Ma mère et moi : une enfance hongkongaise

Quand je travaille comme serveur aujourd’hui à Paris, j’ai l’occasion d’observer beaucoup de familles qui dînent ensemble avec des enfants déjà adultes.

Kyle Yue
au bout du monde
5 min readNov 27, 2023

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Il serait bien rare de sortir comme ça avec ses parents si vous aviez 30 ans à Hong Kong. Je crois que la dynamique de la plupart des familles françaises est harmonieuse. Alors que pour moi, la relation avec mes parents a plutôt été un fardeau : j’aurais envers eux une sorte de dette que j’aurais hâte de leur rembourser.

En octobre, je suis rentré à Hong Kong pour 12 jours de manière imprévue. Je suis resté assez distant avec mes parents la plupart du temps, parce que de toute façon nous n’avons pas grand-chose à nous dire et nous ne pouvons pas discuter de tous les sujets. Cela faisait 4 ans que je n’étais pas rentré car je n’avais pas de raison particulière de le faire plus tôt. J’ai décidé de rentrer à cause d’une situation de violence domestique entre mes parents.

Ma mère a voyagé à Séoul pendant 5 jours lorsque j’étais à Hong Kong, donc je dormais dans sa chambre. J’ai observé sa vitrine dans laquelle il y a quelques objets, comme des cristaux, des souvenirs de baptême, etc. Je me suis demandé, ce que finalement je connaissais d’elle, quelle pouvait être sa vie quotidienne ? Il y a là comme un vide en moi : une religion, un objet superstitieux pour la soutenir, lui apporter la paix qui lui manque. Elle a besoin de croire en quelque chose.

À ce moment-là, j’ai versé une larme : je crois que j’ai compris sa solitude. Comme mère traditionnelle asiatique, elle aurait voulu vivre au côté de ses descendants. Mais elle a dû se résigner à l’éloignement.

chez moi (2012)

Déjà, il y a bien longtemps, au moment où je suis entré l’université, j’ai voulu saisir ma seule vie sans regarder en arrière. J’ai vécu le dortoir à l’université, j’ai participé à des activités choisies et que j’aimais. Je me suis échappé du contrôle de mes parents. Je leur rendais rarement visite et je ne leur disais rien de ma vie.

Nous ne nous entendions pas très bien quand j‘étais jeune, et il y a plusieurs raison à cela. Les parents asiatiques considèrent souvent leurs enfants comme leurs possessions et pas comme des humains libres et indépendants. Les enfants sont pour eux comme une pâte d’argile qu’il faudrait modeler, sculpter, façonner, même si vous êtes réticent. Ensuite, l’éducation concentre sur la réussite aux examens et manque de distractions. J’avais l’impression d’être une sorte de robot, mes parents négligeant mon équilibre mental et affectif.

Être humble, poli, résistant, sage : tels sont les traits de caractère qui pouvaient faire plaisir aux adultes.

2012

Ma jeuneuse a été plutôt dure, j’ai subi de nombreuses punitions corporelles. Mes parents ne savaient pas comment exprimer leur affection, ils attendaient de moi que je sois un homme fort. Ils ne m’embrassaient pas, ne faisaient jamais de câlins, alors que comme tous les enfants j’avais besoin d’amour. C’est pour ces raisons qu’aujourd’hui je garde la distance avec eux.

Je pouvais constater que mes parents gâtaient ma sœur et qu’ils la traitaient avec beaucoup d’indulgence, alors qu’ils étaient rigides avec moi. Ma mère lui apprenait des choses avec une patience qu’elle n’a jamais eu pour moi. De plus, il ne m’encourageaient jamais dans mes envies et ne me consolaient pas lorsqu’il m’arrivait d’être triste. Ils me considéraient comme un rebelle parce que je ne me soumettais pas à leurs règles. Bien que dans la conception chinoise traditionnelle, la préférence des parents aille vers le garçon, ce n’était pas du tout le cas en ce qui me concerne. Cette situation était très perturbante pour moi. Mes années d’enfance ont décidément été bien sombres !

Cependant, je peux dire que je suis passé aujourd’hui à autre chose, tout cela appartient au passé. J’ai beaucoup changé et progressé après mon déménagement en Angleterre, puis en France.

Je me rappelle qu’une fois, ma sœur a dit, « Mon frère, garde rancune, et s’est enfui de chez lui.’’ Est-ce vraiment comme cela qu’elle voit la chose, est-ce la réalité pour elle ?

2013

J’avais hâte de construire concrètement ma vie et pour cela, je voulais me débarrasser du passé, des vieilles histoires. Je voulais me prouver que j’étais capable de gagner ma vie et de subvenir à mes besoins. Je me suis envolé tel un oiseau, très loin, si haut, dans un lieu quel ma mère ne pouvait plus voir. Après avoir voyagé pendant des années et des années, lorsque je regarde en arrière, je n’ai plus de haine, je suis soulagé. Il me paraît même plutôt facile de vivre sans regrets. En outre, je réalise que cela a dû être difficile de devenir parents : ils ne savaient pas comment exprimer leur amour à leurs enfants. Je ne leur en veux plus.

Peut-être que c’est parce qu’il y a longtemps que j’ai quitté, Hong Kong, parce que mes horizons se sont élargis ou peut-être que le temps est venu me guérir — ou bien est-ce dû à mon caractère particulier ? — en tout cas je me sens soulagé. Je me rends compte que si j’étais resté accroché à mon fardeau, je n’aurais pas pu poursuivre mon voyage. Je sens aujourd’hui que tout va pour le mieux et je suis heureux de pouvoir rendre visite à mes parents, chez eux, dans la ville où je suis né et où j’ai vécu.

Tai Po

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