Comment la collaboration favorise-t-elle la transformation numérique de 11 villes africaines ?
D’après des entretiens avec des élus municipaux de 4 villes du réseau ASToN : Kumasi (Ghana), Bamako (Mali), Nouakchott (Mauritanie) et Matola (Mozambique). Cet article souligne la dimension humaine de la transformation numérique des villes. Grâce à la coopération et au développement de projets avec tous les partenaires, à l’observation et à l’analyse de situations réelles, ainsi qu’à l’apprentissage mutuel permanent, ces villes font avancer/ mènent à bien leurs projets de transition numérique, malgré les difficultés et incertitudes.
Le programme ASToN est un projet pilote dans le cadre duquel 11 municipalités africaines testent et mettent en œuvre leurs propres programmes de transformation numérique pour stimuler le développement durable et intelligent de leurs villes.
Les 4 villes pilotes démontrent que les villes savaient ce qu’elles voulaient accomplir en intégrant le réseau ASToN. Il ne s’agit pas de réinventer la roue, mais d’améliorer les systèmes existants à l’aide d’outils numériques, et de répondre aux problématiques urbaines en fonction des priorités de chacune. Randy Wilson (Kumasi)[1], Omar Bay (Matola)[2] et Hamadou B. Yalcoulye (Bamako)[3] veulent développer leurs système numérique de collecte de recettes et Aminata Lo (Nouakchott)[4] espère utiliser les outils numériques pour créer un système d’adressage à Nouakchott. Toutefois, ces domaines n’étaient pas leur premier choix.
S’attaquer aux racines du problème pour mettre sur pied des projets à long terme
En se concentrant sur la réalisation de leurs stratégie locale, les quatre municipalités ont cherché à identifier une problématique centrale permettant de définir des objectifs bien précis pour atteindre leurs ambitions. Les équipes locales ont passé de longues heures à se poser des questions importantes et parfois difficiles sur leur situation, le cadre dans lequel elles évoluent et ce qu’elles essaient de réaliser, et à y répondre, afin d’identifier les véritables origines des problèmes existants.
Aminata a expliqué que le projet ASToN de Nouakchott, qui consiste à mettre en place un système d’adressage intégré, est la première étape d’un projet plus vaste visant à doter les quartiers de la ville de services essentiels tels qu’un raccordement au réseau électrique et aux systèmes d’assainissement et d’approvisionnement en eau.
L’équipe de Bamako a choisi le thème de la fiscalité électronique après avoir consulté ses partenaires « qui l’ont orientée vers ce thème », comme l’explique Hamadou. Selon elle, ces discussions avec les partenaires lui ont permis de se rendre compte qu’en mobilisant des ressources en tant que municipalité, elle pourrait ensuite s’attaquer aux problèmes de mobilité et d’assainissement de la ville. Le projet de Bamako vise à faciliter l’accès des usagers à la vignette, et donc d’améliorer les ressources du District. Cette stratégie a été adaptée par les villes après de longues discussions avec les partenaires locaux, qui avaient initialement donné la priorité à d’autres problématiques. Cet exemple montre qu’une bonne analyse d’un problème peut contribuer à établir de bonnes bases pour la planification future.
Pour l’équipe de Matola, « la méthode de réflexion ASToN », explique Omar, a permis de comprendre que le faible niveau de de collecte des taxes dans leur ville ne tenait pas au fait que la population ne payait pas ses impôts, mais au fait que la municipalité était dépourvue d’une base de données intégrée. Aborder le problème sous différents angles peut permettre de voir les choses différemment, et l’équipe de Matola souhaite reproduire cette méthodologie dans le cadre de ses futurs projets.
Dans le cas de Kumasi, une bonne analyse du problème a permis à ses équipes de mener des actions créatives et innovantes. Après consultation avec l’ensemble de l’équipe locale, Kumasi a choisi le thème de la mobilisation des ressources car la ville souhaite augmenter les ressources fiscales dont elle dispose pour mener à bien les projets à venir. Les discussions avec les partenaires locaux ayant révélé que les projets précédents n’avaient avancé que jusqu’à l’épuisement des fonds de soutien.
Pour ces villes, la méthode ASToN consiste à établir des bases solides pour développer une vision commune pour l’ensemble de partenaires locaux, à renforcer les ressources disponibles localement, à mettre en place des équipes qui adaptent leur méthode de travail aux réalités du projet et à assurer la viabilité financière du projet.. Cela les aide à planifier et à poursuivre leur transition numérique après la fin du programme ASToN.
Les résultats de partenariats fructueux
Créer des réseaux et encourager la collaboration pour des projets durables
Dès le début, toutes les villes ont été invitées à recenser les partenaires locaux susceptibles de les épauler dans leurs efforts visant à répondre aux problématiques retenues. Chacune des villes a testé la méthode proposée par ASToN pour identifier ses problématiques en coopération avec ses partenaires locaux, ce qu’elles n’avaient jamais fait auparavant. L’objectif était de dresser un panorama des divers acteurs composant leurs écosystèmes respectifs, à savoir les autorités publiques, les citoyens, le secteur privé, les start-up, les agences de développemet, les universités et les ONG. S’il n’est pas toujours facile de collaborer avec tous les partenaires, toutes les villes reconnaissent que cela les aide à construire un projet leur permettant de mieux résister en temps de crise.
