État des connaissances sur les îlots de chaleur urbains (ICU).

École Urbaine de Lyon
Anthropocene 2050
Published in
7 min readSep 23, 2019

Par Lucille Alonso, doctorante à l’Université Jean Moulin Lyon 3, rattachée au laboratoire UMR CNRS Environnement, Ville et Société.

Carte des mesures de température au sol du Grand Lyon le 16 juillet 2017 (source : Florent Renard et coll., Remote Sensing, 2019).

Lucille Alonso, doctorante à l’Université Jean Moulin Lyon 3, rattachée au laboratoire UMR CNRS Environnement, Ville et Société, mène des recherches sur l’évaluation des conditions microclimatiques dans les zones urbaines denses. De ce fait, elle s’intéresse à la caractérisation des îlots de chaleur urbains, mais aussi à l’estimation du confort thermique, avec comme terrains d’études Lyon et Tokyo.
Dans ce cadre, elle a pu bénéficier récemment d’une aide à la mobilité décernée par l’École Urbaine de Lyon pour mener à bien ses recherches au Japon pendant 1 mois. Elle revient, dans le texte qui suit, sur l’état actuel des connaissances en ce qui concerne le fonctionnement des îlots de chaleur urbains.

Une augmentation et une intensification probables des vagues de chaleur

Selon les modèles de Météo-France, les hausses de température devraient se poursuivre en France pendant des décennies (Jouzel 2014). Ces prévisions, à l’échelle de la région Rhône-Alpes, indiquent une augmentation tant des températures annuelles que saisonnières (Météo-France 2011) avec plus spécifiquement des températures estivales qui devraient augmenter de 0,5 à 2 °C d’ici 2050 par rapport à la période de référence 1976–2005 (ORECC 2017). Selon le 5e rapport de synthèse de l’IPCC, le changement climatique actuel est, par ailleurs, susceptible de renforcer l’intensité et la fréquence des événements climatiques extrêmes (Jouzel 2014) parmi lesquels une probabilité d’augmentation et d’intensification des vagues de chaleur (Schleussner et al. 2018).

…Dont les effets sont accentués en milieu urbain

Les vagues de chaleur sont exacerbées dans les zones urbaines par le phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU — Heino 1978). L’ICU se caractérise par une différence de température entre une aire urbaine dense et les zones environnantes qui le sont moins (Giguère 2010 ; Oke 1973) — cf figure ci-dessous. L’ICU est souvent décrit dans la littérature scientifique comme une modification anthropique du milieu urbain qui a des incidences sur le confort et la santé humaine, la pollution atmosphérique, l’urbanisme et les stratégies de développement ainsi que la gestion énergétique (Bhargava, Lakmini, and Bhargava 2017; Chen et al. 2017 ; Fallmann et al. 2016 ; Liao et al. 2017).

Il est fréquent de trouver des différences de température entre les zones les plus urbaines et les zones qui le sont le moins supérieures à 5 à 10 °C dans des conditions météréologiques parfaites, c’est-à-dire avec un ciel dégagé et des vents nuls ou légers (Azevedo et al. 2016). Par ailleurs, l’ICU est souvent plus fort la nuit. Une étude à Paris a ainsi montré que l’ampleur de l’ICU de nuit était jusqu’à 6 °C plus fort que l’ICU de jour (Lemonsu et al. 2013). À Londres, un différentiel de 4 °C entre le jour et la nuit, a également été constaté (Doick, Peace, and Hutchings 2014).

Schéma d’un profil horizontal d’un ilôt de chaleur urbain de l’agglomération lyonnaise.

La typologie des ilôts de chaleur urbains

Il existe plusieurs types d’ICU :

• L’ICU souterrain se caractérise par le fait que les températures du sous-sol urbain tendent à être plus élevées que celles du sous-sol des zones moins urbanisées.
• L’ICU de surface décrit la différence de température de surface entre les zones les plus urbanisées et celles qui le sont le moins. Cet écart peut notamment s’expliquer par une utilisation de matériaux différents pour les infrastructures. Il a ainsi été souligné que 80 % de l’énergie générant l’ICU provient de l’énergie solaire absorbée par les matériaux (APUR 2012).
• L’ICU atmosphérique de basses couches, dit « urban canopy layer » (Oke 1978), situé entre le niveau du sol et le niveau moyen des toits, fait, quant à lui, référence à la température de l’air. Ce type d’ICU est affecté à la fois par les processus de micro-échelle qui se déroulent en-dessous de cette basse couche atmosphérique, ainsi que par les processus méso-échelle qui se déroulent au-dessus de celle-ci (Azevedo, Chapman, and Muller 2016; Martin, Baudouin, and Gachon 2015; Sobrino et al. 2013 ; Voogt and Oke 2003)
• L’ICU atmosphérique de la couche limite, dit « urban boundary layer » (Oke 1978).

