VEILLE ANTHROPOCENE #45

berenice gagne
Anthropocene 2050
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11 min readNov 6, 2020

Du 23 octobre au 6 novembre 2020

Cette semaine, les yeux du monde se sont tournés vers les États-Unis, of course ! Même le numéro de cette veille est une référence cachée au 45ème président (sortant?!): un véritable complot ! Au-delà des interminables élections, les États-Unis s’illustrent cette semaine comme le premier pays à quitter officiellement l’accord de Paris sur le climat. Rewilding, réensauvagement : ces concepts connaissent un succès grandissant pour lutter contre la perte de la biodiversité (elle-même liée à la multiplication des pandémies). Pourtant le réensauvagement consiste trop souvent à éradiquer les humains de certains espaces naturels autorégulés et sanctuarisés : instaurons plutôt d’autres rapports de cohabitation interspécifiques, une autre diplomatie avec le reste du vivant. Pendant ce temps en ville, la biodiversité est étudiée dans tous ses aspects à Grenoble pour mieux comprendre l’impact de l’urbanisation.

Un nouveau format pour cette veille hebdomadaire : moins d’articles mais présentés de manière plus détaillée pour vous permettre de mieux cerner leur contenu et/ou vous donner envie d’aller les lire (ou écouter) intégralement. Bonne lecture !

“The Book of Miracles” © Igor Elukov / The New East photo prize 2020

Si vous avez des suggestions pour enrichir cette veille, n’hésitez pas à les partager : berenice.gagne@universite-lyon.fr

Retrouvez la veille au fil de l’eau sur Twitter : @BereniceGagne et une sélection d’images sur Instagram : berenicegagne

URBAIN

- A écouter : « Villes inégales : les défis non résolus de l’espace urbain au XXIe siècle ». Une discussion autour des inégalités spatiales en ville et leur possible atténuation (France culture, 05/11/2020).

- « Quelles coopérations entre les métropoles et les territoires voisins ? » : une analyse des relations économiques des métropoles avec leurs territoires voisins et des axes de coopération avec les territoires périphériques qui apparaissent dans les pactes signés entre État et métropoles. L’auteur étudie également les caractéristiques et les actions portées par les contrats de réciprocité avec les territoires voisins de 7 métropoles (métropolitiques, 02/11/2020).

- Une étude de Belém, capitale de l’État du Pará au nord du Brésil, dans le delta de l’Amazone, vue comme « un laboratoire pour la gestion politique des risques écologiques contemporains ». Particulièrement exposée aux inondations, Belém (2,3 millions d’habitants) abrite de sévères inégalités socio-environnementales et « donne à voir ce que les métropoles à croissance incontrôlée pourraient devenir sous l’effet des dérèglements climatiques et des politiques néolibérales ». Les populations défavorisées y subissent une triple peine : premières victimes des risques naturels, de leurs opérations de prévention (expulsions), mais aussi « accusées d’être responsables de la situation de par leurs comportements « inciviques », dédouanant ainsi les décideurs politiques et économiques » (métropolitiques, 26/10/2020).

- Quel impact de l’urbanisation sur la biodiversité ? Une étude menée dans l’agglomération de Grenoble (2014–15) mesure comment les différents types d’espaces verts (parcs, friches et cimetières) et leurs modes de gestion influent sur la biodiversité, en distinguant les sites périurbains et urbains (naturae, 2020–10).

- « Explorons nos futurs (heureux) » : le numéro d’octobre de Traits d’agences (sur l’actualité des agences d’urbanisme) propose un exercice de prospective sur les changements à l’horizon 2040 et imagine un monde qui aurait réussi à relever les défis des transitions. Il questionne « l’avenir par les notions de bonheur et de bien-être, de développement durable et de transition écologique réussie ».

- Parution : Christian MOUGIN, Francis DOUAY, Marine CANAVESE, Thierry LEBEAU, Elisabeth REMY (coord.), Les sols urbains sont-ils cultivables ? (éditions Quae, 2020). Un regard prudent sur la qualité des sols urbains et périurbains de plus en plus plébiscités pour du jardinage collectif, notamment à usage alimentaire : « la localisation des jardins suscite des interrogations en termes de risques sanitaires puisque nombre d’entre eux sont implantés sur des délaissés urbains, des friches industrielles ou le long d’infrastructures routières ou ferroviaires ». Une invitation à « débattre des connaissances, des enjeux et des orientations techniques relatifs aux sols (péri)urbains ».

