Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B

Romain
Au Bon Roman
Published in
3 min readSep 23, 2017

En ouvrant ce livre on sait tout de suite que c’est du Tardi, mais on pense aussi évidemment à un des chefs-d’oeuvre du neuvième art, le Maus 1 de Art Spiegelman. Les deux oeuvres traitent du même sujet, la Seconde Guerre mondiale, mais c’est surtout le fait que ces deux grands de la BD racontent l’histoire de leur père respectif qui pousse à ce rapprochement. Ils utilisent des procédés narratifs similaires en s’incluant dans le récit pour apporter un contrepoint au témoignage du vécu. L’enfant — le jeune Tardi ou le jeune Spiegelman — auquel son père raconte l’histoire a des réactions qui paraissent parfois déplacées. Ce sont pourtant celles de l’opposition classique entre un père et un fils, mais aussi celles des personnes n’ayant pas vécu ces évènements tragiques. Tout l’intérêt est que ces réactions sont présentées au lecteur. En plus d’apporter un éclairage différent et d’enrichir la narration par ces échanges, les réactions de celui qui écoute l’histoire permettent de désamorcer celles du lecteur et le fait réfléchir.

Les deux livres s’intéressent tout deux au sort de prisonniers, mais ils sont différents. Le premier s’intéresse aux juifs enfermés dans les camps de la mort. Stalag est l’abréviation de Stammlager qui désigne, dans l’Allemagne de 1939–1945, un camp de prisonniers de guerre. Le Stalag II B, situé près de la ville de Hammerstein, est le principal théâtre de ce récit. Il raconte ce qu’était la vie pour ces jeunes hommes dans un camp de prisonnier, c’est tragique, mais souvent tinté d’humour.

La vie s’organisait dans le but d’emmerder à tout instant et au maximum, le “Grand Reich”, selon nos moyens.

Il est toujours frappant de constater que la vie reprend ses droits et s’organise petit à petit y compris dans des milieux très contraints comme celui du Stalag. Ce qui marque également sont les propos du père de l’auteur est la rage qu’il éprouve contre l’armée française, son récit met en lumière sa désorganisation. A l’entendre on a l’impression que la guerre était perdue d’avance. Il a été frustré d’être enfermé à 25 ans avec l’impression d’un grand gâchis. Il en garda une profonde amertume.

À la libération, la révélation de la barbarie nazie à l’ouverture des camps de la mort, puis l’arrivée à l’Hôtel Lutetia, ainsi que la célébration de l’héroïsme des résistants français sous l’occupation, éclipsèrent totalement le retour des prisonniers de guerre. Il n’y eut pas d’espace pour la parole de ces derniers et leurs souffrances n’eurent pas droit de cité.

Avec cette oeuvre, Tardi a érigé un monument de la bande dessinée et de la littérature en l’honneur de ces oubliés. Il peut trôner avec fierté à côté d’un Maus. Allez, pour terminer je spoile un peu, il y a une suite sous-titrée Mon retour en France.

Jacques Tardi, Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B, Casterman, 2012, 160 p, Amazon.

  1. Art Spiegelman, L’Intégrale, Maus : un survivant raconte, Flammarion, 1998, 296 p, Amazon. ↩︎

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