Les absences d’un père

Mon père est âgé maintenant.

Kyle Yue
au bout du monde
5 min readDec 10, 2023

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Peut-être que ce sont ses cheveux blancs ou les rides sur son visage, en tous cas il ressemble un vieil homme. Bien sûr, j’ai moi aussi vieilli. Nous n’avons pas une très bonne relation, et nous ne nous parlons plus depuis bien longtemps. Je ne sais même plus pourquoi, je ne me rappelle plus de ce qui s’est passé. Je suis très distant avec lui, je ne le regarde pas, je n’alimente pas la conversation. Je pensais pouvoir continuer comme cela avec lui, jusqu’à mon dernier voyage à Hong Kong.

Photo prise en 2015

Sans aucun doute, j’ai haï mon père par le passé. Il ne me parlait pas, il a été un père horrible. Dans les sociétés asiatiques, le père a beaucoup de responsabilités. Il a l’obligation morale de gagner suffisamment sa vie pour pouvoir entretenir sa famille, sinon tout le monde le considère comme un raté. Et à mon avis, c’est ce qu’il était, un raté. Il n’arrivait pas à subvenir aux besoins de ses enfants et il ne travaillait pas dur pour nourrir sa famille correctement. Il semblait vivre dans un monde parallèle et ne faisait rien de sa vie. Il passait son temps à boire des bières et à nous embarrasser. J’avais honte d’être son fils. Bien sûr je gardais mes opinions pour moi et je me taisais.

La dernière fois que je suis allé à Hong Kong, j’ai rendu visité à ma mamie, la mère de mon père. Nous avons bavardé un peu, puis elle m’a raccompagné à l’arrêt de bus. Le bus est arrivé, je suis monté et aussitôt, mes larmes se sont mises à couler. Mes sentiments envers elle sont très complexes. C’était la première fois qu’elle m’accompagnait à l’arrêt de bus. En fait je ne l’avais jamais vue seul à seul, c’était la première fois. Je la voyais toujours avec mes parents. Je comprends maintenant avec l’âge pourquoi je suis resté très indiffèrent envers elle. Je pense que c’est ma mère qui a toujours bloqué notre relation.

Tai Po, Hong Kong

En fait, dans ma jeuneuse, lorsque mes parents se disputaient au moment des fêtes comme Noël, le Nouvel An ou les fêtes du calendrier lunaire, ma mère ne nous emmenait pas chez ma mamie, alors que se retrouver en famille est une tradition très importante à Hong Kong. Normalement, la plupart des hongkongais voient leurs grands-parents à ces occasions mais pour nous, ce n’était pas le cas, car nos parents se disputaient systématiquement à ces moments-là. Mes sentiments envers ma mère sont ambivalents : d’un côté, je la comprends, si elle détestait mon père, de tout faire pour ne pas rendre visite à sa belle-mère, je ne peux pas lui en vouloir; d’un autre, je trouve que c’est un peu ridicule, maintenant que le temps à passé de garder cette distance avec ma grand-mère. Quand nous étions jeune, mes proches, demandaient régulièrement de mes nouvelles à mes parents. Peut-être parce qu’ils se sont rendus compte que mes parents ne s’entendaient pas, ou bien peut-être parce que j’avais quitté Hong Kong depuis plusieurs années, ils ont commencé à me parler directement au travers des réseaux sociaux, au lieu de leur demander de mes nouvelles. J’ai pu ainsi au fil des années, ressentir l’affection qu’ils me portaient.

Je me rends compte aussi que c’est difficile de trouver des occasions pour nous faire pardonner de notre grand-mère, ma sœur et moi, maintenant que nous ne vivons plus à Hong Kong. Il me semble que c’est maintenant trop tard pour réparer une relation abîmée par l’absence de visites et je peux rien y faire. Je ne sais pas si toutes les familles Hongkongaises sont aussi compliquées, mais en tout cas, pour moi, cette situation est un fardeau. Cela pourrait peut-être expliquer pourquoi je suis tellement introverti et souvent pessimiste. J’ai dû être un peu traumatisé et il me faut faire aujourd’hui beaucoup d’efforts pour guérir et m’ouvrir au monde.

le parc de Hong Kong

Je suis aujourd’hui adulte et vis en Europe et je voudrais essayer d’être objective concernant mon père. Je ne peux m’empêcher d’éprouver une certaine pitié pour lui. Il ne s’entend pas avec sa famille biologique, notamment avec sa sœur. D’ailleurs, ma mamie m’a dit : « ne fais pas attention à ce que raconte ton père, il est alcoolique, il dit n’importe quoi !» Ma sœur a aussi beaucoup de rancune envers lui, à cause des punitions corporelles qu’elle était a subies quand elle était enfant. Quant à ma mère, elle ne lui répond même plus quand il lui pose des questions. En fait, personne n’est en bonne relation avec lui, mais il persiste à penser que ce n’est pas de sa faute. Il est incapable d’introspection et ne sait pas pourquoi tout le monde le déteste. Je le trouve pathétique mais je ne peux rien faire pour l’aider.

Néanmoins, mon vécu en Europe a contribué à changer mon caractère. Je suis devenu plus empathique et tolérant et je suis capable de lâcher prise. Ainsi, si mon père m’adressait la parole par le passé, il m’arrivait de l’ignorer. Lors de mon dernier séjour à Hong Kong, je lui ai répondu, comme je pourrais le faire avec un étranger avec lequel je ne m’entends pas, en faisait, comme si de rien n’était. Ce n’est peut-être qu’un début, mais au moins j’ai franchi une première étape. Cela faisait quatre ans que nous nous étions vus et j’ai constaté que après la période du confinement, après la naissance de ma nièce, mon père a évolué un petit peu. Il a commence à me parler. En parlant ainsi avec lui, j’ai l’impression de combattre mes faiblesses et d’affronter les moments difficiles du passé. Je me sens enfin libéré.

Honnêtement, tout le monde garde des blessures dans le cœur, des blessures d’enfance, le plus souvent. Elles ne sont pas faciles à soigner, mais je pense que l’on se sent plus léger quand on essaye d’y faire face. En fait, c’est vraiment à la fin de votre vingtaine, quand avec le retour de Saturne vient le moment d’une introspection sur toute votre vie passé, qu’il vous faut vraiment vous débarrasser de vos vieilles histoires inachevées.

photo prise en 2015

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