Regard sur la géo-ingénierie/Dossier spécial : mitigation du réchauffement climatique #3

Quentin Dassibat
Anthropocene 2050
Published in
5 min readFeb 26, 2021

Cet article fait suite au numéro #2 du dossier spécial “géoingénierie et mitigation du réchauffement climatique”.

PARTIE 2 | Les technologies de captage et stockage du CO2 nécessaires pour la réalisation du scénario à +1,5°C

C’est aujourd’hui à l’abri des fantasmes de la fin du XXe siècle que la communauté scientifique réfléchit aux techniques de géoingénierie. Le terme est d’ailleurs tombé quelque peu en désuétude et ne semble guère plus utiliser que pour qualifier cette période du tournant des années 2000 où il semblait encore possible de maintenir nos modes de vies inchangés grâce au secours de ces technologies visant à modifier intentionnellement le climat.

La communauté scientifique a désormais acté le nécessaire effort de réduction à la source des émissions de CO2. Toutefois, l’inertie des pratiques et des habitudes dans les pays dits développés, couplés à des questions de rattrapage économique dans les pays dits en développement, rendent légitime le recours à des techniques qui puissent « nous faire gagner du temps » sur l’horizon que les accords internationaux laissent aux différents pays pour agir (2030, 2050, 2100 selon les scénarios).

Si les techniques de géoingénierie ne sont plus envisagées indépendamment d’une réduction des émissions, elles se pensent toujours comme un moyen de limiter la hausse des températures, mais en procédant de façon différente : il n’est plus question de modifier le fonctionnement des océans ni celui de l’atmosphère, mais exclusivement de capter et stocker l’excès de CO2 émis dans l’atmosphère. C’est pour cette raison qu’au terme de « géoingénierie » s’est substitué celui de « captage, stockage et utilisation du CO2 » (CCUS pour son acronyme anglosaxon), qu’on retrouve aussi souvent sous sa forme courte “captage et stockage du CO2” (CCS).

Dans cette partie 2, dont voici le premier article, nous proposerons une sélection non exhaustive d’articles issus de la littérature scientifique qui rendent compte de la nécessaire prise en compte de technologies CCUS dans les scénarios actuels de transition, et qui en soulignent aussi les limites, eût égard à leurs impacts environnementaux collatéraux.

1. Les technologies de captage du CO2 au cœur des scénarios du GIECC

Maquette d’une unité de captation directe dans l’air du CO2 (DACCS)
© Sciencemag.org

Source : De Coninck et al. 2018. “Strengthening and Implementing the Global Response.” In: IPCC Special Report: Global Warming of 1.5°C.
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/05/SR15_Chapter4_Low_Res.pdf

Le « rapport 1.5 » du GIEC, publié en 2018 propose différentes trajectoires pour parvenir à contenir le réchauffement climatique à +1,5°C au-dessus des températures de l’ère préindustrielle. Notons au passage que le précédent rapport du GIEC recommandait de ne pas dépasser les +2°C. En réalité, les 0,5°C d’écart peuvent avoir des effets considérables, notamment sur le recul du trait côtier des archipels insulaires du Pacifique, par ailleurs constitués en alliance. L’objectif du « rapport 1.5 » est ainsi d’atteindre d’ici 2040 une situation de zéro émission nette de gaz à effet de serre. Cette expression signifie non pas ne plus émettre aucun GES, mais en émettre autant qu’il nous est capable d’en capter.

L’absorption du CO2 s’effectue par différentes techniques (toutes sont regroupées sous le terme générique de CDR, pour carbon dioxide removal). Parmi ces techniques, on identifie en particulier le groupes des technologies de captage/stockage du CO2, connues sous le nom de CCUS (carbon capture utilization and storage). Ces dernières ne sont pas à proprement parler des techniques de géoingénierie, au sens où elles ne se proposent pas d’agir sur des mécanismes de régulation du système Terre (bilan radiatif, dissolution océanique du CO2, etc). Toutefois, les techniques de géoingénierie et de CCUS ont en commun la même philosophie : des solutions techniques de compensation permettent de maintenir un certain niveau d’émissions de CO2.

Les experts du GIEC estiment ainsi qu’atteindre l’objectif de zéro émission nette nécessite un captage cumulé de 410 GtCO2 entre 2018 et 2100 (Gt : gigatonne, 109 tonnes). Rappelons que la quantité de CO2 atmosphérique est de 2000 GtCO2 en 2020, et que pour limiter le réchauffement à +1,5°C d’ici la fin du siècle, il ne faut pas dépasser la barre des 2500 GtCO2 d’ici 2040 : le budget CO2 brut mondial est donc de 500 GtCO2. On comprend ainsi l’intérêt des techniques de captages, qui permettent de quasiment doubler ce budget (budget net). Plus encore, elles conditionnent à elles seules à terme notre capacité d’émission du CO2 : pour atteindre zéro émission nette, il ne faudra pas émettre plus que ce que nous sommes capables de capter. Bien sûr, pour être ne mesure de pouvoir capter une teller quantité de CO2, il faut être en capacité de la stocker. Les capacités d’enfouissement du CO2 dans des cavités géologiques sont ainsi estimées par les experts du GIEC à 10 000 Gt (capacités finies donc mais non limitantes à l’horizon 2100).

Concernant les techniques de CCUS, les experts étudient plus précisément le rôle de 3 techniques : les CCUS appliquées aux centrales électriques à combustible thermique ; les CCUS appliquées aux autres secteurs ; les CCUS avec valorisation en bioénergies (BECCS).

Concernant le reste des techniques de CDR, les experts étudient les potentialités comparées des différentes techniques. Celles des BECCS (bioeneregy with carbon capture and storage : substituer des combustibles fossiles à des combustibles biomasse associés à une gestion des cultures conforme à un plan de captage du CO2) ; de l’AR (afforestation and reforestation : le premier consiste à créer un couvert forestier dans une zone naturellement dépourvu, le second consiste à reconstituer les couverts forestiers réduits à 10% de leur étendue naturelle) ; de la séquestration géologique et du biochar (résidus de biomasse pyrolysés) ; de l’érosion forcée et de l’alcalinisation des océans ; de la fertilisation des océans ; des DACCS (direct air carbon capture and storage).

Les experts ne proposent pas de scénarios clés-en-main pour composer un mix de ces différentes technologies. En effet, elles soulèvent des questions de gouvernance (quelle échelle pertinente pour décider de leur mise en œuvre ?) et des questions éthiques (jusqu’à quel point sommes-nous prêts à accepter le risque des conséquences non maitrisées de la géoingénierie ? Quel niveau de réduction à la source des émissions de CO2 souhaitons-nous atteindre ?). Les experts proposent ainsi pour chaque technique une plage de captage.

Plages de captage du CO2 envisagées pour chaque technique de CCUS : l’érosion forcée, par exemple, peut permettre de capter entre 2 et 4 gigatonnes de CO2 par an, pour un coût allant de 50 à 200$ la tonne.
©IPCC Special Report: Global Warming of 1.5°C (p. 344)

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