Repenser l’évolution, la Terre et la science. Entretien avec Tim Ingold.

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
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15 min readDec 21, 2022

Tim Ingold est professeur émérite d’anthropologie sociale à l’Université d’Aberdeen. Il a travaillé sur le terrain auprès des Samis et des Finlandais en Laponie. Il a notamment écrit sur l’environnement, la technologie et l’organisation sociale dans le Nord circumpolaire mais aussi sur les animaux dans la société humaine, ainsi que sur l’écologie humaine et la théorie de l’évolution. Ses travaux les plus récents portent sur la perception de l’environnement et la pratique qualifiée. Tim Ingold s’intéresse actuellement à l’interface entre l’anthropologie, l’archéologie, l’art et l’architecture.

Ses derniers ouvrages sont : Une brève histoire des lignes (Zones sensibles, 2013), Être au monde. Quelle expérience commune ? (PUL, 2014) avec Philippe Descola et Michel Lussault, Marcher avec les dragons (Points, 2018), Machiavel chez les babouins — Pour une anthropologie au-delà de l’humain (Asinamali, 2021). Tim Ingold est membre de la British Academy et de la Royal Society of Edinburgh. En 2022, il a été nommé dans le comité de bassin d’emploi (CBE) pour des prestations de service à l’anthropologie.

Tim Ingold

Entretien

RENOUVELER LA THEORIE DE L’EVOLUTION

Alexandre Rigal — Ma première question vise à mieux vous connaître. Dans vos ouvrages, vous croisez le fer avec le néo-darwinisme*. Est-ce parce qu’avant de devenir anthropologue, vous avez étudié la biologie? Pourquoi être passé des sciences naturelles aux sciences sociales?

Tim Ingold — Pourquoi est-ce que j’ai changé? En Grande-Bretagne, comme vous le savez sans doute, à l’école, nous devons faire très tôt le choix de notre spécialité pour le baccalauréat (advanced level exam). C’est une décision que j’ai prise à 14 ans. Et il était évident pour moi de faire des sciences. J’étais bien trop jeune pour y avoir réfléchi sérieusement. J’étais bon en mathématiques et donc pour le baccalauréat, j’ai fait des maths, de la physique et de la chimie, des maths et encore des maths! Quand j’ai passé mon bac, j’avais seulement 16 ans, et donc j’ai poursuivi en sciences lorsque je suis allé à l’Université de Cambridge. J’ai étudié la physique, les mathématiques pour physiciens et je devais choisir deux cours : j’ai pris un cours sur “l’état cristallin”, un cours de chimie en quelque sorte, et un sur la “biologie cellulaire” qui avait l’air intéressant. Cela a duré seulement un an. C’était en 1966 ou 1967. L’enseignement était une vraie plaie! L’enseignant se tenait debout, face au tableau noir et écrivait ce qu’on devait copier entièrement. Il n’y avait pas d’esprit critique. Tout était fait pour vous donner le sentiment d’appartenir à la machine de la “big science” [mégascience] gérée par des célébrités dans leur domaine.

C’était aussi l’époque qui allait amener à la guerre du Vietnam. Les discussions à propos de la responsabilité scientifique étaient nombreuses. Et j’ai commencé à ressentir que la séparation entre science et humanités était une vraie tragédie pour la civilisation occidentale. J’avais seulement 19 ans, mais j’ai senti que c’était une erreur totale. Cette machinerie scientifique, connectée au commerce international, à l’industrie de la défense et aux militaires, avait abandonnée tout sens de la responsabilité démocratique. Je cherchais un sujet qui pourrait rapprocher la science des humanités, mais aussi qui soit plus proche de la réalité des expériences sociales. J’ai donc cherché parmi toutes les possibilités à Cambridge et il y avait deux options : la première était l’histoire et la philosophie des sciences, la deuxième était l’anthropologie. Il se trouve que mon père connaissait une anthropologue, Jean La Fontaine, qui travaillait alors à la London School of Economics [LSE]. Elle m’a dit : « lis ce livre », Political Leadership Among Swat Pathans de Frederik Barth — un classique de l’anthropologie sociale. Je l’ai lu et j’ai été fasciné. J’ai donc décidé de faire de l’anthropologie.

Avec cette réorientation vous auriez pu devenir un anthropologue tout à fait classique, sans vous soucier des sciences naturelles: pourquoi avoir gardé un intérêt notamment pour le darwinisme?