“Double Yellow Coffee Table” © workerslunchtime

AGRICULTURE

- Les élevages de volaille sont eux aussi confinés ! La menace de la grippe aviaire (virus influenza aviaire H5N8) pousse le ministère de l’agriculture et de l’alimentation considérer comme « élevé » le niveau de risque d’introduction du virus influenza aviaire par l’avifaune en France métropolitaine. « L’accélération de la dynamique d’infection accentue le risque d’introduction du virus en France via les couloirs de migration actuellement empruntés par les oiseaux sauvages » (Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 05/11/2020).

- « S’installer comme agriculteur bio sans hériter de terres ? ». Présentation d’initiatives mises en œuvre par des acteurs publics (le Groupement des agriculteurs bios du Nord-Pas-de-Calais et la Métropole européenne de Lille) pour faciliter l’accès à la terre et déployer une agriculture périurbaine respectueuse des écosystèmes et créant des emplois : appels à candidatures pour permettre l’installation de maraîchers, aide à l’installation et mise à disposition de parcelles aménagées et viabilisées, accès au foncier pour des personnes exclues du monde agricole, aide à l’achat de matériel (métropolitiques, 29/10/2020).

- Parution : Sébastien ABIS, Pierre BLANC, Géopolitique de l’agriculture. 40 fiches illustrées pour comprendre le monde (Eyrolles, 2020). 40 fiches documentées, illustrées de cartes, de graphiques et de tableaux, pour cerner les enjeux géopolitiques et les défis de l’agriculture : du conflit foncier à la sécurité alimentaire, des révoltes de la faim à l’accès à l’eau.

- Parution : Lucile LECLAIR, Pandémies, une production industrielle (Seuil/Reporterre, 2020). La journaliste enquête sur les dangers sanitaires que porte l’élevage industriel et sur les effets contre-productifs de la biosécurité qui renforce l’industrialisation de l’élevage. Cette situation offre des conditions écologiques optimales à la diffusion de toute nouvelle souche virulente : les conditions de vie des animaux et l’homogénéisation des espèces les rend particulièrement vulnérables aux maladies infectieuses. L’autrice propose également des solutions déjà existantes, qui supposent une politique agricole différente et une modification de nos habitudes alimentaires (France culture, 06/11/2020).

HUMAIN/VIVANT/NON-VIVANT

- A écouter : un aperçu historique de la domestication et ses liens avec l’émergence de sociétés agricoles complexes, l’accroissement démographique et la transformation profonde des écosystèmes au profit de l’espèce humaine. Avec Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement. « La domestication n’est pas qu’un fait du passé mais occupe une place essentielle dans l’histoire contemporaine ». « La vie de chaque être humain dépend de dizaines d’animaux domestiques tant pour sa nourriture que pour ses vêtements, sa santé, son loisir » (France inter, 04/11/2020)

- Une analyse critique du « réensauvagement » à travers la lecture de L’Europe réensauvagée : Vers un nouveau monde de Gilbert Cochet et Béatrice Kremer-Cochet (Actes Sud, 2020). « Le projet classique du réensauvagement consiste en un partage entre le monde métropolitain densément anthropoïde et le monde laissé aux forces et dynamiques des écosystèmes enfin libérés de l’empreinte humaine ». L’autrice de l’article appelle à questionner cette vision et à fabriquer « d’autres rapports de cohabitation interspécifiques » et une diplomatie faite « de tension et de rapprochement entre écologistes, animaux et habitant·e·s humain·e·s », une diplomatie ancrée « dans la complexité politique et existentielle » des territoires (lundimatin, 03/11/2020).

- Le rapport sur les pandémies, publié par la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), alerte sur l’émergence plus fréquente et la propagation plus rapide de nouvelles pandémies plus meurtrières dans les prochaines décennies sans changement radical dans l’approche globale de la lutte contre les maladies infectieuses. « Les mêmes activités humaines qui sont à l’origine du changement climatique et de la perte de biodiversité entraînent également des risques sanitaires par leur impact sur notre environnement. L’expansion et l’intensification de l’agriculture, le commerce, la production et la consommation non durables perturbent la nature et augmentent les contacts entre la faune, le bétail, les agents pathogènes et les humains ». La solution ne serait pas d’attendre un vaccin à chaque pandémie mais de prévenir son apparition en réduisant drastiquement les modes de consommation et d’exploitation qui génèrent la déforestation et la perte de la biodiversité, notamment l’élevage industriel (Le Monde, 29/10/2020).

