Prédire la Troisième Guerre Mondiale, Prédire le changement climatique.

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
Published in
37 min readDec 21, 2021

Par Randall Collins (Professeur émérite de sociologie à University of Pensylvania, @sociologicaleye)

Traduit de l’Anglais américain par Alexandre Rigal (@Alexandre_Rigal)

Les experts ont un bilan négatif pour prédire le futur. Et ce même lorsqu’il s’agit de penseurs bien informés des tendances de leur époque et de connaisseurs des meilleures théories du changement social et politique. Je vais m’intéresser particulièrement à C. Wright Mills, qui a écrit The Causes of World War Three [Les causes de la troisième guerre mondiale] en 1960.

C. Wright Mills, étoile filante géniale de la sociologie américaine (Creative Commons).

Mills prévoyait une guerre nucléaire dévastatrice, et son analyse des conditions poussant dans cette direction était réaliste. Soixante ans plus tard, alors que nous sommes en 2020 [Ndt: date de l’écriture du texte], nous avons à expliquer son erreur. Mills était le meilleur sociologue de son époque. Il était le traducteur en anglais des travaux de Max Weber sur le pouvoir politique, la multidimensionalité de la stratification sociale, et la bureaucratisation de toutes les sphères de la vie moderne. Et il s’est appliqué à utiliser cet appareil théorique sophistiqué pour dresser le portrait des Etats-Unis — The Power Elite [L’élite au pouvoir] — (1956), un portrait qui sonne toujours juste aujourd’hui selon bien des aspects.

Est-ce que Mills manquait des outils intellectuels pour prédire l’impasse et la désescalade de la menace nucléaire (et d’autres événements) qui commencèrent à advenir peu de temps après sa mort en 1962? Ou est-il inévitable que personne, quelle que soit sa virtuosité en sciences sociales, ne puisse prédire ce qui s’est passé entre 1960 et 2000? Ce ne sont pas des questions rhétoriques.

On peut éliminer l’argument selon lequel toutes les prédictions sont auto-destructrices, puisque les personnes qui en deviennent conscientes empêcheraient qu’elles se produisent. Peut-être que certaines prédictions sont auto-destructrices, mais la plupart des événements se produisent malgré les avertissements vigoureux qui les précèdent. Les années 1861–1865 qui mènent à la Guerre de Sécession sont un parmi de nombreux exemples; la vague de décolonisation des décennies post-1945 en est un autre. D’ailleurs, la Seconde Guerre mondiale a été largement prédite; mais personne ne put l’arrêter. Nous devons éviter les jugements de l’ordre du tout ou rien à propos de la possibilité ou de l’impossibilité des prédictions sociales; posons-nous au contraire la question selon quelles circonstances peut-on prédire plus ou moins précisément? Nous avons aussi à nous demander selon quelles conditions nous pouvons éviter (ou non) des désastres déjà prévus? La question est tout sauf triviale, alors que l’anticipation du changement climatique n’entraîne pas la population à nécessairement agir pour le stopper. Y parviendrons-nous ou non n’est pas une question pour les sciences naturelles, mais pour la science sociale.

Ce que les penseurs du début du XXème siècle prédisaient

Avant d’examiner les thèses de C Wright Mills sur la guerre nucléaire, étudions plusieurs prédictions établies durant la période 1890–1910. Edward Bellamy était un journaliste d’investigation à l’ère de la misère industrielle et des luttes ouvrières: son livre de 1888, Looking Backward [Regard vers le passé], raconte l’histoire d’un homme qui est mis K.O. dans un accident en 1887 et qui se réveille à Boston en l’an 2000. Les usines épouvantables ont disparu; il y a partout des parcs et de la verdure. Un régime socialiste fourni du travail et des logements pour tous, avec une quasi-égalité des salaires. Bellamy prend le programme des socialistes radicaux de son époque et dépeint sa réalisation, avec une crise plus ou moins marxiste du capitalisme comme tournant du XXème siècle. Ses vues étaient largement partagées durant les années 1940. Schumpeter — qui n’était pas un partisan du socialisme — écrit en 1942 que l’avancée de la bureaucratie sous la forme du gouvernement et d’entreprises géantes allait faire disparaître les entrepreneurs qui fournissaient le flux d’innovations qui maintenant vivant le capitalisme. Schumpeter était un socio-économiste aussi raffiné qu’il n’y en a jamais eu. Comment s’est-il trompé sur les implications de sa propre théorie, alors que les cinquante ans qui ont suivi sa mort ont montré à quel point sa théorie de la croissance économique est toujours aussi puissante ?

Autre exemple. L’entreprise historique monumentale au tournant du siècle était celle de la rédaction de The Cambridge Modern History [Ouvrage d’historie moderne publié par l’Université de Cambridge], planifiée par Lord Acton, et enrôlant les meilleurs historiens mondiaux afin d’écrire des chapitres détaillés sur la politique, l’économie et les événements culturels de 1400 au début du XXème siècle. Quatorze volumes ont été publiés entre 1902 et 1912. Les rédacteurs, qui devaient être les personnes les mieux informées au monde lorsqu’ils eurent terminé, ont résumé leur point de vue global et objectif dans le volume The Latest Age (1910). Ils percevaient que le souci principal de leur époque était la question sociale — les inégalités sociales, la pauvreté, la lutte des classes — , qui prenait à la fois la forme du travail social avec les pauvres, des syndicats avec divers niveaux de radicalité, de la législation progressiste et même de la révolution socialiste. Le volume se termine par: “L’époque à venir sera préoccupée par la tentative de traduire [ces] idéaux en politique pratique” (p.15). Il s’agit d’une assez bonne anticipation de la période jusqu’aux années 1950, et de plusieurs décennies au-delà sur la scène mondiale.

Le Soviet de Petrograd en 1917 (Creative Commons)

Ce que les rédacteurs manquèrent totalement, c’est la possibilité de la Première Guerre Mondiale et de ses continuations; ils notent le duel des puissances européennes mais n’y perçoivent rien d’inhabituel. Ils commentent positivement la tendance à l’arbitrage international des désaccords (anticipant la Ligue des Nations et l’ONU). En outre, les rédacteurs possèdent une théorie des causes de la paix: le pouvoir de la finance internationale est devenu omniprésent, et “les intérêts des financiers sont, en règle générale, du côté de la paix et de la tranquillité… leurs moyens de persuasion peuvent être employés contre des gouvernements aussi bien que contre des individus… Aucun pouvoir, aucune personne, n’est trop grand, aucun homme trop modeste, pour être atteint par la pression omniprésente et invisible des intérêts financiers et de l’autorité financière. Cette force, aussi immorale qu’elle soit, aussi sordide qu’elle puisse paraître, est un facteur croissant dans la politique européenne et, en règle générale, elle est exercée pour préserver la paix” [p.14–15]. La partie réaliste de cela est d’anticiper l’ascension continue du capitalisme financier international — qui deviendra encore plus puissant des années 1970 à nos jours. Mais il manque quelque chose d’important ici ; peut-être est-il vrai que les financiers dans leur ensemble préfèrent la paix pour mener leurs affaires où bon leur semble, mais les guerres et les mouvements sociaux sont d’un autre ordre de causalité et peuvent prendre le pas sur les financiers ou les emporter dans leur enthousiasme.

