FOCUS — J.R. ou les noces de la photo et de la rue

Mélissa Benon — Artopic Gallery
Artopic Gallery
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5 min readFeb 18, 2020

Depuis plusieurs années, JR mène de multiples projets de front, lui donnant une carrière artistique à plusieurs facettes, mais surtout très riche. Tantôt photographe, tantôt réalisateur, focus sur l’art et la carrière de cet “artiviste urbain” !

28 Millimètres, Women Are Heroes, Action dans la Favela Morro da Providencia, Arbre, Lune, HORIZONTALE, Rio de Janeiro, 2008
28 Millimètres, Women Are Heroes, Action dans la Favela Morro da Providencia, Arbre, Lune, HORIZONTALE, Rio de Janeiro, 2008 / ©https://jr-art.net/fr/projects/rio-de-janeiro

Artiste contemporain parmi les plus connus de sa génération, le photographe bénéficie d’une réputation internationale, tout en conservant une part de mystère. Caché derrière une paire de lunettes de soleil et chapeauté d’un borsalino, J.R. s’est donné pour mission de faire en sorte d’amener l’art aux gens, et non l’inverse.

Ayant grandi en région parisienne, c’est à l’adolescence qu’il s’initie au street art, comme pour beaucoup d’artistes de cette époque. En 2001, à dix-huit ans, il découvre la photographie. Cette rencontre avec la photo, selon sa légende personnelle, serait le fruit d’un hasard, trouvant un appareil-photo dans le métro. Quoi qu’il en soit, il utilisera ce médium dans tous ses projets. Il le met à profit le noir et blanc pour créer des portraits au fil de ses rencontres. Déjà il développe un projet de photo-collage pour faire de la rue sa galerie. Ses clichés suscitent alors la curiosité et l’intérêt de passant : J.R. était né !

L’artivisme urbain

Depuis Walker Evans, la photographie a toujours entretenu un rapport privilégié à la rue. Penser la rue comme un support artistique est le fer de lance de J.R.. Elle n’est plus seulement sujet, mais fait corps avec le milieu urbain. C’est en cela qu’il se définit lui-même comme un “artiviste urbain”. Cet “art infiltrant”, côtoyant le banal et le quotidien, l’artiste l’envisage de grande envergure. C’est l’ambition qu’il réalise en 2004 par le biais de son exposition 28 Millimètres : Portrait d’une génération.
Elle se compose d’une trentaine de portraits pleins cadre mettant à l’honneur la jeunesse des quartiers de Seine-Saint-Denis, principalement de la Cité des Bosquets.

28 Millimeters, Portrait d’une génération, Collage Ladj Ly by JR, Montfermeil, Les Bosquets, 2004
28 Millimeters, Portrait d’une génération, Collage Ladj Ly by JR, Montfermeil, Les Bosquets, 2004 / ©https://jr-art.net/fr/projects/paris-france4

28 Millimètres est un projet dans lequel il s’engage. 28 millimètre est la taille de son objectif. Ce choix de travailler avec une telle optique n’est pas anodin. Elle l’oblige à s’approcher, à quelques centimètres de son sujet, créant ainsi une étroite promiscuité.

À cela il réalise un collage de grande ampleur dans cette même cité située à Montfermeil, lieu de son enfance. Cette première démarche, prenant pied dans l’illégalité, aura l’avantage d’interpeller les passants. L’absence d’explications, de cartels ou de toutes autres indication à visée explicative laisse une libre interprétation de ses oeuvres et tisse un lien étroit entre le spectateur et l’oeuvre.

Son oeuvre possède une portée éminemment politique, donnant à voir un autre visage des habitants de quartier, pâtissant du regard médiatique stigmatisant les banlieues parisiennes. En effet, sa démarche intervient dans le climat de tension sociale des émeutes de 2005.

