Pourquoi nous n’avons jamais été mieux placés pour sortir de la crise globale
En 1972 est publié le premier rapport scientifique remettant en cause la prospérité matérielle illimitée que prône notre société (ce qu’on désigne alternativement par les termes “Productivisme”, “Consumérisme”, “Capitalisme”, voire plus récemment “Néo-libéralisme”).
Intitulé “Limits to Growth” (traduit en Français par “Halte à la croissance”), ce rapport commandé par le groupe de réflexions “Club de Rome” et rédigé par des scientifiques du MIT détaille plusieurs scénarios qui aboutissent tous à la même conclusion:
Notre croissance matérielle heurtera vers 2030 les limites indépassables de notre planète.
Manque de ressources, de terres arables ou excès de pollution feront non seulement plafonner mais s’effondrer production de biens, de services et population.
Pour empêcher cette crise globale d’arriver, le rapport recommande de substituer au “Productivisme” la recherche d’un équilibre durable.
Malgré l’écho mondial que le rapport reçut et le dynamisme des intellectuels qui critiquaient à cette même époque la société de consommation (Guy Debord, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Ivan Illich, Andre Gorz, …), nous savons aujourd’hui que la trajectoire n’a pas été infléchie.
En 2012, l’actualisation du rapport a confirmé notre progression quasi-parfaite (cf graphique ci-dessous) du scénario “Business as usual” formalisé … 40 ans auparavant et cela en dépit des mobilisations répétées de plusieurs générations de militants politiques, de scientifiques et de personnalités de la société civile.
Logiquement, vous pourriez en conclure que rien n’a changé, que nous partons du même point de départ qu’il y a 40 ans et que par conséquent nos chances de changer de modèle de société avant l’effondrement annoncé sont proches de zéro.
Et pourtant, à y regarder plus attentivement, vous pourriez observer que de nombreux paramètres ont évolué depuis 1972, créant les conditions presque parfaites pour faire émerger, voire même amener au pouvoir, un nouveau projet capable de nous assurer un avenir durable.
Un projet qui ne remplit plus ses promesses
Abondance, puissance, confort, plaisir, longévité, liberté.
Ce qui a fait triomphé le “Productivisme”, c’était sa capacité à satisfaire les promesses qu’il portait.
En 1972, nous étions justement à l’apogée des “Trente Glorieuses”. Aussi imparfait soit-il, ce modèle avait reconstruit la France, relevé son économie et rétabli son influence sans accroc ni effet secondaire notable.
Le plein emploi était la norme, les Français se jetaient dans la consommation et le tourisme de masse tout en voyant leur espérance de vie s’allonger.
Bref, le décalage avec les discours alarmistes du Club de Rome était total. Alors que les masses venaient juste “d’accéder au bonheur”, une bande de scientifiques rabat-joies leur annonçaient que cela n’allait pas durer.
Même si c’est regrettable, l’absence de remise en cause du modèle n’avait donc rien d’étonnant.
Or, en 2017, nous sommes dans une situation totalement inédite.
Comme le prédisait le Club de Rome, limités par les ressources de la planète dans leur croissance matérielle, les Français sont englués dans une crise économique interminable: chômage de masse depuis 30 ans, baisse du pouvoir d’achat depuis 10 ans et même, récemment, diminution de l’espérance de vie.
Cette dégradation touche notamment les Français jeunes, issus de classes populaires ou habitants en France périphérique, premiers et principaux perdants des transformations récentes de l’économie (mondialisation, informatisation).
Bref, le “Productivisme” ne remplit plus ses promesses de prospérité matérielle pour une part grandissante de la population.
De fait, s’il n’y a pas eu de remise en cause du modèle actuel sur le plan écologique, la critique est désormais possible sur le plan économique.
Et c’est ce que l’on observe déjà.
Un projet remis en cause
46.5% est le score atteint en 2017 au 1er tour de l’élection présidentielle par l’ensemble des candidats critiques du “Néo-libéralisme” (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau).
Le “Néo-libéralisme” est la doctrine que les économistes partisans du “Productivisme” ont peu à peu admise comme la plus optimale pour assurer leur objectif (i.e. la croissance matérielle illimitée). Logiquement, celle-ci promeut la suppression de toutes les limites entravant le bon fonctionnement de l’économie marchande (dérégulation des marchés, réduction du rôle de l’Etat, privatisations des entreprises publiques, libre-échange, …etc).
Or, malgré leurs différences parfois fortes sur certaines thématiques, le point commun de ces candidats contestataires était justement de vouloir rétablir des limites (les frontières) pour au choix:
- Lutter contre le dumping social, environnemental ou fiscal (“Protectionisme”)
- Préserver le terroir, la culture et l’identité Française (“Patriotisme”)
- Redonner aux Français la maitrise des décisions politiques et donc de leur destin (“Souverainisme”)
Vote de protestation ou vote d’adhésion ?
