Nourrir la ville : quelle résilience alimentaire pour les territoires ?

Sylvain Léauthier
Anthropocene 2050
Published in
7 min readSep 7, 2020
Photo by Marcellin Bric on Unsplash

Comment allons-nous manger demain ? Comment relocaliser la production agricole sur nos territoires ? Quel rôle pour les collectivités territoriales dans les problématiques agro-alimentaires ?

Fragilisé par les multiples crises systémiques (changement climatique, épuisement des ressources, effondrement de la biodiversité…), le système alimentaire est aujourd’hui très vulnérable.

Depuis quelques années, les collectivités territoriales, notamment certaines communes et intercommunalités, se réapproprient peu à peu les enjeux alimentaires, autrefois au coeur des politiques publiques locales.

Menaces sur l’agriculture

Quelles menaces pèsent sur nos activités de production, de distribution et de consommation de l’alimentation ?

Félix Lallemand est chercheur & cofondateur de l’association Les Greniers d’Abondance, qui vise à étudier les vulnérabilités du système alimentaire actuel et à promouvoir des politiques de résilience alimentaire. Il dresse un panorama très complet de ces menaces.

Photo by Ma Ti on Unsplash

D’une part, se manifestent des menaces exogènes au système alimentaire, en lien avec les changements globaux. Elles incluent :

  • le changement climatique qui occasionnera des inondations de plus en plus fréquentes, ainsi que des périodes de sécheresse plus longues et plus intenses, mettant en péril les rendements agricoles.
  • l’effondrement de la biodiversité, et de certains services écosystémiques tels que la pollinisation et le renouvellement de la fertilité des sols.
  • la raréfaction des énergies fossiles est également un enjeu majeur pour le système alimentaire, car ce dernier en est un grand consommateur : engrais de synthèse très gourmand en gaz naturel, chaînes de transport logistiques, jusqu’au déplacement des consommateurs dans les points de distribution, puisqu’il n’existe souvent plus de lien entre ce qui est produit sur un territoire et ce qui est consommé sur ce même territoire.
  • Les instabilités politiques et sociales constituent, également, une autre forme de risque, qui peuvent notamment impacter les systèmes de distribution, surtout dans un modèle de concentration industrielle où un très petit nombre d’unités de production gère la majorité de volumes.

D’autre part, existent les menaces internes, intrinsèques au système agricole : dégradation et perte en matière organique des sols, érosion et pollution des sols…Tout cela affecte la productivité des sols. Avec le phénomène d’étalement urbain, l’artificialisation des sols est également une problématique majeure.

Enfin, la diminution du nombre de travailleurs agricoles est une tendance lourde depuis le début de la révolution industrielle : seuls 3% des actifs travaillent aujourd’hui dans l’agriculture en France, soit un français sur cent !

Vers la résilience alimentaire des territoires

Face à ces enjeux, l’approche de la résilience alimentaire vise à prendre en compte l’ensemble de ces menaces, et d’adopter une vision la plus transversale possible du système alimentaire : foncier, agriculteurs, fermes, mais aussi transformation, distribution, achat et consommation. Il suffit en effet qu’un dysfonctionnement affecte un seul de ces maillons pour mettre en péril la sécurité alimentaire d’un territoire. Objectif : relocaliser le système alimentaire, et le rendre moins vulnérable.

Photo by Gregory Hayes on Unsplash

Mais comment mettre en oeuvre cette résilience ?

Le retour d’expérience de la communauté d’agglomération du Grand Angoulême apporte de précieux éléments de réponse.Sur ce territoire occupé à 48% par l’agriculture, avec 500 exploitants en grandes cultures, viticulture, élevage et maraîchage, la collectivité et Les Greniers d’Abondance ont établi ensemble un diagnostic détaillé du système alimentaire du territoire afin de mettre en oeuvre un projet de résilience alimentaire. “L’intérêt est de faire le lien entre toutes ces menaces, […]afin de construire une stratégie plus robuste et plus efficiente. C’est quelque chose que nous n’avions pas fait auparavant, en tout cas pas de manière aussi globale”, témoigne Aurore Dupont, chargée de projets alimentation et agriculture à la communauté d’agglomération du Grand Angoulême.

Objectif : relocaliser le système alimentaire, et le rendre moins vulnérable.

Depuis 2017, l’agglomération du Grand Angoulême travaille sur la problématique de diminution de la population agricole et la disparition des terres agricoles à travers les plans locaux d’urbanisme intercommunaux.

Par ailleurs, l’agglomération a lancé en 2016 l’espace test agricole, un dispositif qui permet aux porteurs de projets agricoles, notamment ceux non issus du monde agricole et qui n’ont pas de ferme familiale, de tester leur envie et leurs projets. Cet espace vise notamment à aider à renouveler les populations de maraîchers, qui sont en forte diminution, sur des terres souvent très fertiles.