J’avais l’impression que pour être crédible, l’anthropologie sociale devait être compatible avec ce que la biologie avait à dire des êtres humains. Nous ne pouvons pas avoir deux disciplines qui énoncent des faits totalement différents alors qu’ils traitent du même sujet: les humains. Je crois que je ne m’y suis pas intéressé lorsque j’étais étudiant, puis doctorant engagé sur un terrain en Laponie, où je gardais un troupeau de rennes.

Et puis j’ai été recruté pour la première fois en tant qu’enseignant en anthropologie sociale, à l’Université de Manchester en 1974. Je donnais alors un cours qui s’appelait “Environnement et technologie” et qui traitait d’anthropologie environnementale, un champ d’études complètement vierge en Grande-Bretagne à l’époque. La personne que je remplaçais avait débuté un cours sur le sujet et il fallait donc que je prenne la suite. C’est ainsi que je suis très rapidement devenu anthropologue de l’environnement. Je considérais que pour enseigner l’écologie, la théorie de l’évolution était nécessaire. C’est pourquoi j’ai commencé à m’enquérir de la manière dont on pouvait intégrer la biologie et l’anthropologie sociale. A cette époque, j’étais un darwinien convaincu. Je pensais que la biologie de l’évolution était parvenue à une théorie complète sur les êtres humains et leur évolution. Notre tâche était de trouver une manière de la rendre compatible avec l’anthropologie sociale, et ce sans réductionnisme: sans réduire les êtres humains à de simples organismes.

Je partais ainsi avec deux informations sur la constitution des êtres humains: ils doivent être à la fois des organismes qui ont évolués et qui sont pris dans un réseau de relations environnementales, mais ils doivent aussi être une personne. Jusqu’en 1988, j’ai essayé de voir comment comprendre l’articulation entre ces deux aspects. Mais c’est devenu de plus en plus difficile parce que maintenir cette vision dualiste de l’être humain — organisme d’une part, personne d’autre part — , n’avait aucun sens. Toute ma réflexion s’est effondrée. Et j’ai dû tout recommencer en réalisant que la seule manière de le faire était de recourir à une autre biologie.

Comment vous êtes-vous rendu compte de cet échec?

Vers 1986–87 et jusqu’en 1992, je suis passé par un épisode de dépression sans m’en rendre compte à l’époque. C’était une affaire personnelle, pas vraiment sérieuse, qui n’empêche pas de se lever du lit le matin, mais des symptômes d’anxiété typiques de la dépression. Cet effondrement de ce que je croyais être ma boussole intellectuelle est arrivé au même moment. Tout est arrivé en même temps. Je pense parfois que j’ai écrit mes textes les plus créatifs durant cette période. Il est fréquent de produire un travail éblouissant quand on est déprimé !! Mais c’était difficile à l’époque et j’avais l’impression qu’on tirait un tapis sous mes pieds. J’ai donc dû reconstruire des fondements totalement différents. C’est en partie ce que j’ai écrit dans mon livre Evolution and Social Life, publié en 1996. C’était ma tentative d’intégrer l’anthropologie sociale et la biologie de l’évolution. J’ai pensé que je pouvais articuler les deux et que ça allait être compatible.

Mais au milieu de l’écriture de ce livre, en 1992 ou 1993, j’ai pris par erreur un livre à la bibliothèque de l’Université de Manchester : L’évolution créatrice, d’Henri Bergson. J’avais entendu parler de Bergson mais je n’avais rien lu de lui. J’ai été ébloui. Je pense que Bergson a été ce qui m’est arrivé de plus important. J’ai compris que je devais reconstruire mon livre Evolution and Social Life alors que j’étais à mi-parcours, qu’il existait une manière complètement différente de faire. J’avais commencé ce livre en pensant qu’il était sur l’anthropologie et l’écologie darwinienne; et je l’ai fini tout à fait ailleurs. Ce fut donc un échec complet. Mon intention était de résoudre ces problèmes. C’était très excitant si on y pense rétrospectivement, mais c’était assez terrifiant à l’époque.

D’où vous vient ce désir de résoudre de grands problèmes? Parce que cela peut aussi créer de l’anxiété de discuter avec des grands noms, comme Darwin en particulier.