Double Double

PLANETE TERRE

- Un point rapide sur la vie humaine dans l’espace telle qu’elle est expérimentée en continu depuis 20 ans dans la Station spatiale internationale (ISS). La prochaine station spatiale devrait être mise en orbite autour de la Lune dans les 10 prochaines années. Quant à l’ISS, elle pourrait être « désorbitée » en 2028 pour rejoindre la station Mir au fond de l’océan (The Conversation, 01/11/2020).

DECHETS

- Le Rapport mondial sur les déchets nucléaires offre des éléments de comparaison des modes de gestion de différents pays. « Il n’y a pas encore de réponse à la question de ce que l’on va faire des déchets nucléaires, c’est un défi énorme. Pour qu’il puisse y avoir un débat démocratique sur le sujet, il est important de connaître les faits et d’avoir des estimations réalistes des coûts et des risques ». (Le Monde, 04/11/2020).

ECONOMIE

- Parution : Harold LEVREL, Les compensations écologiques (La Découverte, 2020). Un diagnostic critique complet sur la portée et les limites de la compensation comme outil devant équilibrer les préjudices subis par les espèces et les habitats naturels et permettre d’atteindre une « neutralité écologique ». L’ouvrage décrit « les contextes institutionnels dans lesquels les compensations écologiques sont mobilisées et les ruptures historiques qu’elles induisent ; les principes éthiques et les logiques économiques sur lesquels elles reposent ; les acteurs et les formes organisationnelles permettant d’en définir les modalités de mise en œuvre ; la faisabilité des actions de restauration écologique et les critères d’équivalence qui s’y rapportent ; enfin, les outils juridiques et d’évaluation qui en facilitent la réalisation ». Une illustration des logiques économiques des compensations : Tesla, le constructeur de voitures électriques, doit une partie non négligeable de son développement (3 milliards de dollars depuis 2012) à la vente de crédits carbone (droit à polluer) à d’autres constructeurs automobiles (Les Echos, 04/11/2020).

ENERGIES

- « Les obstacles au développement des énergies vertes en Tunisie » : « pourtant, au regard du potentiel dont elle dispose, elle peut devenir, à moyen terme, exportateur net d’électricité vers l’Europe pour peu qu’elle intensifie ses investissements dans les énergies renouvelables » (Webmanagercenter, 04/11/2020).

MIGRATIONS

- Une étude de l’impact du changement climatique sur les migrations en Afrique sub-saharienne met en évidence la nécessité d’anticiper la croissance (déjà très sensible) des villes d’Afrique sub-saharienne : les migrant·es quittent souvent des zones rurales exposées à des intempéries extrêmes pour rejoindre des villes connaissant une urbanisation rapide et souvent non planifiée. Iels risquent de se retrouver dans des zones elles aussi vulnérables aux intempéries (particulièrement les inondations), sans accès à l’eau ni aux services publics (santé, éducation, etc.) (The Conversation, 02/11/2020).

ENJEUX POST- ET DECOLONIAUX / PEUPLES AUTOCHTONES OU ORIGINAIRES

- A écouter : « La nature confisquée, histoire du “colonialisme vert” », l’historien Guillaume Blanc met à nu la vision héritée de la période coloniale qui préside à la création des parcs nationaux et des réserves protégées en Afrique : le mythe d’un éden vierge de toute présence humaine (autochtone) (France culture, 03/11/2020).

“The Book of Miracles” © Igor Elukov / The New East photo prize 2020

ARTS ET CULTURES

- Dubaï Design Week (9–14 novembre 2020) : dans le contexte du lancement de la sonde Hope par les Emirats Arabes Unis pour étudier les conditions météorologiques sur Mars, la chercheuse et designeuse Simone Fehlinger (Cité du Design, Deep design lab) propose une installation vidéo “TEASING NEW WEATHER TV: Post-producing Global Views” qui illustre l’émergence de la représentation moderne d’une “vision globale” de la Terre. Elle montre comment cette représentation est fabriquée à partir de l’observation et la modélisation de la météo et du climat grâce aux technologies satellitaires et informatiques. Composée à partir des données de l’ingénierie spatiale, elle structure notre perception de l’environnement terrestre. En présentant la météo comme objet de design, l’installation questionne les liens entre la science et la fiction qui conditionnent l’exploration spatiale, les imaginaires contemporains et notre relation à l’environnement. “TEASING NEW WEATHER TV: Post-producing Global Views” montre une recherche design en cours: pouvons-nous redesigner une vision du monde en nous appuyant sur des images “composites”, des images partielles et localisées captées par des satellites et des sondes météo ?