Afin de tester la pratique, de trouver des débouchés puis de concrétiser son installation, un espace test permanent en maraîchage biologique a été inauguré en 2018, avec 3 porteurs de projets en test.

Autre axe de travail, en lien avec l’éducation au goût : la restauration scolaire sur le territoire, avec l’animation, depuis 2015, d’un réseau de cuisiniers dans les communes de l’agglomération, afin de leur permettre de travailler avec des produits locaux et de développer le “fait maison”. Ce plan prévoit, notamment, de favoriser les protéines végétales et la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Enfin, l’agglomération conduit des projets de sensibilisation aux étudiants, en collaboration avec le centre information jeunesse et le CROUS : animations sur le “fait maison” et édition d’un guide des recettes en image pour les 3000 étudiants de l’agglomération…

L’intercommunalité au coeur de la résilience alimentaire

L’alimentation était historiquement une question politique forte pour les villes, explique Félix Lallemand. “Mais cette question a été déléguée à d’autres acteurs de l’alimentaire durant ces derniers siècles : aux agriculteurs, aux distributeurs, à l’industrie agro alimentaire. La question de l’alimentaire est progressivement sortie du champ politique”.

Néanmoins, cette tendance s’inverse ces dernières années : les intercommunalités s’emparent de nouveau de la problématique alimentaire en lien avec leur territoire.

Photo by Rebecca Georgia on Unsplash

Pour traiter cet enjeu, qui pose notamment la relocalisation des flux de matières, l’intercommunalité est une échelle d’action très pertinente.

Cette échelle combine des compétences réglementaires lui permettant d’agir sur divers maillons du système alimentaire (plans climat-air-énergie, planification urbaine, développement économique local, restauration scolaire, gestion des déchets, ainsi qu’une assise démocratique locale et qu’une connaissance fine des acteurs de terrain…). Les intercommunalités peuvent jouer un rôle de coordination entre les communes et acteurs de la chaîne alimentaire.

“La question de l’alimentaire est progressivement sortie du champ politique”

Grande Synthe dans le Nord, Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes, Ungersheim en Alsace sont des exemples emblématiques des communes ou intercommunalités qui se sont investies dans des projets plus globaux, avec des effets très concerts.

“Il faut des actions coordonnées à tous les niveaux : communes, intercommunalités, mais également aux niveaux national et supranational, sans oublier le rôle des citoyens” analyse Félix Lallemand.

Un constat partagé par le retour d’expérience local à Angoulême : “Le besoin de coordination est partout, même au niveau le plus fin avec les 38 communes faisant partie de notre agglomération”, remarque Aurore Dupont. ”On ne va pas demander à chaque commune de remettre en place un producteur de légumes ou un producteur de viandes. L’échelle de la commune n’est pas forcément adaptée pour cela. Chaque commune a déjà des initiatives, il est donc important de coordonner toutes ces actions et d’affecter les moyens sur les projets”.

Il est également fondamental, selon Aurore Dupont, de voir au-delà de son propre territoire administratif : “Nous avons intérêt à sortir du périmètre. L’agglomération est un bon échelon, mais il ne faut pas rester uniquement sur cette échelle. Par exemple, beaucoup de producteurs situés en dehors de notre territoire livrent sur notre territoire. Ces acteurs doivent aussi être pris en compte”.

Faire entrer l’agriculture dans le champ économique

Quelles sont les perspectives à explorer en matière de filière alimentaire ?

Pour Aurore Dupont, le fait de bien connaître tous les acteurs de la chaîne alimentaire (semenciers, stockage de céréales, minoteries, boulangeries du territoire) est un préalable important. Ces derniers ne sont pas toujours identifiés par les services de développement économique des communautés d’agglomération.

“Par économie, on entend souvent développement économique tertiaire industriel ou culturel. L’agriculture est souvent oubliée, alors qu’elle affecte des ressources humaines et financières importantes ! Par exemple, on n’a jamais posé la question d’où venait la semence, alors que c’est l’origine de tout”.

Des analyses et un retour d’expérience instructifs et encourageants, car ils prouvent que la prise de conscience est réelle et se traduit déjà par des projets concrets. Pour remettre l’alimentation au coeur des politiques publiques locales, le chemin à parcourir est long, mais les perspectives sont engageantes et l’enjeu est vital.

Retrouvez l’intégralité de la rencontre-débat “ La résilience alimentaire des territoires” en podcast, dans le cadre des “Mercredi de l’anthropocène” organisés par l’École Urbaine de Lyon.

--

--

Sylvain Léauthier
Anthropocene 2050

“De ce qui occupe le plus, c’est de quoi l’on parle le moins. Ce qui est toujours dans l’esprit, n’est presque jamais sur les lèvres.”