Médecine chamanique

et s’ils avaient tout compris…

Hugo C.
Auto Thérapeute
12 min readJan 11, 2018

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La médecine chamanique

Clause de non responsabilité: ce billet est un extrait de Santé corps esprit la revue n° 17 — novembre 2017. Tous droits réservés à l’auteur/éditeur. Article rédigé par le psychiatre Patrick Lemoine.

Avant que l’arrivée de la “médecine moderne” ne balaie tout ça, les plus grandes civilisations ont toutes utilisé les états modifiés de conscience pour se soigner. On redécouvre peu à peu ces thérapies redoutablement étonnantes… mais ô combien efficaces !

On les a réduites à des traditions lointaines pratiquées par d’obscures chamanes au cœur des plaines mongoles. Pourtant, de l’Australie à la Sibérie en passant par l’Amérique centrale, l’Afrique noire et du Nord, l’Amazonie et l’Amérique du Nord, sans oublier biensûr la Corse et le Tibet, les origines chamaniques de la médecine sont bien universelles.

Depuis le Siècle des Lumières, et même encore plus tôt, dès le XVIIe avec Descartes, l’Occident en général et en particulier la France sont complètement dominés par le règne du dieu Science dans ce qu’il a de plus rationaliste, oubliant totalement les racines les plus profondes de la médecine. L’immense Louis Pasteur n’a évidemment rien fait pour arranger les choses !

Oui, la médecine occidentale, depuis plus de deux siècles, néglige complètement ou presque tout un univers caché, occulte, inconscient : celui des esprits si l’on est tradithérapeute, celui de l’inconscient si l’on est freudien, celui de l’hémisphère droit si l’on est neuroscientifique.

Une guerre des traditions gagnée par l’Occident

À l’issue de la confrontation qui a opposé les différentes conceptions de l’homme, scientifique ou magique, ce sont à l’évidence les pays dits « développés » qui ont gagné la guerre et qui ont progressivement conquis le reste de notre univers avec leur conception d’une médecine fondée sur la preuve. Il faut comprendre que la médecine occidentale est une tradithérapie qui l’a emporté. Si c’était la Nouvelle-Guinée-Papouasie qui avait gagné, il y a fort à gager que notre conception du soin en eût été quelque peu différente et que la transe, en tant que matrice originelle des états modifiés de conscience, ne serait pas oubliée chez nous comme elle l’est aujourd’hui, ce qui est dommage car c’est sans doute un outil de soin et de développement personnel extrêmement puissant. Mais on ne peut pas réécrire l’histoire, n’est-ce pas ?

Une médecine qui traite… Mais soigne mal

Que le lecteur n’aille pas croire que je renie mes études ! Je crois profondément que notre médecine est de loin la plus efficace… lorsque le mal est défini et localisé. En revanche, elle est plus que médiocre dès lors qu’on entre dans le domaine de la maladie fonctionnelle, quand la souffrance est mal définie et que rien ne permet de localiser le lieu de départ des troubles. À l’inverse, la majorité des tradithérapies sont quasiment impuissantes quand la tumeur est palpable, l’infarctus précis, l’ulcère circonscrit, alors qu’elles font très souvent merveille face à la souffrance diffuse, non organique.

Je reprendrai donc à mon compte l’adage : la médecine occidentale traite bien mais soigne(1) mal alors que la médecine traditionnelle soigne bien mais traite mal. Si mon petit-fils a une angine blanche, je lui prescrirai un antibiotique qui préviendra les possibles complications cardiaques ou rénales. En revanche, si je dors mal ou si j’ai mal à la tête sans raison neurologique, je m’abstiendrai de prendre un médicament et je me tournerai vers une médecine faussement appelée alternative, douce ou naturelle.

Et parmi celles-ci, je citerai aujourd’hui l’utilisation thérapeutique de la transe. Si l’on en croit la tradition chamanique, tout état modifié de conscience est une tentative de chercher une information, une explication, de comprendre un phénomène, qu’il soit ou non un ennui, et aussi un moyen d’acquérir de la force souvent tirée de celle d’un animal totémique, mais pas forcément.

Je prends souvent cet exemple : lorsqu’un éleveur mongol a un problème de santé, il va voir son chamane qui entrera en transe et ira demander aux esprits en quoi cet éleveur a offensé ses proches ou son troupeau, et il reviendra avec des conseils propres à le faire pardonner. Et guérir !

