Regard sur la géoingénierie — Dossier spécial : mitigation du réchauffement climatique #5

Par Quentin Dassibat

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
5 min readApr 20, 2021

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Cet article fait suite au numéro #4 du dossier spécial “géoingénierie et mitigation du réchauffement climatique”.

Photo by Nikolay Maslov on Unsplash

Nous avions précédemment présenté une sélection d’articles évoquant l’impact sur les ressources en eau qu’entraînerait un scénario de déploiement massif des technologies de captage/stockage du CO2 (CCUS). L’impact sur l’ eau n’est pas le seul à prendre en compte et s’inscrit dans un panel d’indicateurs dont la complexité rend difficile l’évaluation environnementale complète des techniques de géoingéniérie. Comme nous allons l’envisager dans ce nouveau billet, il est notamment difficile d’apprécier les effets de ce qu’on appelle les « boucles de rétroaction », c’est-à-dire les conséquences en chaîne qui finissent par altérer ou renforcer l’effet initial.

2.3 Les boucles de rétroactions négatives : l’horizon indépassable de notre impréparation face aux réactions en chaîne du système Terre

Source : Keller, David P., Ellias Y. Feng, et Andreas Oschlies. « Potential Climate Engineering Effectiveness and Side Effects during a High Carbon Dioxide-Emission Scenario ». Nature Communications 5, no 1 (25 février 2014): 3304.
https://doi.org/10.1038/ncomms4304.

Dans cet article publié en 2014 dans la revue Nature, les auteurs ont souhaité comparer les différentes techniques de réduction des émissions de dioxyde de carbone (couramment appelées CDR en anglais) à la fois en ce qui concerne leur capacité à freiner le réchauffement dans un scénario RCP8.5 aussi nommé « business as usual », et en parallèle leurs possibles effets néfastes sur certaines variables d’état du système Terre, notamment la quantité de précipitations ou bien la quantité de dioxygène dans les océans.

Ils montrent, à l’aide de modèles informatiques de géodynamique, qu’un déploiement massif et continu des quatre grandes techniques de géo-ingénierie à partir de l’année 2020 et jusqu’en 2100 a bien un effet de réduction sur le CO2 atmosphérique. Toutefois, ces réductions sont faibles par rapport aux émissions anthropiques attendues dans le cadre du scénario RCP8.5 : le CO2 atmosphérique continue d’augmenter rapidement et atteint toujours plus du double du niveau actuel d’émission d’ici la fin du siècle dans toutes les simulations. Les méthodes actuelles de CDR ne pourront donc au mieux que limiter l’augmentation de la température moyenne à 2,7 ou 3,9°C d’ici 2100.

Par exemple, un déploiement massif de la reforestation de la bande sahélienne et du désert austral conduirait certes à un piégeage substantiel de CO2. Mais, en contrepartie, le changement d’albédo provoqué par le passage d’une couverture à fort albédo (sable) à une couverture à faible albédo (végétation) entraînerait finalement un réchauffement plus important car moins de rayons seraient réfléchis !

Les auteurs proposent ainsi de considérer une liste exhaustive, quoique nécessairement incomplète, d’effets en chaîne à prendre en compte dans le travail de modélisation, afin de questionner l’impact climatique étendu des techniques de CSC au-delà du seul impact sur la concentration du CO2 dans l’atmosphère:

  • hausse des précipitations et du rendement des sols dans les régions reforestées : favorise la biodiversité et la productivité agricole ;
  • hausse de l’évapotranspiration : modification de l’équilibre chaleur sensible / chaleur latente (effet rafraîchissant)
  • ruissellement vers la mer d’une fraction du surplus de précipitations : désalinisation relative des eaux côtières (et donc modification des courants atmosphériques océaniques pouvant conduire à un effet rafraîchissant) mais aussi hausse du niveau des mers jusqu’à +13 cm entre 2020 et 2100 (par ce seul effet, sans compter la fonte des eaux glaciaires !).
  • meilleur maintien de l’horizon superficiel du sol dans les régions reforestées : réduction de l’envol des poussières de sable, à forte teneur en éléments trace minéraux, utile à la productivité de la biomasse. Les régions actuellement boisées seraient privées de cette source de nutriments déplacés par les vents transcontinentaux et verraient ainsi leur productivité décroître, et notamment leur rendement en termes de séquestration du CO2, pouvant même compenser la séquestration réalisée par les zones reforestées !

Les techniques de séquestration océanique du CO2, par érosion forcée ou pompage d’eau profondes enrichies, pourraient quant à elles se traduire par des augmentations locales de la biomasse aquatique, augmentant la consommation d’O2 océanique jusqu’à des niveaux critiques de disponibilité (milieux anaérobie) pour lesquels s’amorcerait une production de méthane et de protoxyde d’azote (gaz à effet de serre dont le pouvoir de réchauffement globale est supérieur à celui du CO2).

Les techniques de gestion des rayonnements du Soleil sont les seuls à montrer une efficacité à contenir la hausse du niveau des températures : une bonne gestion de ces techniques pourrait même permettre de redescendre à leur niveau préindustriel (i.e. effacer la hausse déjà constatée de +0,5°C). Cependant, là encore les auteurs montrent que de nombreux effets de chaîne pourront avoir lieu. Notamment, la baisse du flux radiatif incident pourrait se traduire :

  • par une réduction de l’activité métabolique des sols qui se traduit par une moindre respiration des sols (respiration : destruction d’O2 et émission de CO2) et donc davantage de carbone stocké dans le réservoir de biomasse. Le réservoir océanique s’équilibrant à la baisse à ce surstockage, la pression partielle de CO2 des eaux océaniques diminuent, augmentant le pH (donc réduisant l’acidification des océans).
  • par une réduction de l’évapotranspiration des plantes et de l’évaporation des eaux de surface, conduisant à une moindre formation de nuages et finalement à un abaissement du niveau des précipitations (de 4,5% à 8% de pluies en moins annuellement à l’échelle du globe).

Mais l’effet pervers le plus important des techniques de gestion du rayonnement solaire est que ces techniques ne s’attaquent pas au CO2 lui-même, contrairement aux techniques de reforestation et d’enrichissement des océans. Le CO2 continue donc à s’accumuler et, par conséquent, l’injection d’aérosols dans l’atmosphère ne peut pas être interrompue, même après 2100, et même si les émissions anthropiques devaient un jour s’arrêter ! En effet, le CO2 stocké principalement dans les sols pendant le déploiement de la technique d’injection serait libéré rapidement lorsque les températures augmenteront.

Miser sur une technique de gestion du flux radiatif ne ferait ainsi que repousser d’un siècle le problème du réchauffement climatique, sauf à ce que ces techniques soient maintenues indéfiniment !

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L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.