Bien sûr que j’étais anxieux, j’ai dû m’endurcir. Presque personne n’a lu Evolution and social life et les recensions de l’ouvrage étaient vraiment rudes, hostiles, méprisantes. Elles m’expliquaient que j’avais tout compris de travers à la théorie de l’évolution et elles venaient souvent de personnes avec des positions très arrêtées. C’est vraiment dur de ferrailler contre le néo-darwinisme. Il y a cette idée que les sciences sociales sont molles, perdues dans une masse de non-sens et qu’elles ont besoin des [vrai] sciences pour être remises en ordre. On part du principe que vous ne savez pas de quoi vous parlez, que vous ne comprenez pas parce que vous êtes un scientifique du social. Cela rend vraiment furieux, parce que s’il y a jamais eu un champ scientifique conservateur, c’est la biologie de l’évolution. C’est incroyablement conservateur et hiérarchique ! Donc c’était vraiment difficile. Mais j’avais tout ce travail à reprendre.

CE QUE SIGNIFIE ETRE HUMAIN

Dans cette reconstruction de la théorie de l’évolution dans une perspective anthropologique, vous avez proposé de nouvelles notions: “faiseurs” [doers] et “devenants humains” [human becomings]. Pouvez-vous expliquer ces termes et votre démarche?

La vraie faiblesse de la biologie de l’évolution néo-darwinienne, c’est qu’elle est incapable de donner une compte-rendu adéquat de l’ontogénie humaine**, i.e., de la croissance et du cycle de la vie. Dans la biologie de l’évolution, il y a cette hypothèse assez fondamentale que l’organisme, humain ou non-humain, est équipé dès le départ d’une vie déjà dessinée: un génotype duquel découle le reste de la vie, qui n’est que l’expression des choses données dès le début. Ainsi, il semble impossible que l’organisme soit capable de construire sa propre vie, de se construire lui-même.

Ce que je faisais sans vraiment le réaliser à l’époque, c’était remplacer une philosophie de la substance par une philosophie du processus. J’ai lu Bergson, ensuite Whitehead, c’était dans les années 1990 et ils étaient encore impopulaires, en Grande-Bretagne en tout cas et dans le monde anglophone. J’ai commencé à saisir cette idée que les organismes se créent eux-mêmes chemin faisant. Et ce faisant, les organismes se créent les uns les autres, ce que nous appelons vie sociale pour les organismes humains, la manière dont les gens s’associent. Je voulais ré-écrire l’histoire de l’évolution en ce sens. Et cela signifiait passer de l’être [de la substance] au devenir [au processus], tout simplement, avec cette pensée processuelle suivie par des gens comme Bergson et Whitehead et qui était complètement à l’opposé de la soi-disant théorie de la population de la biologie darwinienne, qui présume que l’organisme est un individu figé dans sa nature.

Mais je ne suis parvenu à cette expression, « devenant humain » [human becoming], que bien plus tard, avec mon collègue Gísli Pálsson, qui était mon premier doctorant. Nous organisions une session lors d’une conférence, je ne me souviens plus en quelle année, sans doute autour de 2010, qui tentait d’intégrer l’anthropologie sociale et la biologie. En essayant d’expliquer où était la tension entre les deux disciplines, j’en suis venu à l’idée de devenants humains.

Ramon Llull

Plus tard, j’en suis venu à dire qu’on devait considérer « humain » comme un verbe. Au lieu de parler d’être humain, je parle d’« humaniser » [to human], de rendre humain. Lors d’une conversation avec des amis philosophes, j’ai découvert avec une grande excitation, que l’idée d’être humain comme animal humanisant a été proposée au XIIIe siècle par le mystique Ramon Llull. Ainsi, cette idée remontait à la pensée médiévale. Llull définissait l’humain en tant qu’animal humanisant : selon lui, on ne peut parler de l’humain qu’en fonction de ce qu’il fait. Et ce qu’il fait, c’est se fabriquer lui-même continuellement. C’était le XIIIe siècle !

Un autre mot-clé dans vos travaux est celui d’apprentissage, c’est-à-dire, ce qui n’est pas codé dans les gènes ni dans l’organisme. Nous apprenons constamment et vous avez écrit à ce sujet.