- Exposition « Histoire naturelle de l’architecture. Comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville » dirigée par Philippe Rahm, au Pavillon de l’Arsenal (Paris du 24 octobre 2020 au 28 février 2021) : « L’architecture naît de la nécessité de créer un climat pour maintenir notre température corporelle à 37 °C, élevant des toits et des murs pour se mettre à l’abri du froid ou de la chaleur du soleil. À l’origine, la ville s’invente comme un grenier pour stocker et protéger les céréales » (Retrouvez une présentation de l’expo dans Libération, 24/10/2020). L’exposition est actuellement fermée mais on peut se procurer l’ouvrage : Philippe RAHM, Histoire naturelle de l’architecture. Comment le climat, les épidémies et l’énergie ont façonné la ville (Pavillon de l’Arsenal, 2020).

SCIENCE

- « La perception des risques d’érosion côtière et de submersion marine par la population du littoral : les cas de Wissant et Oye-Plage ». Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs et chercheuses (géographes, géomorphologues, sociologue et océanographe) a travaillé pendant trois ans (2016–2019) avec les habitant·es de deux communes littorales du Pas-de-Calais en région Hauts de France, dans le cadre d’un projet intitulé « Quel littoral dans cinquante ans ? Co-construction de stratégies d’adaptation au changement climatique en Côte d’Opale » (COSACO, financé par la Fondation de France), une démarche participative et collaborative « dont l’objectif était d’impliquer les habitants dans le devenir de leur littoral » et de pouvoir mieux les associer à la gestion des risques côtiers de leur commune (The Conversation, 02/11/2020).

IDEES

- A écouter : « L’Anthropocène comme tournant cosmologique », conversation entre Sverre Raffnsøe, professeur de philosophie à la Copenhagen Business School et rédacteur en chef de la revue internationale Foucault Studies et le géographe Michel Lussault. L’anthropocène inaugure une relation nouvelle entre l’humanité et le système Terre qui rend inopérante la division nette entre les êtres humains et la nature : « l’interaction étroite entre les deux implique une nouvelle conception de l’ordre du monde et du rôle que les humains y jouent » (Ecole urbaine de Lyon, 04/11/2020). Et à lire, la tribune de Sverre Raffnsøe qui analyse ce virage cosmologique : « l’humble créature initialement ancrée au sol est devenue un être colossal qui ne se contente plus de re-décrire son environnement et lui-même métaphoriquement, mais qui est capable de remodeler littéralement et profondément les différentes sphères terrestres (biosphère, lithosphère, hydrosphère, atmosphère, etc.) au point de créer un monde post-naturel ». Sans quitter la planète, les humains « commencent à explorer ce qu’ils pourraient devenir en vivant sur Terre comme des explorateurs s’efforçant d’atterrir sur le sol ‘inhabituel’ d’un autre corps céleste mal connu » (rue89Lyon, 04/11/2020).

- A écouter : une série de 4 émissions du Cours de l’histoire sur le thème « Et l’homme créa la nature » pour réfléchir à la relation que l’humain entretient avec la nature (France culture, 03–06/11/2020). En particulier, l’émission « La nature confisquée, histoire du “colonialisme vert” » où l’historien Guillaume Blanc met à nu la vision héritée de la période coloniale qui préside à la création des parcs nationaux et des réserves protégées en Afrique : le mythe d’un éden vierge de toute présence humaine (autochtone). Egalement l’émission « Y’a plus de saisons ! Invention d’un discours » : les historiens de l’environnement Fabien Locher et Jean-Baptiste Fressoz retracent l’histoire du changement climatique et de sa place politique du 16e au 19e siècle. Cette histoire façonne la relation entre les humains et la nature, « entre craintes d’apocalypse et rêves de domination ». Les auteurs montrent que pendant quelques décennies (du 19è à la fin du 20è siècle), le progrès technique a fait oublier le climat à l’humanité : cette parenthèse semble se refermer avec l’Anthropocène (canicules, inondations, sècheresse, ouragans, typhons etc.). A écouter également sur France inter si vous préférez (05/11/2020).

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🔭Veille & valorisation scientifique - Changement global, habitabilité, Anthropocène, justice sociale et environnementale