Potosi : les mines, les bloqueos et les Fantasic Five

Anaïs Dericquebourg
Baithaka
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8 min readOct 2, 2016

Les mines ou pas les mines ?

Potosi est une grande ville minière de Bolivie. Fin juillet, nous y avions fait une escale d’une nuit avant de rejoindre Sucre. Escale obligatoire puisque nous venions du parc national Sajama et qu’il n’était pas possible de faire le trajet jusque Sucre en une journée. Lorsque nous avions préparé notre voyage, nous avions vu qu’il était possible de visiter les mines d’argent de Potosi. Nous avions choisi de ne pas les visiter. C’était un choix très personnel, nous avions lu certains récits de voyage disant que la visite était très intéressante, et nous avions croisé des voyageurs qui nous l’avaient confirmé. Cependant, malgré ces avis, nous n’avions pas envie de faire cette visite. Les mines sont encore exploitées, des hommes y travaillent encore nuit et jour dans des conditions très dures. Et l’argent de la visite ne revenant pas aux mineurs, on avait le sentiment que payer pour aller voir ces hommes travailler c’était un peu profiter de leur misère. Ça nous semblait être un voyeurisme totalement déplacé. Autant relire Germinal. On y avait donc passé une bonne soirée, mais le lendemain matin nous prenions le bus pour Sucre avec l’idée de ne pas revenir à Potosi.

On a passé 12 jours à Sucre, et de là on devait partir directement à Tupiza pour faire le tour dans le Salar d’Uyuni. Ça, c’était le plan avant qu’on ne rencontre un couple de Français le matin de notre départ pour Tupiza… Nous discutons de nos voyages respectifs, de nos itinéraires… Ils nous conseillent vivement de nous arrêter à Potosi, puisque c’est sur le chemin de Tupiza. On leur explique que la visite des mines ne nous tente pas trop, misère, exploitation, tout ça tout ça… Eux, sont déjà allés à Potosi et ont fait la visite des mines. Ils nous racontent qu’en fait les mineurs sont contents de voir les touristes. On trouve ça quand même étonnant… Vous vous imaginez, vous, travailler dans des conditions extrêmes, et que des touristes viennent vous admirer bosser et vous poser des questions (tout en sachant que vous ne toucherez pas un centime de ce qu’ils auront déboursé pour assouvir leur curiosité) ? Franchement moi je ne serais pas ravie… Nos compagnons de petit-déj nous expliquent qu’ils avaient un peu le même sentiment que nous au départ. Mais ils ont trouvé une coopérative d’anciens mineurs qui fait visiter les mines, et qui reverse une partie des bénéfices aux mineurs, certes toujours pas la totalité, mais c’est déjà un peu mieux que rien. De plus, avant de rentrer dans les mines, la visite commence par un tour au marché des mineurs, où il est possible d’acheter des boissons, des feuilles de coca, de la dynamite, ou autre instrument de travail du mineur, afin de les leur offrir dans les galeries. Ces achats ne sont pas obligatoires, mais ne coûtent pas grand-chose au touriste (20bs). Et finalement, c’est ce qui fait que les mineurs sont contents de voir les touristes, tout ce qu’on leur donne c’est ça de moins qu’ils ont à acheter pour travailler. Après cette discussion on accepte un peu plus l’idée de visiter les mines, même si l’on est encore un peu septiques. On décide donc de faire une étape à Potosi et de voir sur place.

Dans les mines, faut pas être claustro…

À la gare routière, nous nous dirigeons donc vers la dame qui hurle « Potosi-Potosi-Potosiiiiii » (monter la voix dans les aigus pour le dernier iiiii). Quelques heures plus tard, nous sommes de retour dans l’auberge où nous avions passé une nuit la semaine précédente (Hostel Casa Blanca, qui est très bien). Nous retrouvons dans notre dortoir deux autres Françaises croisées au même petit-déjeuner à Sucre. On décide de visiter les mines à 4 le lendemain avec la coopérative d’anciens mineurs, Big Deal.

Nous voilà donc partis pour 3h de visite. On passe d’abord par le marché pour acheter boissons et feuilles de coca. On nous fait ensuite enfiler une combinaison, un casque et des bottes. Puis direction la mine ! On entre dans une galerie. Il fait noir, nous avançons à la lumière de nos lampes frontales. Il fait chaud, un peu étouffant. On continue d’avancer. Arrive le moment où l’on passe dans une autre galerie, située 100m plus haut… Il nous faut donc escalader et ramper dans un tunnel où il y a à peine la place pour notre corps. La traversée me paraît interminable et je commence un peu à paniquer. Je suis contente quand j’arrive au bout du tunnel et que je peux me remettre droite. Heureusement, ce sera le seul passage de ce type. Le reste du temps, on marche soit normalement soit à moitié plié. On nous avait prévenus que la visite pouvait être éprouvante, qu’il ne fallait pas être claustrophobe, on confirme !

