dans les plastiques. Quels intérêts et enjeux cela présente-t-il par rapport à une electrolyse à partir de l’eau ?

Tout d’abord, il faut comprendre pourquoi notre étude cherche à électrolyser un polymère. L’une des principales difficultés rencontrées pour que le procédé d’électrolyse de l’eau puisse être utilisé plus largement est la consommation d’énergie nécessaire. L’énergie requise pour briser la molécule d’eau et produire de l’hydrogène est très élevée, donc d’autres possibilités sont explorées pour réduire ces besoins énergétiques. L’une des plus étudiées est la co-électrolyse de molécules organiques, qui peuvent être cassées plus facilement. Par exemple, il est possible d’utiliser des petites molécules organiques comme des alcools. Néanmoins, ces carburants ne sont pas totalement renouvelables. L’idée explorée au sein de notre groupe de recherche est l’utilisation de déchets organiques comme la lignine, issue du bois, et le glycérol, qui sont produits en grande quantité et peu valorisés. Dans le cas de mon travail, l’utilisation de déchets plastiques (qui sont de grosses molécules organiques) est envisagée pour réduire les besoins énergétiques du processus d’électrolyse.

L’utilisation de déchets plastiques pour la production d’hydrogène par électrolyse est une idée totalement nouvelle. Jusqu’à présent, seules deux études sont répertoriées dans le monde, dont celle en cours de développement par notre équipe. Mes premiers travaux ont porté sur une molécule modèle d’un plastique largement utilisé (PMMA, polyméthylméthacrylate) afin de mieux comprendre les mécanismes et ce en vue de les extrapoler à de vrais échantillons de plastique à base de PMMA. Dans la deuxième phase, qui commence actuellement, des échantillons synthétiques plus proches de la réalité sont étudiés.

Dans l’hypothèse où ce procédé pourrait-être appliqué à une échelle industrielle, quels seraient les composés qui resteraient après l’electrolyse des matières plastiques en plus de l’hydrogène ? Seraient-ils eux-mêmes utilisables pour d’autres usages ?

Cela dépend beaucoup des conditions de travail utilisées et du type de plastique traité. Dans une situation idéale, les déchets plastiques pourraient être électrooxydés pour produire du dioxyde de carbone d’un côté de l’électrolyseur et de l’hydrogène pur de l’autre. Néanmoins, l’oxydation complète des polymères est difficile à atteindre. Nous envisageons plutôt de produire des composés organiques intermédiaires à haute valeur ajoutée à partir desdits déchets en plus de l’hydrogène. Dans le cas spécifique du PMMA, notre objectif est de le convertir en PMAA (poly (acide méthacrylique)), un matériau difficile à fabriquer et qui est utilisé comme adhésif ainsi que pour des applications pharmaceutiques. La chose importante à retenir est que tout procédé chimique peut être modifié pour obtenir les produits souhaités, l’électrolyse des plastiques peut ainsi être adaptée pour générer de l’hydrogène et des sous-produits d’intérêt.

Des doutes ont été émis sur la viabilité économique et énergétique de la filière hydrogène, par exemple par le PDG de Volkswagen en 2019, qui a indiqué qu’il n’y avait à ses yeux pas d’alternative à la batterie électrique pour le XXIe siècle. Pourriez-vous expliquer pourquoi ?

Bien que des doutes sur la viabilité de l’électrolyse de l’eau existent depuis plusieurs années, la réalité est qu‘il s’agit d’ une technologie qui pourrait radicalement changer le cours des choses en ce qui concerne les enjeux énergétiques sur notre planète. L’utilisation de l’hydrogène vert comme vecteur énergétique pourrait résoudre en grande partie le problème des émissions de gaz à effet de serre liées aux transports et à la mobilité. Jusqu’à présent, les batteries électriques étaient considérées comme l’alternative viable car il s’agit d’une technologie plus mature qui répond aux exigences d’utilisation dans les véhicules de tous types. Mais le principal problème des batteries est la pénurie de matières premières pour leur fabrication et les déchets qu’elles génèrent une fois leur cycle de vie utile terminé.

De nombreux efforts sont en cours pour rentabiliser la production de l’hydrogène vert et son utilisation. Plus précisément en France, le plan de relance de l’économie annoncé récemment par le gouvernement envisage l’investissement de 7 milliards d’euros sur les dix prochaines années pour «l’hydrogène vert», ce qui montre qu’il existe également une volonté politique de faire progresser cette technologie.

De manière plus générale, certains chercheurs sont dubitatifs quant à l’idée de ruptures technologiques qui pourraient permettre à l’humanité de continuer sa croissance sans accentuer le changement global des conditions de vie terrestre ? Comment vous positionnez-vous par rapport à cette question ?

Historiquement, les êtres humains ont été confrontés à de nombreuses crises graves qu’ils ont réussis à résoudre de manière créative et collaborative. Cette capacité nous a permis d’atteindre un niveau de développement jamais vu auparavant pour aucune espèce sur la planète. Actuellement nous sommes confrontés à des situations que nous avons nous-mêmes provoquées et que nous devons une fois de plus résoudre ; cette fois ce sera une question de survie.

Nous avons vu qu’au cours des dernières décennies, toutes les branches de la science et de la technologie ont progressé de façon exponentielle, c’est maintenant que toutes ces connaissances doivent converger vers des solutions à nos problèmes environnementaux et aux changements mondiaux. Personnellement, je pense qu’au cours des prochaines années, nous trouverons la bonne direction en termes de développement technologique et environnemental. Mais ces avancées ne seront pas d’une grande utilité sans des changements à l’échelle personnelle et sociale. Il nous faut toutes et tous prendre conscience que seule une action collective nous permettra de préserver l’humanité et la planète.

Pour aller plus loin :

N. Grimaldos-Osorio, F. Sordello, M. Passananti, P. Vernoux, A. Caravaca,
From plastic-waste to H2: Electrolysis of a Poly(methyl methacrylate) model molecule on polymer electrolyte membrane reactors, Journal of Power Sources, Volume 480,2020.

https://authors.elsevier.com/c/1biS91M7w0QhK6 (en accès libre pendant quelques jours)

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École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050

L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.