Si notre patient n’est pas Sibérien mais Amazonien, le chamane l’emmènera avec lui au pays des esprits et au cours de ce voyage initiatique ils découvriront la solution.

S’il est Haïtien ou Sénégalais, ce sera tout le groupe qui « transera » pour accompagner le malade sur la voie de la guérison. Ne serait-il pas temps d’intégrer la transe cognitive(2) parmi les techniques de soin validées par la Faculté ?

Les expériences vécues de nos ancêtres

Mais quelle est l’origine de cette quête des états modifiés de conscience ? Selon moi, cette histoire remonte à l’un de nos ancêtres mythiques, genre Mithra, qui a probablement reçu un grand coup de massue sur la tête et qui est mort. Enfin, presque mort ! Il est mort mais il est revenu à la vie et là, il a raconté à ses compagnons ébahis ce qu’il avait vu et entendu : « Je suis mort, je suis sorti de mon corps, une lévitation à quelques mètres au-dessus de mon cadavre, un long tunnel avec au bout une magnifique lumière, des sons incroyables et un extraordinaire sentiment de paix. Un lieu étrange où l’on n’a pas à se battre pour survivre et où tout le monde s’aime». Et si cet homo sapiens, alias Cro-Magnon, était un chef et avait du charisme, il aura expliqué que lui sait ce qu’il y a après la mort ; il aura inventé un concept nouveau : le paradis et la vie éternelle. Peut-être même qu’au passage il aura forgé l’idée de divinité et même, qui sait, aura fondé la première religion de l’histoire de l’humanité. Je sais, cela peut paraître choquant mais je pense profondément que les expériences de mort imminente, loin d’être rares, sont très probablement à l’origine de la pensée métaphysique dans notre espèce et comme je suis très matérialiste, je ne peux m’empêcher de rapprocher ces magnifiques voyages dans l’au-delà de ceux que l’on s’offre en utilisant des substances non recommandables, comme par exemple l’héroïne.

Or on sait que, dans notre cerveau, des structures sont capables de produire des endomorphines ou enképhalines pour faire face à la douleur, à l’angoisse, la tristesse. Pour se faire plaisir aussi (sport, orgasme…). Dame Nature, dans sa grande mansuétude, aurait- elle prévu de nous aider à sauter le pas au moment de l’agonie en inondant notre esprit de ces endomorphines, compte tenu du fait que le moment de notre mort n’est pas à l’évidence le plus sympa de notre existence ?

Le chamanisme primitif des hommes préhistoriques

Si l’on en croit les paléontologues, la transe de possession pourrait avoir existé depuis le Paléolithique moyen (70 000 ans avant Jésus-Christ), voire plus tôt encore, au moment de ce qu’il est convenu d’appeler la révolution cognitive. C’est en effet à peu près à cette période que nous, les Eurasiens, nous sommes séparés des aborigènes australiens, ces deux branches de l’humanité qui pratiquent toutes deux le chamanisme et ayant vécu totalement isolées l’une de l’autre jusqu'à la redécouverte du continent australien, ce qui laisse supposer que cette pratique est au moins antérieure à cette bifurcation. Cette hypothèse semble confirmée par les travaux de Jean Clottes(3) à partir des grottes ornées comme Lascaux, Cosquer ou Chauvet. De plus, ce chercheur infatigable, patron incontesté de la recherche et préservation des grottes ornées, est allé contempler les peintures rupestres contemporaines exécutées par différents peuples comme les Aborigènes, les Bushmen sud-africains et surtout les Amérindiens. Il a été frappé par la ressemblance entre leurs œuvres et celles de Chauvet ou de Lascaux, et du coup, leur a demandé quel était le sens de leurs peintures. Pourquoi ils peignaient ou gravaient ce type de représentations. Et ils lui ont répondu ! De ce fait, il a pu en déduire que la notion de chamanisme était déjà très présente dans nombre de réalisations picturales préhistoriques. Il aurait donc bel et bien existé une société paléolithique pratiquant de manière rituelle des cérémonies: crachis d’oxyde de manganèse mélangé à du charbon de bois et pouvant avoir un certain nombre de vertus psychodysleptiques favorisant l’état de transe ; mains exécutées au pochoir et se fondant dans le rocher de manière à voyager à l’intérieur de la Terre-mère, dans l’autre monde, celui des esprits, afin de capter leur force comme l’attestent les signes dits entoptiques(4) caractéristiques des débuts de transe. Enfin, lorsque la transe se poursuit, apparaissent des figures géométriques sous diverses formes (animaux, objets) qui en seraient la matérialisation. Le fait aussi que certains animaux de la grotte Chauvet semblent littéralement jaillir des saillies ou au contraire des fissures du rocher représente un indice supplémentaire de cette recherche métaphysique préhistorique des failles spatio-temporelles, de ces fractures imaginaires qui permettraient de se rendre de l’autre côté du miroir (même si cet instrument était encore inconnu à l’époque !).

