Pourquoi j’ai délaissé les personae…

Olivier Staebler-Sarrazy
Atecna Design
Published in
6 min readSep 22, 2020

Cet article est la manifestation joyeuse d’une opinion que je partage avec vous et Lionel (lis tout et tu comprendras). Comme n‘importe quelle opinion, elle n’engage que celui qui la propose. Elle peut être discutée avec plaisir et bienveillance (tu sais celle qu’on invite à tous nos ateliers) et ne vise au final qu’à créer de l’interaction et de l’échange (tiens c’est justement mon job).

Au fait, c’est quoi des personae ?

Merci Lionel, bonne question ! Les personae sont des archétypes d’utilisateurs permettant de se projeter dans leurs besoins et leurs attentes pour finalement régler leurs problèmes. C’est un outil, employé pour la résolution de problème , utilisé par les designers (entre autre). Je fais vite pour la définition car vous trouverez sans aucun doute de nombreux articles et documents vous expliquant exactement ce que c’est et comment on les fait (Google est votre ami).

Info pratique par Lionel :

Le nominatif pluriel de persona est personae. Autrement dit on écrit un persona, des personae (non pas des “personaux”). Voilà pour la seule partie théorique (Latin) de cet article.

Un archétype souvent fondé sur des considérations démographiques

Comme tout archétype, il comporte un biais, celui d’avoir été conçu au travers de l’analyse d’un humain : subjectivité… L’un des parti-pris est souvent de travailler des regroupements non pas sur les usages (bien Lionel !!!) mais sur des notions démographiques basiques (mal Lionel !!!) ou pire encore la vision que votre client a de ses clients (vraiment mal Lionel !!! ). Je ne compte plus le nombre de sets de personae que j’ai récupérés, dans lesquels je retrouvais Mireille (désolé pour les Mireille), ménagère de plus de 40 ans. Vous n’êtes toujours pas convaincus que les critères démographiques sont un choix par défaut totalement absurde ? Voici un exemple :

Je suis un homme britannique, né dans la fin des années 40, 1948 pour être exact. J’ai connu les Beatles, les années 70, bref … J’ai les moyens de vivre aisément mais à mon âge, je ne travaille plus. D’ailleurs, ai-je vraiment travaillé un jour ? J’ai divorcé, me suis remis en couple, je me suis même remarié et j’ai des enfants. J’aime enfin les voitures et tout particulièrement la marque historique Britannique : les Jaguars. J’en possède plusieurs et il n’est pas exclu que j’en achète encore une ou deux.

Autant de critères que nous retrouvons régulièrement dans les personae, certes pas uniquement quand elles sont bien faites…

Mais pensez-vous réellement que Le Prince Charles et Ozzy Osbourne peuvent être adressés de la même façon ? Non ? Pourtant ils correspondent bien tous les deux à l’archétype démographique ci-dessus… Personnellement j’ai un doute.

Le livrable qui cache la démarche

C’est un peu comme l’arbre qui cache la forêt… Dans la vie d’un designer, ce qui importe c’est la démarche : le processus pour arriver à la solution. Dans la vie d’un client, ce qui compte ce sont les livrables ou plus exactement : comment vais-je pouvoir prouver que j’ai choisi le bon designer en cas d’échec ?

Je ne compte plus non plus le nombre de réponses faites à des clients qui me demandaient des personae en leur adressant un protocole de recherche. Je ne compte plus non plus le nombre de fois où j’ai entendu ces réponses :

“Non c’est bon on connait bien nos clients ! “

“Mais non on connait bien ce profil, ils font tous comme ça ! Votre recherche est fausse…”

“Vous avez des exemples de personae” ?

Tout d’abord “on ne connait jamais assez ses clients”, mais surtout c’est aux designers de connaître les clients, de percevoir leurs attentes, leurs besoins qui ne sont pas toujours bien exprimés. Le besoin est la matière première du designer qui la transforme progressivement en services ou en produits.

Une recherche est par essence objective et vrai. Un designer n’invente pas, il retranscrit fidèlement ce qui lui a été remonté. Par la suite, en effet, il imaginera, concevra en fonction de ce qu’il est. Il apportera ainsi une réponse subjective à un problème objectif.

Des personae sont un outil de formalisation des résultats de la recherche et je vous le donne en mille ce qui est important c’est ? Lionel ?

-La recherche.

Si cette étape est correctement menée, le résultat sera nécessairement différent de ceux que j’aurais pu vous montrer en référence car totalement assujetti au sujet de la recherche, c’est à dire votre relation avec vos utilisateurs. Exiger un livrable comme garantie d’une démarche c’est comme commander un plat en ne regardant que la photo, il risque de ne pas être à votre goût.