L’éditeur de The Cambridge Modern History admettait qu’il prenait une vue matérialiste, ce qui correspond à l’atmosphère de son temps, partagée par Bellamy, tout comme par les disciples de Marx. L’exemple le plus frappant de ce point de vue est H.G. Wells, The Time Machine (1895) [La machine à explorer le temps]. Cet ouvrage est considéré comme l’une des premières œuvres de science-fiction, mais Wells était un romancier à thèse et il est resté célèbre pendant trente ans pour sa vue d’ensemble de l’histoire de l’humanité, combinant l’évolution biologique, l’invention scientifique et les problèmes sociaux de son époque. Dans son récit, un inventeur londonien crée une machine à explorer le temps, et se transporte presqu’un million d’années dans le futur — pour être précis, l’année 802701 de notre ère. Londres est maintenant habité par des petites personnes très mignonnes, qui passent leur temps à jouer, danser et faire l’amour. Elles ne travaillent pas et tout est fourni pour eux par des machines. Jusque-là c’est le paradis scientifique du futur. Mais le voyageur dans le temps découvre que ces personnes ont une peur bleue de la nuit. Il s’avère que la nuit des s’ouvrent des ouvertures vers des mines, et qu’une autre race de gens du sous-sol — poilus, musclés et sales — , y font tout le travail; en fait leurs yeux ne fonctionnent plus à la lumière du jour depuis du fait des siècles passés à travailler dans l’obscurité. La nuit ils sortent pour chercher quelque chose à manger: les petites gens sont leur viande.

Couverture de l’édition de 1969 de “The Time Machine” (Flickr)

Wells part de la lutte des classes de son temps pour l’extrapoler durant suffisamment de générations pour que l’évolution biologique transforme les humains en deux races: les travailleurs brutalisés, et les classes supérieures choyées. La représentation de ces dernières n’est pas une mauvaise projection; la classe supérieure européenne de la fin du XIXème siècle était une classe oisive qui organisait des goûters, des concerts et des bals, s’habillait somptueusement et s’amusait avec des histoires d’amour (la comédie d’Oscar Wilde’s The Importance of Being Earnest [L’importance d’être Constant], produite la même année que le roman de Wells, donne une bonne idée de l’atmosphère à partir de laquelle Wells extrapole; tout comme Proust). Les classes moyennes également accédaient aux loisirs, et elles aussi organisaient de plus en plus leurs vies autour des divertissements populaires et des sports. Wells, pensant à la manière d’un évolutionniste, conjecture que les classes privilégiées, avec de moins en moins de travail à effectuer, perdraient l’usage de leurs muscles et rétréciraient jusqu’à la taille d’elfes; alors que les travailleurs évoluraient sous la forme de brutes inhumaines^1.

La réalité sociale sur laquelle Wells s’appuyait ne doit pas être expliquée simplement par l’évolution biologique. Max Weber, écrivant vingt ans plus tard, voyait la même tendance vers une société obsédée par le divertissement et le sexe, et le théorisait en l’associant à la bureaucratisation en tant que tendance principale de l’histoire moderne. Chaque sphère de la vie devient rationalisée et calculée — l’Etat, l’armée, les campagnes électorales, l’économie. Aliénés dans la cage d’acier d’une mentalité du calcul des coûts, les gens se replient psychologiquement sur leurs vies privées, où ils vivent pour se divertir (de haute culture ou de culture populaire) et pour trouver du sens dans l’amour sexuel (Weber 1915). Weber pouvait déjà observer cette tendance dans la culture hédonistique de la jeunesse de Berlin et de Vienne avant la Seconde Guerre mondiale; les “années folles” furent le triomphe d’une avant-garde consciemment festive dans la plupart des pays riches (et un sujet pour des écrivains comme F. Scott Fitzgerald aux Etats-Unis, Aldous Huxley et Evelyn Waugh en Angleterre, Hermann Hesse et Christopher Isherwood en Allemagne). La nouveauté de cette contre-culture hédonistique a disparu (avec des renouveaux dans les années 1960 et ensuite), mais la prédiction de Weber est l’une des plus précises que nous ayons conservées; elle tient pour tout le XXème siècle, se diffusant mondialement (les pays islamiques menant un combat d’arrière-garde contre celle-ci), et ne montre pas de signe de déclin au XXIème siècle.

Mais comment ces intellectuels ont-ils pu rater le coche? Ils perçoivent avec précision une des tendances les plus puissantes de leur temps: Bellamy, Wells, et les éditeurs de The Cambridge Modern History se concentrent sur l’intensification de la lutte des classes, ni dans les termes de Marx ni dans dans une version réformiste. Schumpeter et Weber percevaient la bureaucratisation comme une tendance majeure qui emporte même le socialisme^2. Leur incapacité provient d’une concentration sur l’importance démesurée d’un seul versant d’une théorie, et de manquer ce qui se situe en dehors. Leur boîte à outils théorique était trop restreinte. Nous pouvons encore mieux prendre cela en considération, une fois examiné le cas de C. Wright Mills, qui mit la théorie wébérienne à pleine contribution sur la situation des années 1950. Il avait la plus large vision possible pour l’époque, mais ce qui lui manquait est mis en évidence par les éléments qui ont fait échouer les prédictions de Mills.

Quand les gens ont-ils le pouvoir social de décider de leur avenir ?

Schéma résumant l’élite au pouvoir selon C. Wright Mills — The Power Elite — (Creative Commons)

Le livre de Mills n’est pas polémique, mais un recueil réfléchi de la meilleure sociologie de son temps. Pourtant cela montre comment les meilleurs outils intellectuels, maniés avec une objectivité délibérément non partisane, peuvent toujours passer à côté de développements futurs fondamentaux.

Mills commence non par dénoncer la course aux armes nucléaires, mais par soulever la question de savoir si tout arrive par fatalité, ou s’il est possible de prendre des décisions intelligentes. Il traite de cette question en tant que sociologue cherchant des causes au lieu d’une discussion sans nuances sur le libre-arbitre. Ce qui a été traditionnellement nommé “Destin” a un fondement sociologique, puisque c’est “le résumé et le résultat inattendu de décisions innombrables d’un nombre innombrables d’hommes” [p. 26; utilisant le langage pré-féministe d’alors]. Mills est un pionnier de l’interactionnisme symbolique, voyant l’interaction entre les personnes comme le fondement de tous les patterns macro que nous appelons les structures sociales. Mais les patterns historiques d’interaction ont changé radicalement entre les temps traditionnels et modernes. “Dans ces sociétés dans lesquelles les moyens du pouvoir étaient rudimentaires et décentralisés, l’histoire est destin.” Personne n’est en position de contrôler ce que la plupart des gens font, donc même si de mauvaises choses adviennent, vous n’êtes pas en position d’y faire grand-chose. Mais des décisions sur la direction de la société peuvent être faites quand les sociétés deviennent centralisées, ce qui résulte du passage de sociétés féodales à industrielles.

Alors que le début de l’industrialisation capitaliste advint lentement et à partir de nombreuses origines locales, au milieu du XXème siècle dans les pays avancés, la centralisation avait eu lieu dans toutes les sphères: les entreprises économiques coordonnées par la grande finance; des forces militaires géantes couvertes par une logistique et des achats d’armes fondés sur la vigueur de l’économie; d’immenses agences gouvernementales nationales pour taxer, gérer et contrôler. Les recherches de Mills lui-même avaient montré l’existence d’une élite au pouvoir [Power Elite d’après le titre d’un ouvrage de Mills cité plus haut], à l’intersection des réseaux dominants du fait de la circulation des cadres d’entreprise, des officiers militaires, des scientifiques et des fonctionnaires d’un de ces emplois à un autre. L’exemple principal d’élite au pouvoir était aux Etats-Unis, qui avaient construit une structure centralisée pour remporter la Seconde Guerre mondiale. Une structure analogue avait été créée en URSS, où la combinaison du socialisme révolutionnaire et de la mobilisation de guerre avait produit une nouvelle élite au pouvoir.

