Notre société n’est plus adaptée au futur

Damien Detcherry
Atterrissage
Published in
6 min readAug 16, 2017

Il y a quelques années, dans la période 2010–2012, je me baladais près de chez moi et je fus très surpris de constater que le magasin Video Futur où je louais des films étant adolescent était encore ouvert. Il n’y avait pas grand monde à l’intérieur mais le même gérant (probablement un franchisé) était toujours derrière le comptoir.

Comme si rien n’avait changé…

A l’époque, nous étions en plein âge d’or du site de streaming illégal Megaupload (qui fermera en 2012) et du site de torrents Pirate Bay (qui fermera en 2014). Le milieu de la musique avait été bouleversé au cours de la décennie précédente par les Napster, Kazaa, Emule…etc. Tous les disquaires de l’époque avait mis la clef sous la porte. Le groupe Video Futur avait même déposé le bilan en 2008 à cause de difficultés de trésorerie.

Mais alors pourquoi le gérant était-il toujours agrippé à son enseigne ?

Les ventes et la fréquentation avaient très certainement chuté brusquement quelques années auparavant puis la tendance s’était stabilisée autour d’une baisse lente mais continue. Dans le même temps, le loyer avait probablement bondi avec l’embourgeoisement du centre-ville. Bref, tous les signaux étaient au rouge.

Je me souviens que ce gérant était passionné par le cinéma. A chaque nouveau film que je louais, il me félicitait chaudement. “Très, très bon choix”. Je me disais donc un peu tristement que c’était par nostalgie qu’il ne voulait pas abandonner cet univers qui lui avait tant apporté. Il s’était peut-être même juré qu’il irait jusqu’au bout et que jamais il ne transformerait son pas de porte en vulgaire Body Minute ou Sushi Shop.

Si je vous raconte cela, c’est que voyant les crises (climat, ressources, biodiversité, chômage, dettes, immigration, inégalités, communautarisme, populisme) se multiplier et s’amplifier, je perçois une certaine similarité entre ce que traverse notre société et la situation que vivait ce petit franchisé de mon centre-ville il y a quelques années.

En effet, quand tout semble se dérégler, quand les repères se brouillent, quand les réflexes acquis par l’expérience ne fonctionnent plus, c’est le signe fatal d’une inadaptation.

Notre société n’est plus adaptée

Personne n’en parle vraiment. Ni les médias. Ni les hommes politiques. Ni les dirigeants d’entreprises.

Et pourtant c’est tout sauf un scoop:

  • Le contexte a changé.
  • Notre projet de société est devenu totalement inadapté.

Notre projet de société

Pour ma part, je le résumerais en 3 mots: “Avoir toujours plus”

  • “Avoir” pour l’aisance matérielle
  • “Toujours plus” pour l’absence totale de limite

Malgré quelques désagréments, ce projet de société nous a globalement nourri. Il a allongé notre espérance de vie et permis de réaliser de surprenantes découvertes (machine à vapeur, électricité, téléphone, …) cela, depuis plusieurs siècles.

Seulement voilà, le monde a changé.

Ce qui a changé

De la même manière qu’Internet et les technologies de streaming ou de peer-to-peer ont bouleversé l’environnement de notre franchisé Vidéo Futur, notre contexte n’est également plus du tout le même:

  • Autrefois vastes et fertiles, les territoires restants à conquérir sont désormais lointains et hostiles
  • Autrefois abondantes et faciles d’accès, les ressources restantes à exploiter sont désormais rares et difficiles d’accès (pour les non-renouvelables) ou restreintes et menacées (pour les renouvelables)

A force de dépasser les limites, le projet de l’illimité matériel a fini par atteindre les ultimes limites de notre planète.

Voilà la véritable origine de nos crises.

Les symptômes de cette inadaptation

Dans une société dont le projet ne reconnait aucune limite, voici ce qui se passe:

Quand son environnement atteint ses limites:

  • L’atmosphère n’encaisse plus le toujours plus d’émissions de gaz à effet de serre des activités humaines. C’est le réchauffement climatique.
  • Les réserves ne débitent plus le toujours plus de carburant bon marché nécessaire à notre économie. C’est l’épuisement des ressources.
  • Les espaces naturels ne peuvent plus accueillir le toujours plus d’espèces chassées ou menacées. C’est la 6e extinction de la biodiversité.