Un écosystème mouvant dans le temps

Les personae sont donc souvent un livrable et de fait elles sont figées dans le temps. Sortir un MVP pour lequel nous les avons établis, change déjà l’environnement de l’utilisateur (eh oui Lionel, un nouveau produit) et donc le besoin. Il faudrait donc obligatoirement refaire de la recherche pour comprendre les nouveaux besoins or ce n’est pas souvent le cas.

Mais quand bien même ! Nous ne parlons que de votre produit mais l’environnement d’un utilisateur change perpétuellement. C’est au delà de votre volonté. En effet, vos concurrents tout comme d’autres acteurs changent le besoin en proposant de nouveaux services et/ou de nouvelles visions du service. Aussi avant même de sortir votre MVP, rien ne peut vous garantir que les personae ne sont pas, tout ou partie, obsolètes.

L’Homme est un animal multi-facettes

Je suis à la fois salarié, concubin, parent, designer, militant (parfois), sportif (parfois aussi), gamer, supporter et amateur de cuisine. Bref je suis un être complexe, multi-facettes qui ne peut résolument pas être rangé dans une seule case. Et je ne suis pas l’exception, nous avons tous plusieurs facettes et chacune de ces facettes se manifeste (ou non) dans nos choix, qu’elles soient en rapport ou non avec ce choix.

Par exemple : je prends très au sérieux ma paternité et le match France-Angleterre commence (#sixnations #crunch #cestsacré). Quelle facette va l’emporter quand mon enfant renverse au milieu du salon le kilo de spaghettis qu’il a trouvé en explorant la cuisine pendant les hymnes ? Facette père ? Facette supporter ? Facette cuisine ? Toutes les trois en même temps à des degrés différents ?

Espérer un comportement unique de la part d’un humain serait oublier cette oscillation. Des personae, aussi bien faites soient-elles, ne peuvent pas envisager tout cela.

- D’autant plus quand c’est un livrable qui doit être clair.

- Bravo Lionel, tu commences à capter !

Le regroupement et la standardisation des comportements nuit parfois à ce que nous souhaitons travailler : une expérience exceptionnelle centrée sur l’humain.

Bon va falloir conclure

On arrive au bout et j’imagine déjà les commentaires dont un particulièrement. “Tu n’as rien compris aux personae, tu dois sacrément mal les faire”.

-Dis donc Lionel, à moins que tu aies vu mon travail, je ne te permets pas !

Plus sérieusement je n’ai au final pas de problème avec l’outil. Il est même extrêmement efficace quand il est fait puis utilisé sérieusement (petite pensée pour une équipe avec qui j’ai travaillé sur des personae très bien faites).

Cependant, je pense que nous pouvons aller plus loin et envisager, parfois, de nouvelles façons de faire.

Maslow (le même qui a parlé de pyramide. Non pas celle en Egypte, Lionel !) a dit : “Quand on a un marteau, tout ressemble à un clou”. Nous disposons de cet outil, certes, et nous pouvons le sur-employer. Mais nous disposons aussi d’une vision de ce que doit être la connaissance utilisateur/humain et nous pouvons créer de nouveaux outils plus adaptés.

Essayez donc de visser quoique que ce soit avec un marteau !…

“Lionel pose ce marteau tout de suite !”

Que penser par exemple d’un user system (d’autres l’appellent “atomic research”) ? Le concept est simple, nous avons toujours besoin de connaître les utilisateurs dans une démarche design proche de l’agilité ou du lean. Cependant nous continuons à lancer des phases de recherche ponctuelles (dans le meilleur des mondes, n’est ce pas Lionel ), particulièrement quand on a un projet. La démarche est coûteuse et on ne parle pas que d’argent.

Nous nous retrouvons donc avec des phases de connaissance utilisateur et des phases de “vide”. Quel dommage, quand nous pourrions continuer à envisager l’avenir de notre service et plutôt que de lancer des opérations de recherche ponctuelle, entretenir à moindre coût notre connaissance utilisateur.

Le user system c’est se doter d’outils et de méthodes d’écoute des utilisateurs dans le temps.

Enfin, promis j’arrête après ce paragraphe, je pense que pour s’adapter aux oscillations comportementales des êtres humains nous devons trouver des modes de formalisation plus souples. Le concept de mindset associé à un user system me paraissent plus adaptés à nos problématiques. En effet, plutôt que d’adresser des besoins par archétype, nous dressons des comportements dans lesquels un même utilisateur peut osciller en fonction de son contexte. Il ne nous reste plus qu’à trouver, imaginer et expérimenter ces contextes.

Retrouvons-nous (avec Lionel promis) bientôt pour détailler ensemble les concepts juste évoqués de cet article.

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