Résumant son propos, Mills écrivait: “‘Les hommes sont libres de faire l’histoire’, et certains hommes sont désormais beaucoup plus libres de le faire que d’autres, car une telle liberté requiert l’accès aux moyens de décision” (p. 28 — sa terminologie faisant écho à la fois à Marx et Weber).

Mills en tire deux conséquences. Pour la première fois de l’histoire, des décisions extrêmement fatidiques pouvaient être prises; dans ce cas précis, faut-il détruire la planète dans une guerre nucléaire? Mais pourquoi quelqu’un pourrait-il vouloir cela? Des décisions peuvent être prises implicitement tout comme des non-décisions, simplement en laissant les affaires suivre leur cours — en ce cas, une course aux armes nucléaires. La seconde inférence est que les individus qui constituent l’élite au pouvoir partagent une vision commune du monde, une psychologie commune par la vertu de la manière dont ils ont construit leur carrière ; où vous vous situez déterminée ce que vous pensez. Structurellement, ils ont le pouvoir de changer le cours de l’histoire; mais du fait de leur psychologie sociale, il est peu probable qu’ils utilisent ce pouvoir pour éviter une catastrophe. Dans les années 1950 et à l’aube des années 1960, l’élite au pouvoir voyait la course aux armes nucléaires entre les Etats-Unis et les Soviétiques comme inévitable.

Mills fit le meilleur état des lieux de quand et comment certaines personnes ont la capacité de transformer l’histoire, et quand ils ne peuvent rien faire de plus que de suivre le cours des choses. Néanmoins, sa théorie manque certains éléments cruciaux, et cela rendit fausse sa prédiction principale. Avant d’examiner ce qu’il a omis, exposons plus précisément son analyse de la guerre nucléaire qui vient.

Mills et les causes de la Troisième Guerre Mondiale

Essai nucléaire sur l’atoll de Bikini en 1954 (Creative Commons)

La cause évidente de la Troisième Guerre Mondiale est la course aux armements. Débutant avec la course entre les Alliés occidentaux et les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale, elle a produit les bombardements aériens, les tirs de fusée à longue distance, et la bombe atomique. Elle fut poursuivie par les Etats-Unis et l’URSS, et produisit rapidement des avions à réaction, la bombe à hydrogène, les fusées spatiales, les missiles balistiques intercontinentaux, les porte-avions et les sous-marins à propulsion nucléaire. Un pattern d’escalade mutuelle apparut, aucun des deux côtés ne souhaitant ne voulant être dépassé. Au début des années 1960, les moyens de destruction atteignirent un point où la contamination de l’atmosphère par les radiations d’une guerre nucléaire pouvait potentiellement éradiquer la vie humaine sur Terre (c’est exactement ce qui est dépend dans le film de 1964 Docteur Folamour). Mills, comme d’autres, pointait le fait que bien que personne ne souhaite que cela puisse arriver, l’escalade continue d’armes dévastatrices augmentait le risque qu’une guerre éclate par accident. Le défaut d’un équipement, une mauvaise lecture d’un signal radar, la mauvaise perception des intentions de l’ennemi, pourrait déclencher une attaque en vue de réagir immédiatement avant d’être détruit.

Il s’agit uniquement de causes immédiates. Des causes plus profondes sont inscrites dans la structure qui donna l’émergence de l’élite au pouvoir. Les Etats-Unis s’étaient tirés de la Grande dépression des années 1930 par les énormes dépenses gouvernementales de la Seconde Guerre mondiale. Quand la prospérité revint dans les années 1950, la grande industrie, notamment automobile, l’aviation, l’acier, la chimie et l’électronique n’étaient pas seulement produites pour les consommateurs, mais leurs plus gros consommateurs continuaient d’être les militaires. Ainsi, à tous égards, la course à l’armement — pas uniquement la course aux armes nucléaires mais toutes les autres formes d’armement et de logistique — a soutenu un complexe militaro-industriel. Elle était tellement intégrée dans l’économie que l’emploi de la plupart des gens en dépendait, directement ou indirectement. Les États-Unis sont devenus une “économie de guerre permanente”, même en temps de paix.

Cela a créé en retour un état d’esprit généralisé. Peu de gens interrogeaient la direction qu’ils étaient en train de suivre. Les dépenses gouvernementales étaient devenues la source principale de financement pour la recherche scientifique; les scientifiques prenaient pour acquis que leurs carrières universitaires dépendaient de l’obtention de tels financements, s’ils ne travaillaient pas directement pour le gouvernement ou pour des entreprises produisant du matériel militaire. Les élites scientifiques, économiques et politiques se sont coalisées pour poursuivre la course aux armements.

Mills était bien conscient que les opposants à la course aux armes existaient — il était actif parmi eux. Mais en tant que sociologue, il était attentif à la nécessité de comprendre l’origine sociale de cette opposition. En dessous de l’élite au pouvoir, les Etats-Unis étaient une démocratie de la classe moyenne. Cela incluait des politiciens du Congrès aussi bien que d’un niveau fédéral et local; des associations professionnelles dee toutes sortes, des célébrités du divertissement, des intellectuels, des universitaires, et toutes les branches des médias culturels. Mais leurs intérêts étaient limités et locaux; ils opéraient au sein du système plus vaste des grandes organisations, et pour la plupart, ils les acceptaient. Les syndicats de travailleurs étaient encore puissants mais ils étaient largement liés aux intérêts des grandes entreprises, aussi longtemps qu’ils recevaient une part des recettes. Mills appelait la classe moyenne une “impasse semi-organisée” incapable de changer le complexe militaro-industriel, et largement désintéressée de le faire. En-deçà de la classe moyenne, il y avait une masse impuissante de consommateurs, plus intéressés par les sports et les divertissements que par quoi que ce soit d’autre.

Voilà pour le côté américain de la course aux armements. Mais que dire des Soviétiques? Leur structure avait été forgée également durant la Seconde Guerre mondiale et ils continuaient à agir de manière top-down pour se hisser au rang des pays les plus industrialisés dans les années 1950. L’URSS était aussi fondée sur un complexe militaro-industriel; par conséquent, la mentalité consistant à l’entretenir devait également être intégrée dans la vision du monde de l’élite soviétique au pouvoir.

Construction de la station hydroélectrique d la Dnepr en 1931 (Creative Commons)

Mais ici Mills fit une prédiction qui paraît étrange rétrospectivement, bien qu’elle était fondée sur une vision réaliste des faits de son temps. Il note à quel point la Russie s’industrialisait rapidement, accomplissant en moins d’un demi-siècle ce qui avait demandé trois cents ans pour l’émergence du capitalisme moderne et occidental. C’était le résultat de l’industrialisation forcée, la politique coercitive mais centralisée des Soviétiques bâtissant une industrie lourde moderne, que Mills jugeait comme évidemment supérieure au modèle occidental. Les Soviétiques avaient été rapides à mettre leur expertise scientifique à l’oeuvre où ils en avaient besoin, ce qui était démontré par leur capacité à créer une bombe à hydrogène quelques années après les Etats-Unis, et lançant le satellite habité Spoutnik dans l’espace en 1957, devançant les Etats-Unis. Mills citait des statistiques: l’URSS avait crût économiquement à un rythme de 6%, alors que le taux américain était de 3%. Ainsi, il prédisait que les Soviétiques allaient “dépasser l’économie américaine dans une ou deux décennies” [p.80] — et il pensait que c’était d’autant plus probable du fait de l’économie socialiste dirigée par l’Etat ne ralentirait pas selon les cycles de récession périodique du capitalisme. À mesure que la Chine se ressaisira, elle tirera les leçons de ses prédécesseurs et obtiendra un taux de croissance encore plus rapide : “ce que la Russie a fait industriellement en 40 ans, la Chine pourrait bien le faire en 25 ans” (ce qui n’est pas une mauvaise prédiction à certains égards, même si le décollage chinois n’a commencé que dans les années 1980).

