Pour une fiscalité écologique et juste: réclamons l’impôt sur la fortune motorisée

Damien Detcherry
Atterrissage
Published in
5 min readNov 26, 2018

Une version initiale de cette tribune a été publiée sur le site du “Media Presse”.

Jacline Mouraud, l’un des visages du mouvement auto-organisé des Gilets Jaunes, déclarait il y a 2 semaines dans l’émission “C à vous”:

“Moi, je vais vous dire. La seule chose qui pourrait apaiser la colère immense qu’il y a dans ce pays, c’est qu’ils rétablissent l’ISF.”

À première vue, le lien avec les carburants peut paraître lointain.

Pourtant, en y regardant de plus près, on peut considérer que cette proposition est une sorte de fiscalité écologique alternative, certes un peu tirée par les cheveux, mais équitable d’un point de vue social. En effet, selon l’économiste Jean Gadrey, les très riches émettraient en France 40 fois plus de carbone que les pauvres. Il serait donc pertinent de faire porter le fardeau de la transition sur eux plutôt que sur les plus modestes.

Pour les écologistes, les économistes et le gouvernement, cette solution serait en revanche peu efficace dans la mesure où elle ferait l’impasse sur le caractère incitatif de la fiscalité, le prélèvement (l’ISF) étant déconnecté du comportement qu’on souhaite influencer (une consommation excessive de pétrole). Par ailleurs, elle ne serait que modérément équitable dans la mesure où de nombreux citoyens aisés, non assujettis à l’ISF, polluent largement autant que ceux qui le sont (il suffit pour cela de voir le nombre de 4x4 ou de SUV circulant en ville).

Heureusement, il existe une solution qui permettrait de concilier équité et efficacité, d’inciter les Français à changer leur comportement sans fragiliser les plus modestes: un Impôt sur la Fortune Motorisée (IFM).

Inciter: oui mais les bonnes personnes

“Nous, on peut leur donner des leçons d’économie. Parce qu’on peut leur dire comment on vit avec 500 euros par mois.”

Cette autre remarque de Jacline Mouraud devrait interpeller les partisans de la taxe carbone comme Nicolas Hulot.

Est-il en effet raisonnable de pressuriser des gens qui, étant donné leur niveau de revenus, sont déjà les plus parcimonieux, les plus économes, les plus sobres possible dans leur consommation de carburant ? Ces ménages n’ont-ils pas déjà (et depuis longtemps) mobilisé toutes les stratégies à leur disposition pour baisser leur facture au maximum (achat d’un véhicule moins puissant, covoiturage, marches à pied pour certains trajets …etc) ? S’ils en sont à ce niveau de consommation aujourd’hui, n’est-ce pas justement parce qu’ils ont épuisé toutes les options qui leur étaient accessibles financièrement ? Dans cette mesure, est-il réaliste de penser qu’en augmentant le prix du carburant et en distribuant quelques primes, ces derniers pourront s’offrir les dernières technologies hybride ou électrique ?

Si doute il pouvait y avoir quant aux réponses à ces questions, la forte mobilisation des gilets jaunes l’a totalement dissipé.

Une partie de la France est à l’os. Une France que le géographe Christophe Guilluy qualifie de “périphérique”. Or, cette France, moribonde socialement par rapport à des métropoles mieux intégrées à la mondialisation, est celle qui a le plus besoin de sa voiture pour vivre, se rendre sur son lieu de travail, faire ses courses …etc. Il ne paraît donc pas raisonnable d’aggraver ses difficultés parce que d’autres ménages, plus aisés, se dotent de véhicules surconsommant ou ne font pas actuellement l’effort de prendre les transports en commun.

D’ailleurs, n’est-il pas étrange, pour viser ces derniers, de concevoir un dispositif qui s’applique à tout le monde et de rattraper ensuite ceux qui ne peuvent s’adapter avec des mécanismes particuliers (primes à la conversion, chèque carburant, …etc) ? Ne serait-il pas plus pertinent (et beaucoup plus simple) de dimensionner une fiscalité incitative en fonction justement de ceux qui peuvent s’adapter ?

Celle-ci serait en effet davantage pilotable et permettrait d’éviter les crispations actuelles. Or, c’est toute l’idée d’un Impôt sur la Fortune Motorisée (IFM).

L‘ISF est mort. Vive l’IFM !

L’IFM part de 2 constats très simples:

  • Un gros SUV pollue beaucoup plus qu’une petite citadine.
  • Une citadine (même petite) participe beaucoup plus à la pollution à Paris qu’à Bergerac.

Or:

  • Le propriétaire d’un gros SUV a généralement les moyens de se payer une petite citadine.
  • Le propriétaire d’une citadine (même petite) a beaucoup plus d’alternatives de transport à Paris qu’à Bergerac (marche à pied, vélo, transports en commun, …etc).

Demander aux propriétaires de véhicules particuliers de s’acquitter d’un impôt dépendant de la puissance de leur véhicule (ou de caractéristiques équivalentes: poids, dimensions, …etc) et de la capacité à se passer de voiture dans leur commune (mesurée par exemple par la part des trajets effectués en voiture sur l’ensemble des trajets de ses habitants, une donnée que peuvent parfaitement fournir les administrations en charge de la mobilité) serait donc à la fois pertinent d’un point de vue écologique et juste d’un point de vue social. En effet, dans ces 2 cas, la contribution du propriétaire à la pollution est corrélée à sa capacité de basculer sur des solutions plus écologiques.

Concrètement, on pourrait donc imaginer que:

  • Le propriétaire d’une petite citadine à Bergerac ne paie pas d’IFM.
  • Le propriétaire d’un gros SUV à Paris (mais aussi à Bergerac) doive s’acquitter d’un IFM de plusieurs centaines d’euros par an.

Certains remarqueront qu’il existe déjà un malus écologique à l’achat (pour des véhicules émettant plus de 120g de CO2/km) et même un malus annuel (pour ceux émettant plus de 190g). Problème: les montants en question sont très peu dissuasifs (sauf peut-être pour un véhicule extrême type Hummer). Par ailleurs, ils ne concernent qu’une minorité de véhicules.

L’IFM serait donc une version annuelle du malus écologique actuel en plus musclé et plus fin. Il épargnerait les plus modestes qui ont absolument besoin de leur véhicule pour vivre mais inciterait tous les autres à hauteur de l’effort qu’ils peuvent facilement fournir (soit parce qu’ils disposent d’un véhicule puissant, soit parce qu’ils vivent à côté de nombreux transports en commun, soit les deux).

Le parc automobile étant constitué de 32 millions de véhicules, quelques rapides calculs de coin de table permettent d’affirmer que le montant collecté par un tel impôt serait d’ailleurs équivalent aux 3 milliards d’euros programmés actuellement au titre de la taxe carbone pour le budget 2019. Il pourrait donc parfaitement le remplacer.

Écologique, juste, efficace, rémunérateur, l’Impôt sur la Fortune Motorisée pourrait donc aider les gilets jaunes à faire bouger le gouvernement.

Mais pour cela, il faudra que Jacline Mouraud accepte de renoncer à son imposant 4x4

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