Hamadou a rappelé que, pendant la phase de recensement, son équipe a fait la constatation suivante : “nous étions tous sur le même territoire mais chacun de son côté, on ne se connaissait pas. ASToN a fait le déclic et on a pu voir dans notre ville quels sont ceux qui peuvent directement intervenir avec nous” . De plus, l’équipe de Bamako a organisé une réunion avec tous les services municipaux pour que chacun d’entre eux puisse présenter son travail, ses rôles et ses responsabilités. Hamadou a indiqué que cela était essentiel pour comprendre quelles équipes devaient rejoindre le projet ASToN, comment elles pouvaient intégrer l’équipe locale, mais aussi pour comprendre sur quoi travaille chaque service municipal. Pour Aminata, « plus il y a de partenaires, plus il y a de points de vue et plus il est facile de trouver la meilleure solution ». Elle a insisté sur le fait que, dans son équipe, « on essaie de ne jamais rejeter d’idée, chose que j’ai apprise avec ASToN », ce qui permet de garder les gens impliqués dans le projet..
Randy a expliqué comment le respect mutuel pouvait contribuer à simplifier les collaborations. En créant une structure organisationnelle où la compétence l’emporte sur la hiérarchie, l’équipe de Kumasi répartit les tâches et les rôles selon l’expertise de chacun afin d’obtenir le meilleur résultat possible.. « Si tu es plus compétent que moi dans un domaine, je ne vois pas pourquoi c’est moi qui devrais faire ce travail », déclare Randy. Lorsque plusieurs groupes composés d’experts de différentes disciplines collaborent ensemble, la clé de la réussite réside dans la médiation plutôt que dans la gestion.
Si les quatre villes sont confrontées à des problématiques différentes, toutes s’accordent à dire qu’aucun des partenaires ne peut les résoudre tout seul. Ils ont tous besoin des connaissances, des compétences et des ressources des uns et des autres, car les meilleures idées ne peuvent voir le jour que dans le cadre d’une collaboration. Ces collaborations sont la raison d’être du réseau ASToN.
Intégrer des partenaires diversifiés pour faire face aux incertitudes
À mesure que le monde basculait vers le tout numérique et que la pandémie isolait les équipes des 11 viles ASToN, celles-ci ont dû se résoudre à passer soudainement à des réunions virtuelles. Le projet étant pensé de manière à favoriser l’implication des divers partenaires pour des résultats à long terme, cette approche participative a également permis de soulager les équipes dans les moments d’incertitude.
Certaines équipes ont pris du temps pour s’adapter, d’autres ont effectué la transition plus rapidement, mais toutes ont progressé dans leurs projets en recourant à leurs propres techniques innovantes. Par exemple, l’équipe de Matola n’avait jamais organisé de réunions en ligne avant la pandémie de COVID-19. « La transition a été très difficile pour nous et notre projet a été ralenti », explique Omar. De son côté, l’équipe de Bamako a dû interrompre ses activités en raison d’une crise socio-politique qui a secoué la ville. Surmonter les perturbations et rattraper le temps perdu a été difficile pour l’équipe, mais elle a redoublé d’efforts et, avec le soutien de ses partenaires, elle a rattrapé son retard et s’est remise sur les rails. La collaboration en ligne était une nouveauté pour l’équipe de Bamako, mais elle a su s’adapter et, par le biais d’appels téléphoniques, d’e-mails et de lettres, les responsables locaux ont pu poursuivre leurs activités. À Matola, c’est une grande réunion organisée juste avant l’entrée en vigueur des règles de distanciation sociale qui a permis de maintenir les échanges lors d’appels bilatéraux. Pour l’équipe de Kumasi également, les outils de communication en ligne (e-mails, appels, WhatsApp) ont joué un rôle majeur pour communiquer avec les partenaires.
ASToN a fait office de plateforme d’échange de méthodologies et de ressources stratégiques pour les collectivités locales. Comme l’ont souligné Omar et Hamadou, chaque ville a développé sa propre stratégie qui, couplée aux méthodes ASToN, leur a permis de faire en sorte que chaque point de vue soit pris en compte, négocié et intégré dans le développement des projets.
Apprendre au contact des start-up, des ONG et de la population
Omar rappelle que le secteur privé a toujours une longueur d’avance sur eux et qu’il les « pousse à évoluer plus rapidement ». Il estime avoir beaucoup à apprendre de ce dernier. Les quatre villes enregistrent une explosion des flux d’informations et des activités entrepreneuriales, une ressource précieuse que les responsables de projets locaux ont pu mettre à profit grâce à la méthode ASToN. Pour Hamadou, la richesse des solutions proposées par les entreprises privées a permis aux équipes municipales d’apprendre de nouveaux processus pour mener à bien des missions développement urbain et de gestion, comme l’amélioration des systèmes de recouvrement. Cependant, apporte une vision différente des problèmes existants et des possibles solutions.
