Slobodan Despot
Antipresse.net
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3 min readMay 13, 2020

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ÉCOLE NUMÉRIQUE • Une parodie d’enseignement

L’article de Vincent Held, «ÉCOLE NUMÉRIQUE • Comment les GAFAM vont tuer l’enseignement public» a suscité de nombreuses réactions et rediffusions. Ce témoignage d’une enseignante française dit tout en deux paragraphes. Nous le publions sous un nom d’emprunt pour ne pas l’exposer aux foudres de sa hiérarchie, peut-être déjà robotisée.

Cet article est une réflexion très éclairante qui corrobore tout à fait le sentiment de malaise que je ressens en tant qu’enseignante du primaire depuis le début du confinement; je me sens dépossédée du sens de mon métier qui est l’humain avant tout. Nous travaillons à notre éviction future, notre «obsolescence programmée», voilà la confirmation de ma résistance et de mon extrême méfiance envers ces procédés imposés avec brutalité, comme allant de soi. J’étais une des rares à applaudir la reprise des cours le 11 mai, car «l’école numérique», «l’école à la maison» pour moi ce n’est pas l’école, juste un ersatz. Un élève n’a jamais appris à lire grâce à un ordinateur, ça c’est de la pensée magique, cette pensée qui gangrène l’Éducation nationale française, la sphère EdTech. Non, un élève, a fortiori en échec — et j’en ai accompagné plus d’un dans ma carrière — , apprend à lire par la relation de confiance qu’il établit avec son enseignant(e), parce qu’il s’autorise à être sujet, à penser, parce qu’il retrouve l’estime de soi, y compris dans l’opposition, et parce qu’il a en face de lui un enseignant(e) qui connaît les chemins de traverse pour l’amener à SAVOIR lire puis à AIMER lire. Mais je me disais que je n’étais pas à la page, dépassée par la technologie, alors que mes collègues plus jeunes avaient l’air de s’investir et de se réinventer au jour le jour.

Mais depuis que j’ai pris connaissance de la mise en place de protocoles draconiens de reprise des cours en «présentiel», qui vont faire ressembler les écoles maternelles et élémentaires à des centres pénitentiaires pour jeunes enfants, je me sens insultée et humiliée dans ma dignité d’enseignante. Je finis par croire, au risque d’être taxée de complotisme, que ces protocoles impossibles à respecter et inhumains ont été créés à dessein pour que nous restions derrière nos ordinateurs le plus longtemps possible, comme le préconisent les collectifs et les syndicats d’enseignants. En somme, nous n’avons le choix qu’entre la peste et le choléra. Mais enseigner «à l’ancienne», il n’en est plus question, plus de jeux stimulant l’imagination des plus jeunes élèves, la réflexion des plus grands, l’émulation et la créativité de tous, plus de manipulation mathématique, géométrique, même plus de correction faite par l’enseignant dans le cahier. Plus de trace d’HUMAIN. Et tout le monde trouve ça normal. C’est ça l’«école de la bienveillance» qu’on nous promeut à longueur de discours trompeurs et anesthésiants? Quand les mots sont à ce point vidés de leur sens et tellement opposés à la réalité qu’ils décrivent, alors nous sommes entrés dans le cauchemar orwellien.

Nicole

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Slobodan Despot
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Writer and publisher. Founder, Xenia publishing in Switzerland. Chief editor, ANTIPRESSE.net. Author, “Le Miel”, “Le Rayon bleu” (Gallimard).