Le résultat de la comparaison de Mills entre les Etats-Unis et l’URSS est que les Soviétiques n’étaient pas aussi engagés dans la course aux armements nucléaires que les Américains. En parlant avec des Russes, il a eu l’impression qu’ils pensaient que l’avenir leur appartenait ; tout ce qu’ils avaient à faire était d’attendre encore une dizaine d’années, et leur modèle se révélerait supérieur. Et cela le ramène à l’élite américaine du pouvoir. Si les États-Unis sont plus engagés dans la course aux armements que les Soviétiques, c’est nous [les Américains] qui portons la plus grande responsabilité dans le danger de guerre nucléaire. D’une manière ou d’une autre, le mouvement pacifiste doit attirer l’attention de l’élite au pouvoir, pour la convaincre d’arrêter la course aux armements. Mais comme le complexe militaro-industriel est au cœur de notre économie, les chances de le changer sont faibles.

Que manque-t-il à l’analyse de Mills?

Evidemment il n’y a pas eu de guerre nucléaire, en fait, aucune bombe n’a été utilisée depuis 1945 (toutefois le futur est encore ouvert). Cela résulte en partie de quelque chose qui n’était pas dans le champ de vision de Mills, la chute de l’URSS et de ses Etats satellites entre 1989 et 1991 — trente ans après que Mills ait écrit en 1960. Il s’attendait aussi à ce que les Soviétiques dépassent les Etats-Unis économiquement en dix à vingt ans; au lieu de ça, autour de 1975, il devint visible qu’ils prenaient du retard et étaient soumis à des tensions économiques considérables lorsque Gorbatchev lança un mouvement de réforme en 1985.

Représentation du téléphone rouge exposé au musée Jimmy Carter (Wikipedia Commons).

Mills considérait que personne au sein de l’élite au pouvoir ne pouvait faire quoi que ce soit contre la course aux armes nucléaires, et il n’était pas optimiste qu’il le fasse. Toutefois, en 1962, peu de temps après la crise des missiles de Cuba, quand les Etats-Unis et l’URSS se menaçaient, Kennedy et Krouchtchev mirent en place une “ligne rouge” téléphonique, afin d’éviter d’entrer en guerre du fait d’une incompréhension. A nouveau au milieu des années 1980 — après une période durant laquelle les Etats-Unis augmentèrent massivement leurs forces nucléaires de façon à rattraper la menace soviétique perçue — Reagan et Gorbatchev négocièrent un traité de réduction du nombre des armes nucléaires. Ces événements entrent-ils dans le cadre des prédictions de Mills ? Ils correspondent à son argument selon lequel, avec la centralisation de la prise de décision chez les deux puissances mondiales, tout mouvement efficace en faveur de la paix devait venir d’en haut.

Mills avait explicitement éliminé la possibilité qu’un mouvement partant d’en bas pouvait contester la course aux armes. Mais à ce propos il fut démenti quelques années après avoir écrit. Au début des années 1960, il y avait un mouvement pour interdire la bombe, surtout actif en Grande-Bretagne, mais avec un petit groupe d’activistes aux Etats-Unis. Ils ne furent pas efficaces à l’époque. En 1965, un mouvement antiguerre bien plus grand se développa aux Etats-Unis, en opposition à la guerre du Vietnam. Il devint militant, construit à partir de manifestations et de sit-in, des tactiques du mouvement des droits civiques pour l’intégration raciale, et le mouvement tenta même de bloquer le Pentagone lors d’une grande marche en 1968. Ce mouvement antiguerre échoua; il était impopulaire dans l’opinion publique; il ne parvint pas à faire élire un candidat antiguerre à la convention démocrate de Chicago en 1968; il posséda un candidat en 1972 (McGovern), qui perdit l’élection dans de grandes largeurs en faveur d’un président pro-guerre (Nixon). Malgré cela, quelque chose se passa. Les Etats-Unis se retirèrent du Vietnam du Sud en 1973, ce qui permit au pays de devenir communiste en 1975. Mais désormais les militaires étaient inquiets; durant des années, les officiers militaires tentèrent explicitement d’éviter un “autre Vietnam”. Et bien que la majorité du public soutienne initialement n’importe quelle intervention américaine — la guerre du Golfe en 1991, l’invasion de l’Afghanistan après les attaques du 11 septembre 2001, et l’invasion de l’Irak en 2003 — de telles guerres devinrent finalement impopulaires si elles duraient plusieurs années.

Mills ne réfléchit pas aux conditions qui existaient pour rendre victorieux un mouvement pacifiste. Il était probablement dans le vrai — aucun mouvement pacifiste n’était capable de dicter une politique gouvernementale — . Néanmoins, le sentiment antiguerre grandit généralement des années 1965 à 2000, et il fut temporairement influent depuis lors. Ce qu’il s’agit d’expliquer ce sont les conditions pour un mouvement pacifiste partiellement victorieux.

Ce qui manque dans la théorie de Mills: une théorie des mouvements sociaux

Marche des droits civiques à Washington, D.C. n 1963 (Creative Commons)

La théorie des mouvements sociaux n’était guère développée en 1960. Elle se concentrait sur l’irrationalité du comportement des masses, et sur les mouvements de droite motivés par la perte de statut. Ces théories furent transformées à mesure que les sociologues devinrent attentifs aux mouvements des droits civiques, antiguerre, aux mouvements féministes des années 1960 et 1970. La plus pertinente de ces nouvelles théories indiquait que la mobilisation des ressources était la clé de la croissance des mouvements sociaux. Les mouvements sociaux se développent où il existe des réseaux pour recruter des activistes et des soutiens; la coordination par le biais d’organisations, avec un encadrement engagé à plein-temps pour lever des fonds, rechercher une publicité positive dans les journaux, et recruter des avocats et d’autres professionnels pour protéger les manifestants d’arrestations, et intenter des poursuites devant les tribunaux. Tous les mouvements sociaux ne développent pas l’ensemble de ces ressources. Ils ont fait un usage varié de manifestations violentes et non violentes, de la désobéissance civile, et de l’action légale; les mouvements qui utilisent toutes ces tactiques tendant à être les plus couronnés de succès. Les organisations composant les mouvements sociaux sont cruciales pour faire persister un mouvement durant la longue période — souvent dix ans ou plus — qui est nécessaire pour obtenir des concessions; cette offensive multidimensionnelle est illustrée par le succès du mouvement des droits civiques.