Ce jour-là, on ne croisera que quelques mineurs dans les galeries. On leur distribue nos bouteilles de jus et sachets de coca. Ils sont contents de les prendre. Moi je reste un peu septique. La visite est intéressante pour se rendre compte de ce qu’est une mine, de l’étroitesse des galeries, des températures extrêmes. Certaines galeries sont bien ventilées et il y fait très froid, dans d’autres il y fait plus de 50° et les hommes y travaillent presque nus. Heureusement, à l’heure actuelle, il n’y a plus d’enfants qui y travaillent. Ici, seuls les hommes descendent à la mine, poussent leurs wagons remplis de minerai, il n’y a pas de chevaux pour les aider. Tout le travail se fait à force d’homme. Alors c’est vrai que les mineurs croisés étaient contents de nous parler un peu et de recevoir des « cadeaux ». Mais je suis quand même sortie avec un sentiment de voyeurisme un peu désagréable. Il m’est impossible de dire si je conseille ou non de visiter les mines de Potosi. En tout cas, si vous décidez de faire la visite, passez par Big Deal plutôt que par une agence 100% touristique. Au moins, notre guide était un ancien mineur et connaissait la mine et les hommes qui y travaillent.

Les bloqueos… une coutume bolivienne

Après cette escale à Potosi, il nous faut donc rejoindre Tupiza. On a dans l’idée de prendre un bus le lendemain matin. Sauf que ce sera impossible. Pendant que nous étions dans la mine, un mouvement de grève des mineurs a éclaté, et les routes sont bloquées… Plusieurs personnes rencontrées au Pérou nous avaient parlé de ces « bloqueos » qui paralysent très fréquemment les routes boliviennes. Ils avaient même raccourci leur séjour en Bolivie car ils n’arrivaient pas à aller là où ils voulaient, et étaient parfois bloqués plusieurs jours dans une ville sans intérêt. Nous, on n’avait pas encore subi de grève jusque là et on se disait qu’on avait de la chance…

Nous sommes le 10 août, à Potosi, et nous devons rejoindre Tupiza pour pouvoir faire notre excursion de 4 jours dans le salar d’Uyuni — but ultime de notre voyage en Bolivie. Etnotre visa expire dans 8 jours ! En somme, on n’a pas trop le temps de rester bloqués !

Le soir, à l’auberge de jeunesse, nous rencontrons un couple d’Américains, Ioana la Californienne et Carl le musicien Hawaïen, et une étudiante belge, Elke. Eux aussi veulent se rendre à Tupiza. Le gars de l’auberge se renseigne pour nous, et nous confirme que toutes les routes principales de Bolivie sont bloquées, ainsi que toutes les sorties de la ville. Aucun bus ne sort de la ville, nous sommes donc coincés. La grève pouvant durer une journée comme trois semaines, on décide de se lever tôt le lendemain matin pour voir si ça a évolué et si le bus de 8h30 part à Tupiza. Le lendemain la situation est la même. On cherche une solution. À l’hôtel, on nous dit qu’on peut tenter de prendre un taxi à 5 pour essayer de sortir de la ville. Une fois le bloqueo passé, il y aura peut-être des bus derrière qui partiront… On n’a rien à perdre alors on tente !

On se retrouve entassés à 5 dans un taxi, il nous emmène jusqu’à une sortie de la ville, près de la mine. Là, comme prévu la route est bloquée. Mais les mineurs nous disent que si l’on franchit le barrage à pieds, 600m plus loin on trouvera des micros qui partent. On se déleste de quelques bolivianos, le taxi profite de la grève et de notre désarroi pour se faire plaisir, et on franchit notre premier barrage de la journée. On marche quelques centaines de mètres et on trouve en effet des taxis et micros. On arrive à en trouver un qui accepte de nous emmener jusque Tupiza, enfin jusque là où il pourra arriver en fonction des barrages. Il y a 7 places dans le micro, nous sommes 5, nous avons le choix d’attendre que deux autres passagers éventuels se pointent ou de payer les deux places vides et de partir tout de suite… Une sixième personne arrive rapidement, et on décide de ne pas attendre la septième. On ne sait pas combien de barrages nous allons devoir franchir, et on ne veut pas se retrouver bloqués au milieu de nulle part en pleine nuit. Finalement, nous rencontrerons 3 barrages, à chaque fois nous les franchirons à pied et trouverons un autre micro derrière. Nous ferons le trajet jusque Tupiza en 4h, en ayant franchi 3 barrages et pris 2 taxis et 3 bus différents.

Avec le recul on a bien fait de changer nos plans et de faire un tour à Potosi. Sans ça, nous n’aurions pas vécu les bloqueos, et un voyage en Bolivie sans bloqueos… ben c’est pas la Bolivie ! Et surtout, cela nous a permis de rencontrer trois fantastiques personnes, avec qui nous passerons notre séjour à Tupiza et dans le Salar. Grâce à ces grèves, le groupe des Fantastic Five est né…

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Anaïs Dericquebourg
Baithaka

Voyageuse, dévoreuse de livres, et parfois médecin.