Quand son activité économique atteint ses limites:

  • Les emplois nouveaux ne compensent plus le toujours plus d’emplois détruits par le progrès technologique (mondialisation incluse). C’est le chômage de masse.
  • Les recettes fiscales nouvelles ne contrebalancent plus le toujours plus de déficits accumulés dans le passé. C’est l’explosion des dettes souveraines.
  • L’investissement en direction des pays peu productifs (Afrique) ne fait plus contrepoids au toujours plus de compétitivité acquise par les pays très productifs (Europe). C’est la croissance de l’immigration économique.

Quand ses moyens d’action atteignent leurs limites:

  • La redistribution vers les individus pauvres ne compense plus le rapport de force toujours plus à l’avantage des individus riches. C’est l’explosion des inégalités.
  • L’aménagement des territoires dans la France périphérique ne contrebalance plus la toujours plus grande attractivité des métropoles. C’est la montée du populisme.
  • Notre société n’intègre plus le toujours plus d’immigration accumulée sur plusieurs générations. C’est la hausse du communautarisme.

Comme pour le franchisé de Video Futur dans la phase où Internet commençait à frétiller, nous sommes au moment où les revenus augmentent de manière poussive, compensant de moins en moins les dépenses qui augmentent à la même vitesse qu’avant.

C’est suffisant pour créer déjà des problèmes.

Or comme le franchisé Vidéo Futur, nous pourrions être tentés de nous dire qu’il s’agit d’une “mauvaise passe”.

Un déni aux conséquences si prévisibles

Nous pourrions alors alterner entre les attitudes suivantes:

Minimiser le problème

De la même manière que le gérant du Video Futur, nous pourrions dire “On en a vu d’autres” et nous contenter de cela.

Trouver des bouc-émissaires

De la même manière que le gérant du Video Futur a probablement accusé son stagiaire d’être impoli avec les clients ou sa remplaçante de ne pas bosser assez, nous pourrions accuser la rigidité de nos lois de pénaliser l’économie ou les électeurs du Front national d’être des abrutis.

Essayer de nous rassurer

De la même manière que le gérant du Video Futur s’est probablement flatté devant la profondeur de son catalogue, nous pourrions ressasser les fameux atouts de l’économie française (productivité élevée, bonnes infrastructures, énergie bon marché, …).

Implorer un miracle

De la même manière que le gérant du Video Futur a probablement allumé un cierge, nous pourrions espérer comme Bill Gates l’arrivée d’un “miracle énergétique qui nous permette de vivre plus confortablement tout en utilisant moins de matière ou d’énergie.

Redoubler d’efforts

De la même manière que le gérant du Video Futur s’est probablement lancé dans la mise en place d’un distributeur automatique de films ouvert 24H/24 ou dans l’installation d’un logiciel de marketing automatisé par SMS / email pour fidéliser ses clients, nous pourrions lancer de grands programmes, notamment technologiques.

Mais dans tous les cas

De la même manière que ces différentes stratégies n’ont aucunement empêché le basculement de la consommation des films sur Internet et donc la disparition du magasin Video Futur, elles n’empêcheront pas non plus la prochaine limitation des désirs de notre société et donc la disparition de notre fameux projet du “Avoir toujours plus”.

L’alternative est claire, comme le franchisé Video Futur a du se réinventer par rapport aux contraintes nouvelles et également à ce à quoi il tenait, nous devons aujourd’hui réinventer notre projet de société.

Notre seule option: nous réinventer

C’est l’unique option qui s’offre à nous.

Si notre projet s’est résumé à “Avoir toujours plus”, le prochain ne devra clairement pas se caricaturer en “Avoir toujours moins”. Ce serait exactement ce qu’espérait les partisans du statu-quo.

Il ne s’agit pas de stopper le “Progrès” ou le “Développement”. Il s’agit de le redéfinir.

Vous êtes effrayés par l’immensité de la tâche à accomplir ?

Je vous rassure moi aussi.

Cependant, bien que l’intensité des crises n’ait jamais été aussi aiguë, bien nous n’ayons jamais été aussi proches du précipice, nous n’avons paradoxalement jamais été en aussi bonne position pour construire et proposer autre chose.

J’ai hâte de vous écrire très prochainement pourquoi.

— Damien

Cet article est le premier d’une trilogie consacrée à la crise globale actuelle.

  • Celui-ci précise le problème auquel nous faisons face.
  • Le deuxième traite de l’occasion unique qui s’ouvre en ce moment.
  • Le dernier introduit la partie solution.

Cette trilogie terminée, le blog approfondira principalement tous les aspects de la “solution” (c’est en effet son thème 😉).

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