Un de mes articles vient de sortir dans la revue Current Anthropology, intitulé “Evolution without inheritance, steps to an ecology of learning”. Dans ce texte, j’ai essayé de trouver un chemin pour penser l’évolution des espèces en me passant du concept d’héritage. C’est pourquoi j’utilise l’expression “evolution without inheritance” [évolution sans héritage], parce que je pense que cette notion d’héritage est le dernier obstacle d’une réforme du néo-darwinisme et plus généralement de la biologie de l‘évolution. La notion d’héritage suppose l’idée qu’il existe des gènes ou des modèles de culture, quelque chose de transmis d’une génération à une autre, qui s’exprime ensuite au cours de la vie. Ainsi, en biologie, cela marque la différence entre la phylogénie*** et l’ontogénie. L’idée est que, quand votre vie débute, vous êtes supposé recevoir tous vos gènes de la génération précédente. Et votre vie est l’expression, la réalisation de ces gènes dans un environnement particulier.

De là, les biologistes ont introduit l’apprentissage au sein du développement ontogénique : l’organisme, même s’il est équipé de gènes, les exprime de différentes manières, selon sa façon d’aborder son environnement. Il est pris dans ce processus d’engagement dans un environnement particulier, un processus par lequel un organisme peut s’ajuster, peut s’adapter aux conditions qu’il trouve. C’est ce que les biologistes appellent l’apprentissage. C’est ce qui arriverait aux humains également: ils s’adapteraient à leur environnement. Mais les humains ne font pas que recevoir un ensemble de gènes au début de leur vie. Ils reçoivent aussi un équivalent dans le domaine de la culture.

Allant à l’encontre de cette vision réductrice de la biologie, j’ai affirmé qu’apprendre est aussi un processus inter-générationnel. Cela demande de penser très différemment les rapports entre les générations, non plus sous la forme de strates qui se superposent. Il s’agit de penser les générations plutôt comme une corde tissée de fils, où chaque fil est une vie individuelle, qui s’enroulent les uns autour des autres et se superposent. C’est ce sur quoi je travaille en ce moment. Hier, j’écrivais un chapitre pointant du doigt que les mots pour fils et fille en latin, et en fait en français également, filius et filia, proviennent de la personnalisation de filium, qui désigne un fil. Ainsi quand vous avez un fils ou une fille vous entortillez un nouveau fil sur cette corde qui vous porte. Au lieu de penser l’apprentissage comme une forme d’héritage, et non une forme de vie, ou, une forme de vie qui n’est pas un héritage, nous pouvons penser l’apprentissage en tant que processus dans lequel les organismes, humains et non-humains, sont constamment en train de se créer les uns les autres dans leurs cheminements. Et parce que vous introduisez de nouveaux fils au fur et à mesure que les anciens meurent, chaque vie ne durant qu’un temps, ils s’entremêlent, la corde elle-même peut se poursuivre continuellement.

Il me semble que vous êtes critique de la notion d’Anthropocène, pouvez-vous nous dire pourquoi?

Selon moi, ce qui est bien à propos de l’Anthropocène c’est que cette notion a initié de nombreuses conversations très productives, entre des disciplines qui habituellement ne se parlaient pas. Nous observons maintenant des conversations entre des géologues et différents types de scientifiques.

Mais dans l’ensemble, ce n’est pas simplement qu’il y a un problème avec la notion d’Anthropocène, même si on peut privilégier le terme de Capitalocène, car il ne s’agit pas de tous les humains [ce que présuppose le suffixe anthropos — du terme Anthropocène] qui ont produit le changement global… Ce qui me pose problème, c’est la division de l’histoire de la Terre en une série d’époques [e.g., Pléistocène, puis Holocène, puis Anthropocène]. Cela va très bien si vous faîtes de la géologie et que vous cherchez à savoir quelle est l’histoire de la Terre. Mais je ne pense pas que cela soit judicieux à propos de notre futur en tant qu’êtres humains.

Une question qui est liée à celle de l’Anthropocène est celle de la place des êtres humains au sein du système Terre.

Je suis critique des critiques de l’anthropocentrisme. Avec cette idée, ce qui est critiqué c’est que quelques hommes se tiendraient au sommet d’une pyramide, surplombant les autres espèces. Mais être au sommet d’une pyramide n’est pas en être au centre, comme l’indique pourtant le terme anthropocentrisme.