Des phénomènes universels

À partir d’une étude qui a été menée auprès de 488 sociétés à travers la planète, il ressort que plus de 90 % d’entre elles utilisent des états modifiés de conscience de manière institutionnelle, et que parmi elles 57 % pratiquent la transe de possession(5) au cours de laquelle le ou les sujets sont littéralement possédés par une entité autre ; le plus souvent, mais pas toujours, un animal totémique. N’oublions pas que l’hypnothérapie ou traitement basé sur l’hypnose fonctionne grâce à l’induction systématique de transes ; de plus en plus d’interventions chirurgicales sont maintenant pratiquées sous hypnose et cette technique est en train de reconquérir les milieux chirurgicaux et les centres de la douleur, sans oublier la psychiatrie.

Rechercher les informations inaccessibles

L’EMDR est une forme de transe où l’on est complètement possédé par la reviviscence de son traumatisme. Bref, l’induction d’un état modifié de conscience est une technique de soin universellement pratiquée sur notre planète, que ce soit en tradithérapie ou en médecine occidentale plus orthodoxe. De même que le rêve, en particulier le rêve lucide, la transe solitaire ou collective (avec ou sans chaman, ou en regardant un match de foot…), la méditation, l’expérience de mort imminente(6), le transport amoureux, l’ivresse alcoolique, le bad ou good trip des utilisateurs de substances non recommandées, la danse en toupie des derviches tourneurs, les balancements interminables devant le mur des lamentations, les prosternations répétées des musulmans, les mantras répétés à l’infini des lamas, les extases mystiques des saints chez les chrétiens, les chaînes de prière, la dissociation pathologique des personnes en état de stress post-traumatique ou souffrant d’un trouble panique ; bref, chaque fois que l’on se sent « hors de soi », on se trouve dans un état modifié de conscience. Il faut dès lors comprendre que le voyage dans cette autre partie de soi est une façon de rechercher des informations habituellement inaccessibles.

Revivre ses traumatismes…

Si l’on est chamane, on pense que les informations en question se trouvent dans le monde des esprits ; si l’on est psychanalyste, c’est dans l’inconscient que l’on mène sa quête, et si l’on est agnostico-scientifique comme moi, on pense que l’information est… quelque part, plutôt du côté droit de notre cerveau (si l’on est droitier), près de l’amygdale, ailleurs en tout cas que dans notre conscience et notre rationalité. Ce que, faute de mieux, j’appelle le non-conscient. C’est de cette manière que l’on peut comprendre l’amnésie post-traumatique : le souvenir de l’agression sexuelle, voire de l’inceste subi pendant l’enfance est à l’intérieur du sujet, bien caché, enfoui au plus profond car complètement intolérable. Mais de temps en temps, un peu comme ces bulles qui crèvent la surface de l’étang en provenance des bas-fonds limoneux, des symptômes d’angoisse, de peur devrais-je dire, se manifestent : peur des hommes, de certaines situations et, un beau jour, sous l’influence d’un déclencheur anodin, le cadavre enlisé resurgit brutalement à la conscience, aussi frais, aussi présent que s’il avait été enfoui la veille ! C’est ce que les magistrats, policiers et autres enquêteurs ont du mal à comprendre, cette netteté quasi hallucinatoire du souvenir post-traumatique, parfois plus de quarante ans après les faits. C’est pourtant ce que nous, les cliniciens, observons de manière régulière.

… pour s’en débarrasser

J’ai le souvenir d’une de mes patientes, âgée de plus de soixante ans, qui était persuadée d’avoir été violée étant petite. Elle en voulait pour preuve sa nuit de noces où tout s’était « trop bien passé » : pas de sang, pas de douleur alors qu’elle n’avait jamais mis de tampon hygiénique. Elle n’était à l’évidence plus vierge. Elle était hantée par la peur que ce fût son père alcoolique. Une seule séance d’EMDR(7) a suffi pour qu’elle revoie — revive, devrais-je dire — la scène en 3D et même qu’elle fasse un zoom sur le visage de son agresseur, un familier de la maison, aujourd’hui décédé. Le soulagement qu’elle en éprouva fut immense : elle pouvait à nouveau respecter son père ! Qui dit EMDR dit transe puisque dérivé en partie de l’hypnose, le principe étant par définition de plonger le sujet dans une transe médicale, contrôlée.

