La ville de Sèmè-Podji met un terme aux ambiguïtés de la gestion foncière
Cet article est le fruit d’une collaboration entre le Journalism and Media Lab (Jamlab), ASToN et le Civic Tech Innovation Network (CTIN).
La ville béninoise de Sèmè-Kpodji est en train de numériser son registre foncier. Ce changement intervient dans le cadre de la réforme foncière entreprise par l’État béninois pour mettre fin aux problèmes de traçabilité de l’administration foncière. « La pression foncière est telle que les gens achètent des terrains impropres à la construction ». Dans son étude des transformations spatiales survenues dans les banlieues de Cotonou, notamment à Sèmè-Kpodji, Moïse Chabi, enseignant à l’Université d’Abomey, met en évidence ce problème.
Située à l’est de Cotonou, cette ville de la province de Ouémé, dans le sud-est du Bénin, a vu sa population passer de 27 000 habitants en 1979 à 400 000 en 2020. Comme c’est souvent le cas dans les villes africaines, de nombreux problèmes compromettent la gestion foncière : lois inadéquates, registres fonciers mal tenus, corruption, fraude, etc. Au Bénin, 7 770 litiges portant sur la propriété foncière ont été enregistrés en 2016 dans les différents tribunaux du pays, la plupart d’entre eux à Cotonou, avec 20 % des cas portant sur la propriété foncière.
Pour faire face à ce défi, Sèmè-Kpodji a rejoint l’African Smart Town Network (ASToN), un réseau qui rassemble 11 villes africaines souhaitant développer des pratiques numériques de pointe et innovantes afin de créer des villes durables et inclusives. Ce projet vise à aider les villes à effectuer leur transition numérique grâce à l’apprentissage entre pairs et au partage d’expériences, sur une période de trois ans allant de 2019 à 2022.
Comme l’explique Farid Salako, conseiller municipal et président du comité permanent de gestion des partenariats et des projets de Sèmè-Kpodji : « Le projet ASToN arrive véritablement au bon moment à Sèmè-Kpodji, et sa mise en œuvre nous permettra de résoudre les problèmes de l’administration foncière ».
Le coordinateur local ASToN, Landry Ahomadikpohou, partage cet avis. « Pour le moment, les réunions tenues avec les chefs de village, les chefs de district, la société civile et les conseillers locaux mettent en évidence la nécessité de ce projet, qui non seulement facilitera et donnera de la crédibilité au travail de l’administration, mais sera également bénéfique pour la collectivité ».
En ce qui concerne la gestion foncière, le Bénin a mis en place des registres fonciers urbains (RFU) à partir de 1990 pour accompagner un processus de décentralisation lent, qui est devenu effectif en 2003. Cependant, selon un rapport d’ONU-Habitat (programme des Nations Unies) sur les registres fonciers urbains béninois et l’appropriation municipale de l’information foncière, il y a eu une longue période de vide administratif pendant laquelle « le contexte institutionnel n’a pas favorisé une maîtrise d’ouvrage autonome et clairement comptable de la mise en œuvre et de la maintenance de l’outil RFU (Registre foncier urbain), ce qui a entraîné l’échec des systèmes mis en place ».
Dans sa thèse sur les registres fonciers urbains béninois, Claire Simonneau, docteure en aménagement diplômée de l’Université de Montréal, souligne que pendant ce processus, « la publication de l’information sur les terrains et les propriétés ne s’est pas faite sans réticences : la plupart des villes ont reçu des documents photocopiés inexploitables, tandis que les sous-préfectures conservaient les originaux des registres de subdivision et de reclassement »
Le système de registre foncier actuel de Sèmè-Kpodji, qui est sur papier, ne couvre pas les six districts. Cela impacte la gestion des terres et ralentit la délivrance des titres de propriété.
Selon le coordinateur local d’ASToN, les inconvénients du système actuel sont doubles. Le premier est lié aux « actions conduisant à des transactions frauduleuses », qui sont une source de conflits fonciers, et l’autre est inhérent à « la délivrance, par l’administration elle-même, de titres sur le même bien à différents propriétaires présumés », explique Landry Ahomadikpohou.
Depuis 2013, l’État béninois mène un projet de réforme à grande échelle, dont l’un des points clés est l’introduction d’un nouveau document unique de propriété foncière : le Titre foncier. Selon l’Agence Nationale du Domaine et du Foncier (ANDF), seuls 40 000 titres fonciers ont été délivrés à ce jour.
Cette révolution dans l’administration foncière par l’État semble entraîner un mouvement général dans le pays.
Selon Farid Salako, « Les réformes foncières entreprises au Bénin obligent les administrations régionales à avoir un contrôle total de leur système de gestion foncière »
Après la réforme de 2013, un registre foncier numérique national a été créé pour enregistrer de manière complète les « terrains au niveau local ou national, et toutes les informations associées ».
Le coordinateur local d’ASToN a indiqué que, depuis 2016, l’ANDF a mis en place plusieurs politiques, stratégies et programmes fonciers. « Sèmè-Kpodji fait partie des dix villes concernées par le projet de modernisation de l’administration foncière couvrant les districts de Sèmè-Kpodji, Agblangandan et une partie d’Ekpè », a-t-il déclaré. Farid Salako souligne que les villes choisies pour la phase pilote assureront la disponibilité d’informations foncières numériques fiables pour le gouvernement central, tout en répondant à une priorité locale, car, selon lui, « aujourd’hui, le besoin de ce système est pressant ».
La ville est actuellement en phase de mise en œuvre[Author1] de son projet ASToN. Selon Landry Ahomadikpohou, ses objectifs sont, d’une part de rassembler toutes les parties prenantes et de travailler sur les défis de la gestion foncière à l’aide des données et, d’autre part, de concevoir ensemble un outil numérique qui puisse l’aider à améliorer la situation sur le terrain. « À long terme, nous espérons voir une fluidité et une transparence accrues dans l’administration foncière grâce à la gestion numérique de ces données », déclare le coordinateur local. Il a également souligné que le projet avait des objectifs ambitieux, car « c’est un outil qui utile pour la ville, mais qui l’est aussi aux niveaux local et national ».
Pour plus d’informations sur les 11 villes du réseau ASToN, consultez le site www.aston-network.org.
Ecrit par Moussa Ngom.