La moitié des Français n’est en tout cas plus sensible à l’apparente logique du discours dominant qui désigne toutes les limites comme des freins, des obstacles à la croissance. A l’inverse, elle lui préfère la rhétorique “populiste” qui elle au moins les valorise comme des protections.
De par l’ampleur du nombre de Français concernés, cette situation est, à nouveau, totalement inédite depuis les années 70. A l’époque, seule une minorité d’intellectuels, de gens des classes supérieures ou de militants politiques radicaux prenaient ses distances par rapport au discours dominant.
Nous noterons cependant que cette critique est encore très superficielle.
Focalisée sur les mesures “néo-libérales”, la critique “populiste” ne remet jamais en cause l’objectif “néo-libéral”: la croissance matérielle illimitée.
Derrière la planification écologique de Jean-Luc Mélenchon et le patriotisme économique de Marine Le Pen, l’un et l’autre se glorifiaient dans leur chiffrage d’une hypothétique croissance économique supérieure à 2% par an pendant tout leur quinquennat.
Du chemin reste donc à parcourir pour faire émerger un modèle tel que le préconisait le Club de Rome.
Heureusement le contexte futur devrait l’y aider.
Une tendance qui va s’accélérer
L’aggravation des problèmes économiques (chômage, …) et la remise en cause du modèle dominant (bien que superficielle pour l’instant) ne sont en effet pas des phénomènes épisodiques. Il s’agit de tendances lourdes qui, malgré des creux, progressent depuis 30 ans.
Comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, il y a fort à parier que cette double tendance va s’accélérer, notamment en France.
En effet, le président et la majorité qui ont été élus pour 5 ans représentent la fusion “Néo-libérale” des 2 partis qui dirigeaient la France depuis 30 ans.
Disposant de la majorité absolue, ils vont pouvoir appliquer à la lettre leurs fameuses “mesures optimales pour favoriser la croissance matérielle” (flexibilisation du marché du travail, baisse des dépenses de l’état, ratification des traités de libre-échange) malgré la très grande méfiance de la population à leurs égards.
Si le produit de ces mesures d’efficacité ne sont pas captés intégralement par la minorité des ultra-riches et des classes supérieures, il est possible que la prospérité matérielle des classes moyennes et populaires s’améliore momentanément.
Néanmoins, tout cela sera très vite rattrapée par une réalité physique: nous n’avons plus les ressources naturelles à la hauteur de nos ambitions.
Comme le décrivait le Club de Rome, les capacités de notre planètes ne nous autorisent plus à croitre matériellement:
- Dans le pire des cas, une crise se produira.
- Dans le meilleur, nous reviendrons à notre marasme actuel.
Les classes populaires et moyennes qui auront probablement consenti à de nombreuses concessions tant au niveau de leur protection juridique (code du travail) que de leurs allocations sociales (minimums sociaux, pensions de retraites) seront dès lors très remontées.
Dans 10 ans, dans 5 ans voire avant, l’occasion sera donc immense pour capturer ce mécontentement au service d’une véritable alternative.
Une occasion inédite
Plusieurs décennies après la remise en cause par le Club de Rome du modèle “Productiviste” , nous n’avons jamais été aussi bien placés aujourd’hui pour le remplacer car:
- Intrinsèquement inadapté à notre environnement, son dernier avatar, le “Néo-libéral”, ne remplit plus ses promesses de prospérité pour tous.
- Logiquement une part grandissante de la population le remet en cause en votant pour des partis dits “populistes”.
- Encore au pouvoir actuellement, les élites “néo-libérales” souhaitant surenchérir, cette double tendance ne peut que s’accentuer.
Si l’origine de la crise est écologique, les “populistes” nous montrent que c’est davantage en partant des réalités concrètes des citoyens (donc des aspects économiques) que l’on pourra ébranler l’édifice.
Or, à la différence des “populistes” qui n’offrent qu’une critique superficielle, la remise en cause du “Productivisme” a la force de posséder le bon diagnostic. Il ne tient donc qu’à ceux qui la portent de bâtir autour de celle-ci un projet positif, crédible et rassembleur.
Les difficultés à relever sont bien sûr immenses mais, grâce à ce récent “alignement récent des planètes”, cela semble désormais possible.
— Damien
Cet article est le deuxième d’une trilogie consacrée à la crise globale actuelle.
- Le premier précisait le problème auquel nous faisons face.
- Celui-ci traite de l’occasion unique qui s’ouvre en ce moment.
- Le dernier introduit la partie solution.
Cette trilogie terminée, le blog approfondira principalement tous les aspects de la “solution” (c’est en effet son thème 😉).
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