Le design sera toujours un océan bleu, si nous nous forçons à échanger sur le fond.

Designer, c’est tout

Olivier Staebler-Sarrazy
Atecna Design
Published in
5 min readOct 2, 2023

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Depuis quelques temps déjà, je remarque que les débats autour du design portent plus sur l’appellation des rôles que sur le fond lui-même. Mettons fin au débat !

En tant que professionnel qui exerce le design et lead des designers depuis “quelques années”, je répondrai avec plaisir à l’ensemble des commentaires, si tant est qu’ils soient constructifs et enrichissants, voici mon avis :

Le nom des postes

Ce débat est stérile ! Il n’apporte rien et ne change pas la nécessité de concevoir les choses.

“Product designer”, “Ux”, “Ui” , “Ux/Ui” (certains me taxeront pour ce dernier), “designer full stack” (mon préféré)… ce débat pollue nos actions et ce pour quoi nous participons aux projets.

Ce débat est souvent motivé par deux objectifs :

Le premier concerne la nécessité d’optimiser les coûts, en ne payant qu’une seule fois, un seul humain, omnipotent.

Le second concerne quand à lui l’effort non-négligeable (et trop souvent délaissé) demandé par l’organisation d’un groupe pour collaborer et mettre en oeuvre une certaine intelligence collective.

Rien de ce qui devrait nous intéresser, en somme !

D’ailleurs, entre designer dans mon équipe, il nous arrive d’échanger en parlant de “Platchouk” plutôt que de “Design”

En effet, en désacralisant les rôles, on se détourne du débat, ce qui nous permet (entre autre) de nous concentrer sur les aspects essentiels de notre mission : les compétences, la collaboration et l’impact. Nos échanges et nos questionnements sont plus pertinents : en tant que platchoukiste (platchouker si vous préférez), est ce que je dispose des compétences pour transformer la situation et créer de l’impact pour mon mandataire ?”

La réponse est assez souvent : “non, pas tout seul” et j’y reviendrai.

Mais c’est quoi le design ?

J’aime m’appuyer sur la définition du design d’Herbert Simon (prix Nobel d’économie en 1978, qui n’est donc pas un designer) :

Toute personne qui conçoit des plans d’actions visant à transformer une situation existante en une situation préférable fait oeuvre de design.

Pourquoi ?

Parce que cette définition est tout d’abord inclusive : elle ne limite pas le design aux seuls designers (Je vous invite notamment à parcourir les écrits de Tim Brown à ce sujet)

D’autre part, cette définition parle d’actions et de plans, ce qui me conforte dans ma vision : le design est avant tout un processus composés d’actes réels et planifiés.

Et enfin car on parle de situation ! Alleluhia ! Notre métier ne consiste pas à créer des interfaces et/ou des produits digitaux. Notre métier consiste à transformer des situations, parfois au travers du digital, en appréhendant l’écosystème dans lequel nous évoluons et les acteurs qui le composent (autrement dit des humains).

User-centric ou pas ?

Plusieurs articles lus dernièrement m’ont dérangé : ils sont souvent imprécis et ne prennent en compte qu’un unique spectre d’analyse, tirant ainsi des conclusions hâtives et régulièrement fausses.

Du “le seul objectif d’une entreprise au travers d’un produit est de faire du profit donc on s’en fout du user-centric” à “notre job c’est la tech donc comprendre les utilisateurs n’est pas essentiel” … je ne sais pas dire quel débat est le plus inintéressant.

Le profit est effectivement (Tout le temps??) l’objectif d’une entreprise. Soit. Mais, soyons direct : garder une vision du profit sans prendre en compte l’expérience est une vision dangereuse et court termiste. Un utilisateur non-considéré va certes consommer le produit.

Cependant, ce même produit peut être copié (avec un peu de temps et d’argent), tout en proposant une utilisabilité plus riche, plus adaptée à l’utilisateur et donc une meilleure expérience. Celà revient à laisser la place à de potentiels concurrents tout en ruinant dès le départ la potentielle fidélité des utilisateurs. Le coup d’acquisition d’un nouveau client étant souvent très élevé, ne pas prendre en compte l’utilisateur équivaut (à plus ou moins long terme) à la réduction des profits. Dommage, il s’agissait pourtant de notre objectif principal !

Des exemples ? Volontiers ! Dans un secteur très réglementé comme la banque, nous avons vu ces dernières années fleurir et performer quelques nouveaux acteurs. En s’appuyant sur les besoins clés des utilisateurs (qu’ils ont écouté et qu’ils écoutent encore), les néo banques ont su prendre des parts de marché (et donc du profit) aux acteurs d’ores et déjà bien installés. Il n’y a que peu de “néo” dans tout cela mais un peu d’écoute et le développement de produits adaptés…

Pour ce qui est de la technologie, sauf erreur de ma part, elle n’a d’intérêt que pour faciliter la vie des humains. Développer une technologie sans poursuivre cette objectif est aussi inutile que d’être riche au Monopoly…

Enfin et je ne développerai pas ici, mais nous ne designons et ne développons pas des produits que pour des organisations dont le but est le profit (c’est un autre sujet à venir)

Des compétences et de l’impact

Vous êtes arrivés jusqu’ici bravo, votre calvaire prendra fin dans 3 paragraphes. Je l’ai promis, j’y reviens.

Le design est avant tout une histoire d’impact et de compétences.

Comme toutes les disciplines émergeantes, le design s’est cherché, a itéré puis a commencé à se développer. La réalité des résultats produits (l’impact) a induit la mise en place d’une réelle organisation du processus et une spécialisation des acteurs. Les modes d’actions se sont améliorés et affinés, puis la liste des compétences nécessaires s’est allongée.

Exemple : les compétences nécessaires pour créer et imaginer un aspect séduisant sont différentes des compétences nécessaires pour écouter, entendre et formaliser les besoins d’un utilisateur, qui sont elles-même différentes des compétences nécessaires pour faire générer des idées à un groupe d’individus. Ces actions sont néanmoins essentielles au processus de conception et à d’autre par ailleurs (agilité, lean …).

En bref (et pour vous libérer, délivrer), le design est devenu si complexe et demande tellement de compétences et de connaissances qu’il est très compliqué pour une seule personne de tout maîtriser tout en espérant générer l’impact souhaité. Deux solutions dont la dernière a ma préférence :

  • réduire le niveau d’impact souhaité en travaillant avec une seule personne dont les compétences et la connaissance sont évidemment limitées.
  • Structurer son approche en travaillant en équipe et maximiser les compétences complémentaires pour espérer atteindre l’impact souhaité.

On termine maintenant

Oui, le débat sur les appellations n’a pas de sens et nuit clairement à la discipline puisqu’il détourne notre attention du fond.

Non, être centré sur l’humain n’est pas en contradiction avec profit, en tout cas à long terme.

Oui, le travail en équipe pluri-compétentes demande de l’organisation, de la communication et des efforts mais il est souvent récompensé par un impact plus intéressant.

Enfin, peu d’êtres-humains peuvent prouver leur maitrise à haut niveau de toutes les compétences nécessaires à la transformation de situations en générant l’impact maximal.

Ma vision :

  • Designez votre équipe en considérant les compétences utiles et complémentaires pour créer de l’impact plutôt que d’appliquer les normes d’appellation imposées par le marché.
  • Considérez que le design n’appartient pas qu’aux designers mais qu’ils peuvent en revanche aider à atteindre certains objectifs plus facilement et plus longtemps.
  • Organisez-vous pour que votre équipe consacre un maximum d’énergie à produire les outils de votre impact et par conséquent de votre réussite.

On vous dit comment prochainement.

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