Anthropocentrque vs Non-Anthropocentrique(CC BY 4.0)

Je pense que le mot est mal choisi : si nous exerçons notre responsabilité sur le monde, monde grâce auquel nous existons, alors nous devons être à son sommet. Selon moi, il existe un bon “anthropocentrisme”. A mon avis, nous avons besoin d’un discours montrant qu’il existe un rôle positif à jouer pour les humains dans l’épanouissement de la planète. Il n’y a rien de bon à avoir une idéologie qui prétend que les humains sont un désastre, que le seul futur pour la Terre est un futur sans humains. Parce que nous savons grâce à l’archéologie, que dans de nombreuses régions du monde, les humains ont fait, par les cultures de petite échelle par exemple, des activités qui ont contribué grandement à la biodiversité. Ainsi, il est parfaitement possible pour les humains d’avoir une place dans le monde, de subsister, de s’épanouir d’une manière qui rende possible aux autres créatures de fleurir aussi. Et nous avons besoin de trouver une voie pour le faire à nouveau.

LE FUTUR DE LA SCIENCE

Vous avez évoqué le sujet tout au long de cet entretien, comment envisagez-vous le futur de la science, ou mieux, comment souhaitez-vous le voir advenir? Que signifiera devenir un chercheur universitaire dans le futur?

C’est une question fascinante, parce que nous entendons parler de post-humanisme, ce qui ne signifie pas que le monde cesse d’être humain, mais que nous allons dépasser l’humanisme des Lumières. De ce fait, nous avons aussi besoin de penser à ce que sera la post-science. Et cette post-science ne sera pas une non-science ou une anti-science.

A mon avis, l’évolution viendra de la reconnexion entre la science et la poésie. Je pense qu’il y a des domaines des sciences qui vont dans cette direction. En général, concernant les domaines de recherche qui sont les plus éloignés de nos expériences humaines quotidiennes, je pense que plus ces sciences, par exemple la physique et la cosmologie, dépassent les conceptions positivistes, plus elles étendent notre imagination… Ainsi, plus on a de liberté de penser de différentes manières, moins nous sommes attachés aux idéologies qui nous retiennent, d’autant que notre expérience est en jeu. Je continue de pointer du doigt le fait que je ne veux pas d’une anti-science et toutefois il y a beaucoup à redire de la science et en particulier sur l’institutionnalisation contemporaine de la science, qui je pense est terrible, en fait anti-démocratique et autoritaire. Et cela doit changer.

Goethe et la métamorphose des plantes (André Masson, 1940)

Je pense que toute forme de recherche, la science, les humanités, doit être stimulée par la quête de vérité. Et le problème pour le moment, c’est que dans nos esprits, et pas seulement ceux des scientifiques, vérité et objectivité sont équivalents. Je pense que toute forme de recherche dans le futur, en science et au-delà, a besoin de comprendre que la vérité va bien au-delà des faits objectifs que nous observons à distance. Nous ne faisons pas qu’observer les choses, mais nous sommes préparés à apprendre du monde autour de nous, à faire l’expérience du monde que nous observons. L’anthropologie nous montre la voie, parce que c’est le sujet même de l’observation participante. Quand nous faisons du terrain, nous permettons aux gens avec qui nous travaillons de nous enseigner comment ils voient le monde. Et nous découvrons que nous ne pouvons pas en apprendre plus autrement. C’est ce que Goethe nous a enseigné quand il disait que si nous voulons vraiment comprendre les plantes, nous devons passer du temps avec elles au point qu’on commence à penser comme une plante nous-mêmes.

Nous devons avancer vers une compréhension plus riche, plus poétique de la vérité. Et si cela signifie que les protocoles objectivistes des scientifiques qui insistent sur un détachement absolu de l’observateur de la chose observée disparaissent, alors tant pis.

Alors ce sera une science post-laboratoire!

Interviewé: Tim Ingold

Intervieweur: Alexandre Rigal

  • Extension contemporaine de la théorie de l’évolution de Darwin.

**Selon le CNRTL, l’ontogénie est cet “Ensemble des processus qui, chez un organisme animal ou végétal, conduisent de la cellule oeuf à l’adulte reproducteur`` (L’Hér. Génét. 1978).

*** Selon Wikipedia, la phylogénie est l’étude des liens de parenté entre les êtres vivants et ceux qui ont disparu.

Du 24 au 28 janvier 2023, l’Ecole urbaine de Lyon — Université de Lyon et ses partenaires proposent la 5ème édition de l’événement “A l’Ecole de l’Anthropocène” accueillie, pour la seconde année, au Rize à Villeurbanne. L’exploration de la question anthropocène, pour tous les publics, se poursuit à travers une diversité féconde de formats et d’acteurs. L’anthropologue Tim Ingold sera l’invité d’honneur de cette édition placée sous le signe de la fragilité, du soin et de la relationnalité.

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Anthropocene 2050

L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.