Le marché de Tarabuco : un attrape touristes ?

Jérémy Le Mardelé
Baithaka
Published in
5 min readSep 25, 2016

Chaque dimanche, à 60 km de Sucre, le petit village de Tarabuco voit ses rues habituellement tranquilles se remplir de monde. Car chaque dimanche s’y tient un grand marché où les différentes communautés indigènes de la région viennent vendre leurs produits, ou les troquer contre la production d’autres communautés. Le troc y est encore légion, ici on échange ses pommes de terre contre du riz, de la quinoa contre des légumes… Ce marché est devenu une attraction touristique, car il permet de découvrir ces différentes communautés qui ont chacune leur tenue représentative. Elles se différencient notamment par les motifs du tissu de leur poncho et par leurs chapeaux : du sombrero aux coupes haut-de-forme, en passant par le rond en cuir… Le marché est également célèbre pour son marché textile, on y trouve des ponchos et couvertures tissés par les différentes communautés, et les tissus sont plus authentiques que ceux que l’on trouve dans les grandes villes.

Sucre étant une ville morte le dimanche, tous ses commerces et musées étant fermés, le dimanche 31 juillet nous décidons d’aller voir ce fameux marché de Tarabuco. C’est donc avec une grande envie de prendre de beaux portraits qu’on part à Tarabuco. J’ai vraiment envie de faire de superbes photos de ces gens avec leurs chapeaux improbables.

La réalité est toute autre et la déception est grande. À peine sortis du bus, on nous avertit que pour les indigènes, lorsqu’on les prend en photo une partie de leur âme part dans la photo. Il faut donc toujours leur demander s’ils acceptent d’être pris en photo. Jusque là pas de souci, on est d’accord avec ce principe.

Direction le marché aux légumes, moins touristique que le marché textile. Les gens sont beaux, surtout les plus âgés, marqués par les rides et portant le costume traditionnel. Je demande à plusieurs femmes si je peux les prendre en photo. Certaines refusent… Ok je passe mon chemin. D’autres me disent “oui” en faisant un signe signifiant “donne-moi de l’argent”… Voilà la réalité de Tarabuco. Nous ne sommes pas vus comme des personnes, mais comme des machines à fric. À chaque demande pour prendre une photo on me répond “paga mi” (paie moi).

Non je ne paierai pas pour une photo…

Finalement, leur âme ne leur est pas si précieuse puisque contre quelques bolivianos ils l’abandonnent systématiquement !

Finalement, je ne ferai que des photos volées. Je suis déçue. Grosse impression d’être un dollar sur pattes.

On repart de Tarabuco avec un avis mitigé. C’était sympa, car sans ce marché nous n’aurions pas vu les différentes communautés et leur costume traditionnel. Mais par contre il ne faut avoir aucune prétention photographique avant d’y aller, à moins d’être prêt à payer.

Le soir même, on retrouve notre professeur d’espagnol (oui on s’est dit qu’on avait un peu besoin de cours pour pouvoir mieux échanger avec les Boliviens)… Et là tout s’explique ! Gabrielle, notre prof, connaît très bien Tarabuco, car sa grand-mère y vit. Elle y a donc passé beaucoup de temps pendant son enfance. Elle nous explique qu’avant les gens n’étaient pas comme ça. Ils étaient très ouverts envers les touristes et toujours partants pour une petite discussion. D’après elle la situation a changé depuis que le pays est gouverné par Evo Morales. D’après ce qu’elle nous dit, le gouvernement contrôle tout ce qui se dit aux touristes. Par exemple, le fait que les Boliviens pensent que leur âme part dans la photo est tout à fait faux. Evo aurait ramené cette idée d’un de ses voyages au Moyen-Orient et l’aurait “importée” en Bolivie afin de soutirer plus d’argent aux touristes. Car, toujours selon les dires de Gabriella, le gouvernement d’Evo aurait inculqué aux populations l’idée que pour se décolonialiser il faut prendre le maximum d’argent aux touristes… Le changement de mentalités vis-à-vis des touristes viendrait de là.

Ce sentiment d’être une source d’argent facile pour les Boliviens nous le ressentirons à d’autres moments de notre voyage. C’est dommage, car les Boliviens sont vraiment sympathiques, toujours ouverts à la discussion dans le bus, prêts à nous aider lorsqu’on cherchait une direction ou autre. Par contre dès qu’il s’agit d’activités touristiques les prix montent en flèche et le contact devient un peu plus faussé. Ces prix très excessifs nous auront empêchés de faire plusieurs excursions. Non pas parce que nous n’avions pas le budget — on aurait pu rogner sur la nourriture ou le logement pour compenser — , mais parce que nous avions vraiment l’impression d’être arnaqués. Une rando d’une journée par exemple (juste 1h de transport, ensuite c’étaient nos pieds qui travaillaient) coûtait plus cher que notre excursion de 2 jours au Machu Picchu où nous avions le logement, le transport (12h de bus), tous les repas et l’entrée du site (qui n’est déjà pas donnée). Là, on s’est dit qu’il y avait un problème avec les prix, et cette rando-là n’étant pas une nécessité absolue pour nous, on a décidé de ne pas la faire.

Petite note de Jérémy

En fin de compte, je trouve qu’Anaïs aura réussi à prendre de très beaux clichés. Voyez par vous-même, toutes les photos de cet article sont d’elle !

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