De l’envergure…

28 Millimètres, Face 2 Face, Mur de séparation, Barrière de sécurité, Côté palestinien, Bethlehem, 2007
28 Millimètres, Face 2 Face, Mur de séparation, Barrière de sécurité, Côté palestinien, Bethlehem, 2007 / ©https://jr-art.net/fr/projects/israel-palestine

… dont fait preuve JR fini par dépasser les frontières. En 2007, il entreprend un grand projet photographique dans l’une des zones du monde les plus en tension. Face 2 Face consiste pour lui à portraiturer quarante-cinq israéliens et palestiniens exerçant le même métier avec des expressions fantasques et légères. Il colle ensuite le résultat des photographies le long du mur de Gaza, sur chacune des faces, destiné à séparer les deux peuples. En parallèle, il affiche ces portraits dans différentes villes des deux côtés du mur, Ramallah à Jérusalem, en passant par Tel Aviv et Jericho.

28 Millimeters, Women Are Heroes, Collage dans les rues de Monrovia, Liberia, 2008
28 Millimeters, Women Are Heroes, Collage dans les rues de Monrovia, Liberia, 2008 / ©https://jr-art.net/fr/projects/woman-are-heroes-liberia

Un an après ce premier tour de force, il réitère l’expérience avec Women are Heroes. Cette fois-ci, il prend le parti de ne photographier que les femmes, afin de leur redonner la place qu’elles méritent, tant elles sont les premières victimes des conflits. Brésil, Kenya ou encore Cambodge, JR sillonne le monde armé de son appareil photo pour photographier ces battantes, ces survivantes et les mettre au coeur de l’image. Il expose ensuite toujours à ciel ouvert, en plein de Paris sur l’Île Saint-Louis, octroyant à ces clichés une visibilité sans conteste.

Un artiste pluriel

La démarche artistique de JR est plurielle. Elle se double d’un documentaire réalisé en 2010, qui vise à faire transmettre et donner corps aux histoires des femmes qu’il a photographié. Celui-ci fera d’ailleurs parti de la sélection du Festival de Cannes pour la Camera d’Or.

JR et Agnès Varda
©http://www.slate.fr/story/147525/visages-villages-vivant-et-voyant

Cet engament pro-féministe l’a conduit quelques années plus tard à travailler avec la grande et regrettée Agnes Varda, cinéaste devant l’éternel de la Nouvelle Vague. Leur projet, Visage Village prend la forme d’un film documentaire, diffusé en 2017. Les deux artistes partent à l’assaut des routes de France à bord d’un camion doté d’un photomaton. Leur aventure, ayant pris ses sources dès leur rencontre en 2015, avait pour projet de sortir du cadre des villes pour s’enrichir de rencontre à travers le pays, que JR a parfois pu portraiturer et afficher au grès du sillon de leur épopée.

Cette rencontre cinémato-photographique aussi inattendue qu’évidente a été auréolé de succès, étant reconnus tant le Festival de Canne que par l’Académie des Oscars, et par celle des César.

Mais le travail de JR s’incarne aussi sous forme de ressources livresques. Les expositions 28 Millimètres sont accompagnées de publications qui servent à documenter ses oeuvres, bien souvent éphémères.

Reconnaissance et partage

Pour l’ensemble de ses travaux, JR a reçu en 2011 le Prix TED. Cette distinction lui octroie un financement pour son projet Inside Out. Celui-ci a pour ambition de transformer le monde par le biais de l’art. Il consiste à donner la possibilité aux personnes qui le souhaitent, d’imprimer et d’afficher leur portrait dans les villes, que l’artiste tire de majestueuses photographie, à l’image de leur envergure.

Frieder Burda Museum, Baden-Baden,2014
Frieder Burda Museum, Baden-Baden,2014 / ©https://jr-art.net/fr/exhibitions/frieder-burda-museum-baden-baden2014

Par ailleurs, JR rencontre également un franc succès au sein des institutions ainsi que du marché de l’art. Lorsque qu’un de ses clichés est évalué entre vingt-mille et cinquante-mille euros, les bénéfices dont il tire rejoigne la caisse collective pour financer ce projet.

Il est évidemment difficile de résumer une carrière aussi riche que celle de JR. Néanmoins, les quelques pistes qui vous sont proposé aussi, vous pousserons peut-être à en apprendre davantage sur cet artiste incontournable.

À très vite pour un nouvel article !

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Mélissa Benon — Artopic Gallery
Artopic Gallery

Directrice d’Artopic Gallery, une galerie d’art 100% Pop Art, 100% Street et 100% toulousaine — www.artopic-gallery.com