La validation de thérapies millénaires

Malheureusement, dans les milieux médicaux officiels, universitaires, canoniques devrais-je dire, le mot transe reste entaché de magie, de vaudou, de folie collective alors qu’il s’agit maintenant d’une technique de soins, ancestrale certes, qui ne demande qu’à s’enseigner. On assiste à l’heure actuelle à la validation de très nombreuses méthodes dont les tenants auraient été poursuivis par l’Ordre des médecins il y a quelques dizaines d’années ; je pense en particulier à l’acupuncture, à la méditation et à la mindfulness (méditation en pleine conscience), mais aussi à l’EFT, le TIPI et à tant d’autres psychothérapies nouvelles qui autrefois auraient senti le soufre. Après tout, l’homéopathie a conquis ses lettres de noblesse universitaire ainsi que la phytothérapie qui est de plus en plus enseignée, en particulier dans les universités de pharmacie. L’hypnose médicale a réussi à s’implanter à la Faculté grâce à certains diplômes universitaires (DU), de même que l’ostéopathie héritière du savoir des anciens rebouteux, alors pourquoi pas la transe si nous parvenons à bien l’encadrer, la codifier ? Si l’on suit l’évolution des tech- niques traditionnelles, on constate que la plupart ont été « récupérées » par la médecine officielle et je trouve cela très bien. Après tout, les kinésithérapeutes ne sont-ils pas les héritiers des rebouteux, rebouteurs, renoueurs et autres rhabilleurs ? Et Jésus-Christ n’est-il pas le plus connu d’entre eux, lui qui a été suivi par tant de saints dont le Vatican exige toujours pour les canoniser qu’ils fassent des miracles dont la plupart concernent ce genre de maladies ?

Une dernière frontière : la reconnaissance du patient

Un des problèmes qui persistent tient à l’émergence des connaissances concernant des pathologies autrefois négligées, voire méprisées. Je pense en particulier à ce qui, autrefois, était désigné avec mépris sous le vocable de sinistrose rebaptisée depuis « état de stress post-traumatique ». Cette maladie a pour conséquences, entre autres, des crises dissociatives au cours desquelles le sujet se sent autre, hors de lui, transformé, tombe par terre, convulse, bref semble possédé. Du coup, pour l’immense majorité des médecins, ces personnes sont cataloguées psychotiques et se retrouvent neuroleptisées, ce qui ne fait qu’aggraver leur état. Le jour où l’enseignement de la médecine et du public replacera ces patients à leur vraie place de victime, bien des choses changeront et l’on pourra espérer que les nouvelles prises en charge trouvent enfin la place qui leur est due, et parmi elles, la transe.

  1. Au sens de prendre soin
  2. Selon le mot de la chamane occidentale Corine Sombrun

3. Les Chamanes de la Préhistoire : transe et magie dans les grottes ornées avec David Lewis-Williams, éditions du Seuil, 1996 ; rééditée, revue et augmentée de Après “Les Chamanes”, polémique et réponses, Seuil, 2007

4. Signes géométriques en apparence peu ou non organisés : points, traits, zigzags, grilles, etc

5. Oohashi T., Kawai N., Honda M., Nakamura S., Morimoto M., Nishina E & Maekawa, T. (2002). Electroencephalographic measurement of pos- session trance in the field. Clinical Neurophysiology, 113(3), 435–445

6. NDE : Near Death Experience

7. Voir Santé Corps Esprit N°4, octobre 2016

Pour aller plus loin

Voici aussi quelques personnes qui ont toutes apporté leur pierre à l’édifice pour faire renaître le chamanisme de ses cendres. Ils ont tous écrits ou participer à la rédaction de livres vraiment intéressants pour se sensibiliser à la pratique ancestrale des états modifiés de consciences en tant qu’outil de développement personnel.

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Hugo C.
Auto Thérapeute

Quelle triste époque où il est plus facile de briser un atome qu’un préjugé ou une croyance. ― A. Einstein