Dans le cas de Nouakchott, différents points de vue provenant d’incubateurs technologiques, d’ONG ou des groupes de jeunes comme la “Jeune Chambre de Commerce de Mauritanie” permettent à l’équipe de toucher toutes les générations des futurs usagers du projet. Pour Bamako, l’implication et l’échange d’idées avec les ONG et l’université ont permis de développer une meilleure compréhension des besoins de la région. En suivant leurs conseils, l’équipe locale a obtenu le soutien de la population pour le projet ASToN, à condition d’une gestion transparente des ressources. Ces quatre villes ont montré que, pour une collaboration fructueuse et profitable pour tous les partenaires, il est indispensable de prendre en compte les préoccupations de la population, l’expérience des municipalités et les compétences des secteurs privé, universitaire et à but non lucratif.
Ces exemples démontrent que les partenariats peuvent donner naissance à des structures publiques de qualité en s’appuyant sur les idées de chacun, et qu’ils permettent aux pouvoirs publics locaux et aux individus de progresser.
Un exemple de collaboration réussite est le partenariat entre la municipalité de Matola et la start-up locale Paytek. Ceci a débouché sur la mise en place d’un système de collecte des impôts en ligne, ce qui fait de Matola la première ville du Mozambique à s’en être dotée. Pour Bamako, la collaboration avec ASToN a été l’occasion de définir sa « vision de la transition numérique à partir de ressources locales », explique Hamadou. Aminata et l’équipe de Nouakchott ont profité du programme ASToN pour envisager l’avenir et lancer un nouveau projet avec la ville de Sèmè-Kpodji. Leur collaboration permet aux deux villes de perfectionner leurs outils numériques pour la gestion du foncier tout en affinant leurs stratégies de développement urbain.
Progresser grâce à la « méthode ASToN ».
Outre le soutien aux projets, ces collaborations ont également suscité un certain sentiment de valorisation professionnelle grâce aux échanges avec les autres partenaires. Omar déclare : « J’apprends des méthodes de travail que je ne connaissais pas ». Travailler sur ce projet et appliquer les méthodes ASToN lui a permis de s’épanouir à la fois sur le plan professionnel et personnel. Pour Randy et l’équipe de Kumasi, ASToN a constitué un cadre idéal pour apprendre des autres villes participantes et identifier de nouvelles solutions aux problèmes de la ville. Comme il l’a souligné,
« nous avons tous les mêmes problèmes, mais nous les appréhendons différemment, alors pourquoi ne pas apprendre les uns des autres ? »
D’une certaine manière, le programme ASToN a permis aux pouvoirs publics d’évoluer en tant qu’organisations. Selon Hamadou, « le programme ASToN a été un déclic ». Les outils de réunion, de collaboration et d’identification des problèmes d’ASToN, entre autres, ont permis de simplifier les méthodes de travail et de définir les besoins de la ville. A Matola, ces outils ont permis à l’équipe d’acquérir des connaissances au-delà du domaine du numérique. Les techniques de gestion stratégique, les conseils réguliers, le retour d’information et les échanges entre les partenaires permettent aux quatre villes de mieux collaborer, de mieux interagir et d’évoluer ensemble en faisant équipe.
Humaniser la transformation numérique : aller au-delà de la de la technologie et favoriser les partenariats
En offrant un cadre pour la co-conception et l’apprentissage collaboratif, le programme ASToN accompagne les 11 villes partenaires dans l’élaboration de leur propre stratégie de transition numérique. Ces exemples d’intégration, de collaboration et de coopération mettent en évidence la dimension humaine des villes intelligentes. Le réseau ASToN entend continuellement grandir tout en apprenant. Grâce aux initiatives de numérisation, ces villes ne se limitent pas à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), mais mettent en place des solutions durables et holistiques dans des villes intelligentes. Tandis que les 11 projets se rapprochent de la phase d’expérimentation, il faudra maintenant observer comment les enseignements tirés seront appliqués et fonctionneront sur le terrain, autant pour les citoyens des villes ASToN, que pour les équipes locales et leur réseau de partenaires. Car ils ont tous pour objectif de créer des villes où personne n’est laissé de côté.
Ecrit par Saam Stad
Notes
[1] Randy Wilson est le directeur du service des transports de l’assemblée métropolitaine de Kumasi et le coordinateur local du projet ASToN.
[2] Omar Bay est le coordinateur ASToN du conseil municipal de Matola.
[3] Hamadou B. Yalcoulye est membre de l’Agence de développement régional de Bamako et coordinateur sur place du projet ASToN.
[4] Aminata Lo est architecte et chef du service de l’aménagement urbain et de l’espace public de Nouakchott.
SAAM stad* est une agence de conseil en développement urbain. Ses activités se situent au croisement de l’innovation et des enjeux économiques, sociétaux et durables. SAAM stad accompagne le réseau ASToN dans la capitalisation et le partage de ses connaissances.