Caractéristiques des milieux urbains qui peuvent expliquer les ICU

La caractérisation des ICU et leurs interactions avec le réchauffement de la planète constituent un enjeu majeur de recherche et de santé publique, en raison de l’urbanisation croissante. Cet accroissement de chaleur peut être expliqué, en premier lieu, par des paramètres surfaciques, plus spécifiquement la faiblesse des phénomènes d’évapotranspiration et d’évaporation en milieu urbain et ce, en lien avec le remplacement du couvert végétal, des zones humides et des surfaces en eau par des surfaces artificialisées et imperméables (Zhang, Weng, and Shao 2017).

La restitution de la chaleur s’effectue davantage sous forme de chaleur sensible, par augmentation directe de la température de la matière, et beaucoup moins sous forme de chaleur latente, c’est à dire par changement d’état physique de la matière, par exemple la chaleur de vaporisation nécessaire pour passer d’un état liquide à un état gazeux. Cet effet est conjugué à celui du bâti, constitué de matériaux à faible albédo et à forte inertie thermique, qui vont absorber et stocker la chaleur, menant souvent à un décalage temporel thermique. Les paramètres morphologiques liés à la rugosité urbaine, avec une diminution de vitesse des vents et un piégeage du rayonnement en raison d’une faible ouverture au ciel (sky view factor), qui limitent le dégagement de chaleur la nuit, sont aussi responsables de l’élévation des températures en milieu urbain (Qaid et al. 2018). Enfin, on doit prendre en compte les multiples pratiques de combustion anthropique : chaleur industrielle, transports, chauffage et climatisation notamment, dont l’effet est d’autant plus persistant, au-dessus des agglomérations, que l’air est stable.

Conséquences des ICU

L’ICU a des conséquences sur la consommation énergétique nécessaire à la climatisation des habitations, mais surtout sur la santé humaine. En effet, la chaleur peut créer un stress thermique et conduire à des risques d’insolation, de déshydratation, d’hyperthermie, de coups de chaleur. Les personnes les plus sensibles sont les personnes âgées, les nourrissons, les jeunes enfants ou encore les personnes malades.

Tout comme la condition physique, la vulnérabilité sociale est également un important facteur de risque, qu’il s’agisse d’un habitat inadapté, par manque de moyens économiques, ou d’un isolement des personnes (personnes âgées notamment). La vague de chaleur de 2003 aurait ainsi provoqué une surmortalité de 72 000 morts en Europe. En France, les vagues de chaleur de 2003, mais également de 2006 et 2015, ont respectivement provoqué 19 490, 1388 et 3275 décès selon la base de données International Disaster Database EM-DAT. Durant la canicule de 2003, la surmortalité à Paris a été de 141 % supérieure par rapport à un été standard et de 80 % à Lyon, deuxième agglomération française. Le bilan récent, pour l’été 2019, mené par le Ministère de la Santé, annonce environ 1500 décès supplémentaires en lien direct avec les fortes chaleurs.

Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que plus de la moitié de la population mondiale vit actuellement en zone urbanisée (Population Reference Bureau (UNFPA 2007). Ce phénomène tend à l’augmentation avec une prévision de plus de 70 % d’urbains en 2050. En ce sens, les acteurs publics locaux tentent, avec plus ou moins de volonté et de succès, de prévenir et de réduire les risques humains potentiellement générés par une augmentation des vagues de chaleur (Barreca et al. 2016 ; Jenerette et al. 2016 ; Nichol and To 2012).

Conclusion

Dans ce contexte, il est essentiel d’améliorer les connaissances sur les indices de confort thermique. Cela peut passer par un déploiement de capteurs au sol de température et d’humidité, mais aussi par le développement de la modélisation des ambiances climatiques à très fine échelle. Cette compréhension des conditions climatiques environnantes et ressenties est à mettre en relation avec la vulnérabilité des populations, afin d’avoir une vision systémique du risque aux fortes chaleurs.

Pour pallier le risque lié aux ICU, chaque opération de planification pourrait ainsi intégrer le ressenti de la thermie dans les espaces publics et privés en incorporant, par exemple, davantage de végétation et d’ombrage. En outre, l’introduction d’espaces verts peut venir structurer un quartier, renforcer le lien avec la nature et améliorer la qualité de vie des habitants.

Pour aller plus loin sur l’impact des aménagements urbains et de la requalification des espaces en ce qui concerne les îlots de chaleur de surface à Lyon : https://doi.org/10.3390/rs11030299

English summary : Lucille Alonso, a PhD student at the Lyon 3 Jean Moulin University is conducting research on the evaluation of microclimatic conditions in dense urban areas. Therefore, she is interested in the characterization of urban heat islands, but also in the estimation of thermal comfort, with Lyon and Tokyo as study grounds. In this context, she recently benefited from a mobility aid awarded by the École Urbaine de Lyon to carry out her research in Japan for a month. In the following text, she presents the current state of knowledge as regards the functioning of urban heat islands.

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Anthropocene 2050

L’École Urbaine de Lyon (EUL) est un programme scientifique « Institut Convergences » créé en juin 2017 dans le cadre du Plan d’Investissement d’Avenir.