L’essentiel de ces manières de mobiliser des ressources furent mises en oeuvre dans le développement d’un mouvement antiguerre durant la guerre du Vietnam. D’après ses observations des années 1950, Mills considérait les universités comme conformistes et carriéristes. Mais dans les années 1960, les universités devinrent des ressources majeures pour l’émergence de nouveaux mouvements sociaux. C’est là que de nouvelles organisations de mouvements sociaux furent créées, que des réseaux furent recrutés, et que de l’enthousiasme fut accumulé. Et ce panel de ressource crût rapidement: la fréquentation des universités explosa, d’environ deux millions d’étudiants en 1950, à neuf millions en 1970. Initialement, les mobilisations débutèrent par les étudiants dans des universités du Sud historiquement noires, qui organisèrent le mouvement des sit-in afin de déségréger les infrastructures publiques; en quelques années ils furent imités par les étudiants blancs du Nord. La mobilisation des ressources s’auto-entretient. Les activistes et leurs tactiques furent transférées du mouvement des droits civiques aux manifestations antiguerre; d’autres retombées de ces mouvements ont rendu possible le mouvement féministe de la deuxième vague au tournant des années 1970.

La mobilisation des ressources — une théorie absente du répertoire de Mills — explique comment le mouvement antiguerre put croître. Mais qu’est-ce qui explique son degré de succès (ou son manque de succès)? La théorisation de la recette du succès des mouvements sociaux reste incomplète. Mais établissons quelques comparaisons approximatives. Le mouvement des droits civiques réussit à déségréguer les institutions publiques en environ vingt ans. Le mouvement antiguerre échoua à faire cesser la guerre du Vietnam durant ses dix premières années; dans les années 1980, il échoua à stopper le renforcement massif des capacités nucléaires durant la présidence Reagan; une désapprobation encore plus grande contre l’invasion de l’Irak, en 2003, resta aussi inefficace. Tout au plus nous pouvons dire que le mouvement antiguerre grossit sur une période de quarante ans, créant ainsi un segment de l’opinion publique dont les leaders gouvernementaux durent se soucier.

En somme, nous avons un mouvement qui a réussi la plupart de ses buts avoués en vingt ans; et un mouvement avec un succès modeste après quarante ans. Le cadre de référence de C. Wright Mills expliquer cette différence. Les droits civiques étaient un problème local, loin des préoccupations et des intérêts des élites du pouvoir. Ils pouvaient être réclamés dans une ville après l’autre; les mobilisations étaient au niveau que Mills considérait ouvert aux intérêts contradictoires. Les mouvements populaires, agissant localement avec l’aide d’une couverture médiatique positive, peuvent construire une série de victoires. Arrêter les guerres et les armes nucléaires, au contraire, a opposé les activistes au centre du pouvoir national. Le fait que les préoccupations antiguerre ont finalement eu une modeste influence sur la politique internationale montre que l’élite au pouvoir a pu être poussée, dans une certaine mesure — en tout cas, plus que Mills ne l’anticipa.

La principale raison pour laquelle la guerre nucléaire n’a pas eu lieu doit être attribuée à des facteurs de grande échelle, extérieurs et hors du contrôle de chaque élite nationale.

Faiblesse théorique : Géopolitique

La théorie géopolitique offre les conditions de la croissance et du déclin du pouvoir militaire des Etats; quand les guerres éclatent; qui réussit et échoue, et quand des impasses se produisent. La théorie géopolitique était encore rudimentaire en 1960, se réduisant au modèle de l’escalade mutuelle de la course aux armements, que Mills utilisait; en plus de la théorie de l’équilibre des pouvoirs, fondée sur la politique britannique de 1700 à 1800, que Mills considérait comme inapplicable au monde bipolaire de l’après-guerre.

A la fin des années 1970, j’ai mis en place une théorie géopolitique, combinant des formulations existantes, et fondées sur l’examen des changements de frontière des Etats dans le monde durant les 3000 dernières années. Elle comporte cinq principes:

[#1] Les Etats avec une plus grande population et de plus grandes ressources économiques s’étendent aux dépens des territoires plus petits et plus pauvres; et ces avantages et désavantages s’accumulent à mesure que les plus grands grossissent.

[#2] Les Etats périphériques d’une zone densément peuplée ont tendance à s’étendre, alors que les Etats centraux ont tendance à se fragmenter et à être avalés.

[#3] A mesure que [#1] et [#2] opèrent sur une période de temps (30–50 ans pour chaque itération), une région géographique donnée se simplifie en deux grands Etats (ou empires/alliances) se confrontant l’un l’autre.

[#4] Des confrontations entre deux grands Etats génèrent un tournant avec trois résultats possibles: la victoire d’un côté, ou de l’autre, d’où résulte un Empire mondial; ou une impasse coûteuse, entraînant le déclin du pouvoir des deux concurrents ce qui ouvre la voie à l’expansion de nouveaux Etats.

[#5] Un grand Etat peut aussi décliner du fait d’une surextension: s’étendant si loin de son centre économique que ses ressources sont consommées en logistique pour déplacer et fournir ses forces. Finalement il perd des guerres sur des frontières lointaines, même contre des puissances plus faibles. De telles défaites, combinées avec le poids économique de l’armée, crée une crise de légitimité au centre, ce qui stimule des révolutions et des changements de régime.

Mills observait la situation après les premières et secondes Guerres mondiales, quand les Etats d’Europe centrale avaient perdu deux fois dans leur lutte contre les grands Etats à l’Est et l’Ouest. La défaite de l’Allemagne correspond à [#1] et [#2]. Mais les deux Etats les plus puissants à l’Ouest, la Grande-Bretagne et la France, étaient épuisés militairement également. Le vide du pouvoir post-Seconde Guerre mondiale fut rempli par deux Etats périphériques, les Etats-Unis et l’URSS, selon une confrontation pour un Empire mondial (ou toute autre terminologie qu’on puisse utiliser pour leur quête d’hégémonie). Cela correspond à [#3]. Historiquement, ces épreuves de force armée ont été particulièrement féroces et destructrices (contrairement aux batailles civilisées, qui suivent les règles de l’étiquette, des guerres limitées et équilibrées). La course aux armements nucléaires dans l’épreuve de force américano-soviétique, qui menace de tout détruire, correspond à ce modèle.

Expansion de la Russie et URSS jusqu’en 1945 (Creative Commons)

Historiquement, la Russie a été un Etat s’étendant depuis les années 1400 jusqu’aux années 1800, depuis Moscou contre des zones de population relativement pauvres en ressources, à l’Est et au Sud: à nouveau [#1]. Vaincue par le pouvoir émergent du Japon à l’Extrême-Orient, et par les forces de l’Axe durant la Première Guerre mondiale, ce qui entraîna la révolution en Russie. Le régime communiste hérita de la position géopolitique de la Russie, avec les avantages après la Seconde Guerre mondiale que ses ennemis immédiats à l’Ouest et à l’Est étaient détruits; il commença à s’étendre de nouveau, prenant le contrôle sur l’Europe de l’Est et étendant son influence globale en sponsorisant des régimes révolutionnaires partout dans le monde. C’était la situation comme C. Wright Mills la voyait en 1960. L’engagement au Vietnam débuta après la mort de Mills en 1962, mais cela correspond à [#5] — la surextension logistique — alors que les Etats-Unis se trouvaient dans une longue et coûteuse impasse, combattant une guérilla à l’autre bout du monde, ravitaillés de la manière la plus dispendieuse, par air.

