Situationship

Kyle Yue
au bout du monde
Published in
5 min readJan 5, 2024

J’ai été choqué lorsque j’ai appris qu’il était marié. À mon avis, il n’était pas très heureux avec son mari, ils ne faisaient plus l’amour. Leur amour avait dû se transformer depuis longtemps en complicité quotidienne, ce n’était plus l’amour passion. Je trouvais ça dommage qu’il se soit marié avec son compagnon seulement parce qu’ils avaient vécu longtemps ensemble et non pas parce qu’ils vivaient toujours dans la vraie passion, dans l’amour qui te tuera si l’autre venait à disparaître. Mais je ne me sentais pas le droit de juger. Je crois que le sens du mariage est tellement compliqué, et ne s’explique pas seulement par l’amour, mais par des valeurs ressenties comme plus importantes. Par exemple, une amitié rassurante, ou le besoin d’un « père » qui prenne soin de vous. Quand on parle de mariage, l’amour est finalement parfois secondaire.

Au début, notre relation était vague, nous n’étions pas amis, ni copains, peut-être juste une relation dont les termes sont indéfinis, une « situationship », un flou relationnel. Nous ne nous engagions pas, nous privilégions le moment présent. Cela ressemblait à une relation ouverte, nous n’étions pas un vrai couple. Je trouve que c’est plus pratique dans la société moderne, si nous voulons profiter du plaisir d’être amants sans nous engager. De son côté, il avait un ami, mais il s’ennuyait et voulait du piment dans sa vie.

Au printemps 2021, quand le confinement lié à la pandémie de covid-19 a été levé progressivement, nous avons commercé à voyager. Ses parents avaient une maison dans la banlieue de Bordeaux où lui et moi, son frère et sa belle-sœur, sommes allés passer une semaine. À l’époque, je ne parlais pas français et je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, mais je trouvais que nous passions un bon moment. Nous jouions au basket, faisions du vélo dans la campagne et faisions nous-mêmes nos pizzas. Nous sommes ensuite allés à Arcachon et avons passé du temps au bord de la mer. Il faisait beau. Un jour nous sommes allés à la dune du Pilat, tellement haute et l’escalier était si raide. Nous sommes arrivés au sommet de la dune après pas mal d’efforts, cela nous est apparu comme une aventure exceptionnelle. La vue était incroyable : d’un côté, en contrebas, la file des visiteurs gravissant péniblement la pente, et nous, déjà arrivés, un peu comme si nous étions au point culminant de notre relation ; de l’autre, je ne pouvais voir le bout du monde au-delà de l’horizon, à l’image de l’incertitude qui flottait sur notre relation. Personne n’aurait pu dire ce que deviendrait notre aventure.

La dune

Une fois, nous sommes allés ensemble à l’Atelier des Lumières. Ce n’était pas la première fois que j’y allais, cette exposition immersive proposant un nouveau thème à chaque saison. Après avoir vu la série Emily in Paris, cela m’a semblé une bonne idée pour une sortie romantique à faire avec un amant. Dans un épisode de la série, Emily visite l’exposition avec son amie Camille et son copain, Gabriel. Bien qu’ils soient en couple, Emily commence à s’intéresser à Gabriel. Réciproquement, Gabriel n’était pas insensible au charme d’Emily et un triangle amoureux un peu délicat a commencé à se profiler. L’exposition immersive n’a pas réussi à me distraire et mon regard se détournait à chaque fois que mon regard croisait l’ombre de mon visage. Au fil du temps, j’ai découvert que mon ami avait du mal à s’accepter. D’abord, il n’a jamais eu le courage de dire la vérité à ses parents sur son orientation sexuelle. De plus il n’était plus vraiment amoureux de son compagnon, mais il ne faisait rien pour changer cette situation. À ce moment-là, nous nous connaissions depuis déjà un an mais cela ne voulait rien dire pour moi.

au-delà de l’horizon

Une semaine plus tard, nous sommes sortis comme nous le faisions régulièrement, mais nous n’avions pas vraiment d’idée de ce que nous voulions faire. Il m’a proposé d’aller au cimetière du Père-Lachaise, mais il pleuvait et il faisait froid. J’étais de mauvaise humeur à cause de la météo. Je me souviens de plusieurs situations ce jour-là. Notamment de cette épitaphe sur la tombe de l’écrivain Allan Kardec : « Après ma mort, si vous passez me voir, posez la main sur la nuque de la statue qui surplombera ma tombe, puis faites un vœu. Si vous êtes exaucé, revenez avec des fleurs. » Tout le monde croit que l’on peut réaliser ses vœux en touchant sa nuque. J’ai bien essayé une fois mais mes souhaits ne ce sont pas réalisé. C’est pourquoi je ne souhaitais plus revenir ici. Au moment où j’ai décidé de rompre avec lui, je lui ai dit comme ça de manière très brutale que je m’ennuyais avec lui. Honnêtement, je me sentais fatigué. Je me le représentais comme le petit frère qu’il était dans sa famille, qui a oublié de grandir pour devenir un homme mûr. Arrivés devant, la station de métro, nous nous sommes séparés. J’ai descendu les marches et je l’ai aperçu d’en bas en train de me regarder depuis la rue. C’était la fin, un adieu, je ne voulais plus le revoir.

Pendant les trois mois qui ont suivi, il a disparu complètement. Il ne répondait plus à mes messages. Je pense que je l’ai blessé. Puis, un jour, il a bien voulu que l’on se voit dans un bar dans le quartier République. Il était déjà un peu tard, il avait beaucoup fumé et paraissait triste, peut-être à cause de son copain ou de son travail. Je ne savais pas comment le consoler. Nous avons passé une nuit ensemble, juste à nous câliner. Au petit matin, avant même le lever du soleil, je suis parti tout doucement. C’était un peu, comme si l’obscurité semblait toujours flotter entre nous.

Arcachon

Un an plus tard, alors que je travaillais dans un restaurant, deux garçons sont entrés, l’un asiatique, l’autre caucasien. Ils avaient réservé une table pour cinq personnes. Ils se sont assis, j’ai poursuivi mon travail. Au début, très concentré, je n’ai pas distingué leurs visages. Plus tard, moins occupé, le visage du garçon caucasien me paru familier. Oh, mais oui, c’était bien lui ! Il avait un peu grossi, il portait une barbe, ce qui lui donnait l’air plus mûr. C’était un petit peu comme s’il avait « grandi ». Il était là, avec son mari et des amis. J’étais très surpris que l’on se voit comme ça après toutes les péripéties de notre relation. Comme l’exprime la vieille locution chinoise « Yuen Fan », c’était le destin qui faisait que le fil rouge entre nous n’était toujours pas rompu. Mais pouvions-nous raviver la flamme ? J’en doutais …

J’avais peur de donner une seconde chance à notre relation. Si je lui en donnais l’opportunité, n’allait-il pas de nouveau tout foutre en l’air ?

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