Jusqu’à cette date, en 1975, le pronostic de Mills paraissait correct, alors que le Vietnam du Sud tombait aux mains des communistes. Ensuite les conditions géopolitiques changèrent. Le retrait américain du Vietnam fut déterminant dans la victoire du Vietnam Nord, mais cela réduisit la surextension logistique. [#5] n’était plus un problème, et les Etats-Unis conservèrent cette posture prudente jusqu’à 2001. La Guerre du golfe de 1991 fut une exception, mais l’engagement fut stoppé après quatre jours; et aucune occupation coûteuse de l’Irak ne fut tentée. Alors que les Etats-Unis amélioraient leur position géopolitique, la Russie faisait un grand effort pour améliorer la sienne. L’URSS poursuivait son expansion militaire, envahissant l’Afghanistan en 1979 pour soutenir un gouvernement communiste faible; les neuf ans de guerre en résultant furent le Vietnam russe — une perte de ressources et une crise de légitimité en Russie, menant au mouvement de réforme de Gorbatchev. Les pouvoirs qui entrent en déclin d’un point de vue géopolitique tendent à perdre le contrôle territorial plus rapidement qu’ils ne l’ont acquis. Les révolutions de 1989 en Europe de l’Est ont mené à la perte des satellites post-Seconde Guerre mondiale; la révolution de 1991 en URSS brisa des centaines d’années de conquête s’étendant de la Lituanie au Kazakhstan.

L’OTAN contre le Pacte de Varsovie de 1949 à 1990 — sans l’Allemagne de l’Est — (Creative Commons)

La confrontation longue de quarante-cinq ans entre le bloc soviétique et le bloc dominé par les Etats-Unis se termina selon le pattern [#4] et [#5]: la confrontation prolongée des deux parties et l’impasse rendirent possible la croissance de nouvelles coalitions de pouvoir à leur périphérie. Ce furent les “nations non alignées” et le “Tiers Monde”; et inclurait le bouleversement du Moyen Orient selon sa propre idéologie de combat (le nationalisme islamique à la fois contre le capitalisme occidental et le communisme). C’était dans ce climat idéologique que la Chine sortit de l’orbite soviétique, et finalement lança sa propre version du nationalisme d’un Etat qui contrôle le marché et le socialisme.

Le raisonnement de Mills aurait été exact si la guerre nucléaire avait eu lieu dans les années 1960 ou 1970. Cela ne fut pas le cas. La détente nucléaire produit une impasse; et cela rendit possible une configuration mondiale qui se transforma en un monde polymorphique à la fin des années 1980. À cette date, le fait que la campagne communiste pour la domination (ou la libération) du monde ne disposait plus de beaucoup de ressources ni d’enthousiasme n’avait plus d’importance. C’était dans ce nouveau climat de délégitimation idéologique que les régimes soviétiques se réformèrent ou s’effondrèrent presque partout.

Nous avons encore à expliquer pourquoi la guerre nucléaire ne fut pas déclarée dans les années qui ont précédé la fin de la Guerre froide. Nous avons deux autres facteurs à envisager.

Faiblesse théorique: extrapoler les taux de croissance économique

En comparant les taux de croissance, Mills prédit que les Soviétiques allaient dépasser les Etat-Unis en vingt ans, et ainsi remporter la guerre froide, puisque le plus riche en ressources gagne. Le fil des prédictions se défait ici puisque à la fin des années 1970, le taux de croissance soviétique avait chuté en dessous de la croissance des Etats-Unis. C’est toujours une erreur de supposer qu’un pattern statistique d’une période donnée (dans ce cas, les années 1950) continuera indéfiniment, à moins de posséder une théorie bien fondée de ce qui cause ces chiffres^3. Mills pensait que le taux de croissance de 6% de l’URSS était causé par les avantages d’une économie socialiste planifiée. En fait, c’était un pattern typique de décollage d’une économie sous-développée avec un faible niveau de production en une massive économie industrielle^4. Le même pattern fut observable plus tard en Chine, qui débuta une croissance soutenue dans les années 1980 et parvint à des taux de croissance de 10–15% dans les années 1990 et au début 2000; qui diminuèrent ensuite tendanciellement (mais restant jusqu’à présent encore largement au-dessus du plafond de 3% typique des économies matures).

Etablissant son analyse dans les années 1960, Mills aurait eu besoin de meilleurs outils pour expliquer la croissance économique, à la fois du bloc soviétique et des Etats-Unis. Sans essayer d’esquisser une théorie pertinente comme celle d’aujourd’hui, ce qui était nécessaire aurait été d’inclure une compréhension des faiblesses tout autant que des forces des économies socialistes à la planification centralisée; et, de la même manière, des mécanismes de la croissance économique de l’économie de marché — particulièrement la théorie schumpétérienne des entrepreneurs à l’origine des innovations (pourquoi l’économie des TIC a-t-elle décollée aux États-Unis, en commençant par l’explosion des ordinateurs personnels, alors que l’innovation technologique soviétique est restée cantonnée dans le domaine de la technique des armes ?).

Faiblesse théorique: les substituts de la guerre totale

Conseillers soviétiques durant la guerre civile en Angola — 1975–2002 — (Creative Commons)

Mills voyait la course à l’armement nucléaire comme menant à une escalade sans fin. Et elle continue pour encore vingt ans, avec la prolifération des missiles balistiques intercontinentaux, des bombardiers de longue distance en permanence dans les airs, et des missiles lancés depuis des sous-marins. Les deux côtés acquirent des arsenaux capables de détruire l’autre plusieurs fois. La situation fut appelée destruction mutuelle assurée [Mutually Assured Destruction]. L’abréviation MAD [fou en anglais] raillait cette folie. Néanmoins, elle s’avère efficace comme dissuasion mutuelle. Après la crise des missiles de Cuba, les deux côtés firent preuve de prudence pour éviter une autre confrontation nucléaire. On pourrait même dire que cela constituait un accord mutuel et tacite — le conflit créant un lien social, selon la manière dont Simmel l’avait théorisé — , les deux côtés s’efforçant de coordonner leurs activités au moins sur ce point.

Cela ne signifiait pas que la rivalité entre les grandes puissances allait devenir pacifique. Le conflit militaire n’est pas simplement binaire — soit la guerre nucléaire, ou bien la paix mondiale — . Les deux côtés continuaient à mener leur lutte pour accroître leur influence, par le biais de guerres par procuration. L’URSS armait les troupes cubaines pour combattre aux côtés des régimes communistes en Afrique. Les Etats-Unis utilisaient le soutien de la CIA pour s’opposer aux régimes soutenus par les Russes en Afghanistan. Les deux côtés envoyaient des “conseillers” militaires pour aider leurs intermédiaires; ils limitaient leurs engagements limités étant souvent un leurre, puisque les conseillers prenaient souvent part au combat, particulièrement avec l’artillerie, les hélicoptères et les attaques aériennes — gardant ainsi une certaine distance avec le terrain d’intervention — . Mais l’acceptation mutuelle du leurre qu’il s’agissait seulement de conseillers était aussi un accord mutuel tacite, afin d’éviter un conflit total en endossant un rôle moins visible. Cette pratique a continué, même après la fin de la Guerre froide — par exemple dans le conflit durant depuis plus de huit ans en Syrie, où les Etats-Unis, la Russie, l’Iran, et d’autres puissances extérieures ont armé leurs forces par procuration.

Passé de MAD à la guerre par procuration n’est évidemment pas un chemin idéal vers la paix. Néanmoins, cela montre qu’il est possible de reculer face à un suicide commun. Des guerres limitées par procuration sont une autre illustration des principes géopolitiques [#3] et [#4] et de leur corollaire: une épreuve de force sans issue se transforme en une version de la guerre d’équilibre des forces, dans laquelle les buts militaires et les moyens sont d’une échelle moindre. Cela a le désavantage que les guerres par procuration peuvent durer durant longtemps, puisque les sponsors extérieurs ne subissaient pas des pertes eux-mêmes; c’est la population locale qui paye le prix d’avoir des forces multiples combattant dans sa patrie.

C’est une leçon qui donne à réfléchir que nous avons apprise depuis l’époque de C. Wright Mills: la pire forme d’escalade peut être évitée, bien que des conflits d’un degré moindre pussent continuer d’accumuler des destructions “limitées”.

Et ainsi le monde s’en sortit, sans guerre nucléaire. Mills espérait que cela advienne, mais sa boîte à outils théorique était incapable d’anticiper ce processus crucial:

  • l’impasse géopolitique ouvrit la voie à un monde plus polycentrique, avec des formes plus limitées de guerre,
  • La course dispendieuse aux armements provoqua la banqueroute des Soviétiques en premier; Mills échoua à envisager cela parce qu’il extrapolait des taux de croissance de court terme au lieu de reconnaître en ce mouvement initial de croissance élevée celui d’un pays qui commence à se moderniser.
  • L’économie américaine grandit finalement au-delà du complexe militaro-industriel. La perte de l’industrie lourde au profit de producteurs outre-mers moins chers amorça cette tendance; sa place fut prise par l’expansion de ce qu’on peut appeler “les industries de la consommation de divertissement” fondées sur l’électronique. Leurs racines remontent à l’invention du phonographe et de la radio; depuis les années 1950 jusqu’aux industries qui produisirent une série d’innovations en matière de moyens de jouer de la musique enregistrée, des films, et bien plus encore. Certaines innovations électroniques étaient des résultats de l’armée; telle l’arrivée de l’ordinateur personnel (créé par des entrepreneurs dans la Silicon Valley, autour de grandes entreprises électroniques de défense), le département de la Défense DARPANET devint internet. Le GPS, développé au départ pour que les avions militaires ne se percutent pas, fut finalement associé aux smartphones et à un grand nombre d’autres applications pour les consommateurs et les entreprises. Non seulement les Etats-Unis menèrent cette nouvelle vague d’innovation technologique, alors que l’économie soviétique restait centrée sur l’industrie lourde pour son armée; le style américain de musique, la rébellion contre-culturelle, et le divertissement eurent pour résultat une offensive du “blue-jeans” qui rendit les Soviétiques jaloux de la culture américaine. Il s’avère que l’économie de l’innovation culturelle est aussi une arme politique, dans la mesure où elle fait perdre leur légitimité à ses ennemis à leurs propres yeux.

Leçons pour prédire la catastrophe climatique

Que peut-on retirer de cet épisode qui soit pertinent pour la grande question de notre futur?

Températures moyennes de l’air en surface de 2011 à 2020 par rapport à la moyenne de 1951–1980 (Creative Commons)

Premièrement: la distinction entre faire une prédiction et être capable de faire quelque chose à son sujet. Jusqu’à présent, la quasi-totalité des recherches sur le réchauffement de la planète, l’élévation du niveau des mers et les autres tendances climatiques sont issues des sciences naturelles. Elles nous disent ce qu’il est probable qu’il advienne dans les prochaines décennies; mais pratiquement personne n’a analysé sérieusement la probabilité d’arrêter ces processus, et ce qui détermine la façon dont les gens vont réagir. Mais comme nous l’avons vu dans le cas de la guerre nucléaire, le fait qu’ils soient alarmés n’est pas un mécanisme suffisant pour prédire ce que les gens vont faire. Nous avons besoin de la science sociale pour poser cette question, aussi objectivement que C. Wright Mills le fit à son époque: quels sont les processus sociaux qui conduisent à une catastrophe imminente, et quels sont les processus sociaux qui peuvent l’arrêter ? Et dans ce cas, nous devons être capables de prédire des variations: quelles forces sociales seraient nécessaires pour complètement contrôler le changement climatique; quelles forces nous amèneraient à une demi-solution, ou potentiellement à aucune solution, etc.

Beaucoup de gens, dont C. Wright Mills, considéraient que nous allions vers une guerre nucléaire, mais ils ne voyaient pas d’issue à la course à l’armement — pour un temps, leur conseil était de construire des abris antiatomiques. Les processus en jeu étaient hors de leur contrôle — la transformation des patterns géopolitiques; les trajectoires de croissance économique qui diffèrent; le passage aux guerres par procuration — soit ce qui empêcha la destruction du monde. Peut-on dire quelque chose de similaire à propos des réactions au changement climatique pour le reste du XXIème siècle?

Quelles sortes de choses peut-on prédire?

Un facteur qui va affecter la réaction des gens sera la direction des économies mondiales: je mets ceci au pluriel, parce que différentes économies affecteront ce que les dirigeants et les peuples seront prêts à faire pour combattre le changement climatique. Est-ce que leurs économies soutiendront ou résisteront aux mesures de réduction des gaz à effet de serre, ou changeront leurs usages de l’énergie? Les réponses seront différentes de la part des pays riches (les Etats-Unis, le Nord-Ouest de l’Europe, le Japon); des économies croissantes (la Chine; potentiellement l’Inde); de la Russie, située sur un Arctique en train de fondre; d’autres parties du monde. Seront-ils prêts à abandonner les voitures et les voyages en avion? Vont-ils tous déménager dans des logements à haute densité et sceller leurs habitations contre le transfert de chaleur ? Les tentatives en ce sens entraîneraient-elles la prospérité ou le déclin économique ?

Un deuxième facteur est politique. Dans l’ensemble, les élites politiques de l’ère de l’internationalisme global ont défendu des politiques pour freiner le changement climatique. Mais ces élites ne seront peut-être pas toujours au pouvoir; leur popularité a chuté aux Etats-Unis, au Brésil, en Grande-Bretagne et ailleurs. Objectivement, nous avons besoin d’une théorie qui donne les conditions pour que les internationalistes remportent ou perdent les élections; et pour prédire si un grand nombre de personnes vont résister à abandonner leurs voitures (les gilets jaunes [Ndt: en français dans le texte] en France, par exemple). En bref, nous avons besoin d’une théorie du conflit politique sur les réponses au changement climatique. En Europe, les mouvements populistes/nationalistes ont été stimulés par l’afflux de réfugiés — en partie le résultat des guerres au Proche et Moyen-Orient et en Afrique — ; en partie parce que des gens pauvres utilisent les chemins des réfugiés pour chercher des lieux plus favorables économiquement (idem pour l’afflux à la frontière américaine). Comprendre ces dynamiques politiques de l’accueil et de la résistance aux réfugiés deviendra un problème encore plus grand si le réchauffement climatique continue au point de déplacer plusieurs millions de personnes vivant dans des zones menacées par l’élévation du niveau de la mer.

Prédire quelles positions auront une influence politique est identique à la question que je posais à propos des mouvements antiguerre. La théorie des mouvements sociaux est grossièrement incomplète à bien des égards. Nous savons quelque chose à propos des conditions qui permettent aux mouvements d’être mobilisés, incluant les bases organisationnelles comme les universités; et plus récemment le pouvoir d’internet pour diriger l’attention. Nous savons moins prédire la direction que prendront les mouvements sociaux. Les libéraux [Ndt: au sens américain] ont été pris par surprise par l’ampleur du soutien pour le Brexit, Trump, Bolsonaro, etc. Peut-on formuler, en un sens plus générique, à quels mouvements nous pouvons nous attendre dans les décennies à venir? Il est n’est pas réaliste d’assumer que le réchauffement climatique allant croissant, il y aura un consensus sur quoi faire. Nous avons besoin d’une meilleure théorie du conflit social: qu’est-ce qui détermine la force des différentes factions, et qui remporte le pouvoir d’agir ?

C’est la même question que je posais à propos de ces qui détermine quelle est l’efficacité des mouvements sociaux pour réaliser leurs objectifs. J’ai suggéré que ces mouvements où l’action prenait place localement parvenaient à leurs fins plus vite que ceux qui avaient à conquérir le système centralisé du pouvoir. Nous devons repenser cet aspect afin d’inclure les mouvements pour et contre l’action sur le réchauffement climatique.

Les effets du changement climatique ne seront pas de l’ordre du tout ou rien, à la manière d’une guerre atomique détruisant la Terre. Il y a une longue trajectoire future de changements graduels durant le XXIème siècle et potentiellement au-delà. Les crises les plus sérieuses seront plus locales que globales. Il est irréaliste de faire l’hypothèse que bien sûr nous allons agir comme une communauté mondiale qui sauve qui que ce soit qui est en danger. Cela peut advenir — si un certain type de mouvement social altruiste devient dominant partout. Il peut aussi se produire que les mouvements nationalistes/populistes aient le pouvoir — dans quelques pays ou bien un grand nombre — et qu’ils soient surtout soucieux de protéger leurs frontières pour ne pas être submergés par les réfugiés. Des économistes conservateurs ont argumenté que les coûts du fait que certaines parties du monde deviennent inhabitables pouvaient être calculés; et ces coûts peuvent être sous pesés au regard des coûts engendrés par le changement total de l’énergie, du transport et des conditions de vie. Quelle théorie possédons-nous qui puisse nous dire jusqu’à quel point ces différentes politiques vont gagner? (Dans les pays avec quels types de patterns sociaux plusieurs politiques vont-elles prévaloir?).

L’élite au pouvoir, dans le sens que Mills décrivait il y a soixante ans, n’est plus dominante. Il voyait deux élites centralisées, l’une pour les Etats-Unis, l’autre pour l’URSS; entre les deux résidait le pouvoir de décider d’une guerre nucléaire, d’une façon ou d’une autre. Sa théorie ne prévoyait pas des conditions additionnelles qui réduiraient le contrôle centralisé dans ses deux lieux, aussi bien que dans le monde en général. Ni un, ni deux pays ne peuvent dicter les politiques pour contrôler le réchauffement climatique. Aux Etats-Unis, le complexe militaro-industriel n’englobe plus des secteurs massifs de l’économie comme l’automobile et l’industrie lourde. Les industries de l’électronique/du divertissement les ont remplacées au sommet de l’économie ne sont pas coincées entre les gouvernements et les officiels du Pentagone. Il existe une division plus structurelle. Je ne prétends pas que nous pouvons compter sur les prises de position politiques des propriétaires et des employés d’Amazon, Google, Facebook, etc. pour rester internationalistes et se consacrer à la lutte contre le réchauffement climatique. C’est la situation à court terme, qui peut changer. Plus systématiquement, quels effets produisent les industries des TIC dans la mobilisation des mouvements politiques, dans un sens ou dans l’autre? Les mouvements conservateurs sont également bien mobilisés sur les réseaux sociaux (Trump, etc.). Il existe en outre la possibilité que les TIC démobilisent de nombreuses personnes, créant une addiction électronique à des divertissements fantastiques qui leur ferait endurer pratiquement n’importe quoi. De grandes questions à traiter sont: qu’est-ce qui va mobiliser et démobiliser les gens sur des problèmes cruciaux, et combien dans chaque segment? De la sorte, quelle sera la stabilité de ces modèles ? L’avenir pourrait bien être une série d’oscillations en dents de scie.

Nous avons besoin d’une théorie du conflit entre des forces rivales — des tendances économiques, locales et internationals des manières d’organiser le pouvoir, les mouvements sociaux rivaux. Si les mouvements sur les problèmes cruciaux sont plus ou moins uniformément divisés, le résultat est probablement un blocage politique; la position par défaut devient le statu quo — ne rien faire, ou pas assez de sorte que les problèmes du changement climatique n’en soient pas beaucoup affectés. Durant les années menant à 2020, cette sorte de division sociale et de blocage politique s’est largement diffusé. Cela ne signifie pas que cela va rester comme ça dans les décennies futures. Peut-on théoriser les conditions de l’impasse actuelle, de manière à ce que nous puissions les voir comme des variables, et ainsi prédire les cond¨itions qui changeraient cette impasse dans le futur?

Randall Collins (Professeur émérite de sociologie à University of Pensylvania, @sociologicaleye)

Traduit de l’Anglais américain par Alexandre Rigal (@Alexandre_Rigal)

Original version of the text: https://www.drrandallcollins.com/sociological-eye/2020/1/6/predicting-world-war-iii-predicting-climate-change

Notes de bas de page

  1. C’est quasi-littéralement le thème d’une pièce d’Eugene O’Neill intitulée The Hairy Ape [Le singe velu] (1922), sur une jeune femme en quête de sensations fortes et un ouvrier de la chaufferie d’un paquebot.
  2. Dans une autre prédiction avérée, Weber, en 1906, examinant les mouvements révolutionnaires en Russie, a écrit que si l’extrême gauche arrivait au pouvoir, il y aurait une bureaucratisation de la société telle que le monde n’en a jamais vue ; “la dictature du fonctionnaire et non du prolétariat est en marche”. [Gerth et Mills, From Max Weber, p.50]
  3. L’exemple classique de cette erreur est la prédiction des démographes, fondée sur la croissance démographique des années trente, selon laquelle les États-Unis se stabiliseraient à 140 millions dans les années 50. Au lieu de cela, le baby-boom de l’après-guerre — qui n’était dans le radar théorique de personne — a fait que la population américaine a dépassé les 200 millions d’habitants en 1970, et a doublé le nombre prévu en atteignant 280 millions en 2000.
  4. C’est une question d’arithmétique. En partant d’un petit nombre, même une petite augmentation absolue peut représenter un pourcentage important. Si le PIB par habitant est de 100 dollars, ajouter 15 dollars vous donne un taux de croissance de 15 %. Cela devient de plus en plus difficile à mesure que la base s’élargit.

Bibliographie

Edward Bellamy. 1888. Looking Backward.

Cambridge Modern History. 1910. Vol. 12. The Latest Age. Cambridge Univ. Press.

Randall Collins. 1986. “The Future Decline of the Russian Empire.” in Weberian Sociological Theory. Cambridge Univ. Press.

Hans H. Gerth and C.Wright Mills. 1946. From Max Weber: Essays in Sociology. Oxford Univ. Press.

David R. Gibson. 2012. Talk at the Brink: Deliberation and Decision during the Cuban Missile Crisis. Princeton Univ. Press.

C. Wright Mills. 1956. The Power Elite. Oxford Univ. Press.

C. Wright Mills. 1960. The Causes of World War Three. NY: Ballantine Books.

H.G. Wells. 1895. The Time Machine.

Joseph Schumpeter. 1942. Capitalism, Socialism, and Democracy. NY: Harper.

Max Weber. 1906/1995. The Russian Revolutions. Cornell Univ. Press.

Max Weber. 1915/1946. “Religious Rejections of the World and their Directions.” In Gerth and Mills.

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École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050

L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.