Quand 1 mois en Inde se transforme en 3 jours à Delhi

Anaïs Dericquebourg
Baithaka
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10 min readNov 13, 2016

L’Inde… J’en rêvais, depuis longtemps, depuis l’adolescence. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est un pays qui me fascinait, m’attirait et que j’avais envie de découvrir. Peut-être à cause de l’hindouisme et de ses curieux Dieux en forme d’éléphant, de femme aux multiples bras, et de leurs noms si intrigants : Vishnou, Ganesh, Shiva… Ou peut-être à cause de toutes les magnifiques photos que l’on peut régulièrement voir de l’Inde. Les photos de paysages dans une lumière si particulière à l’Inde, un peu orangée (et que nous avons vécue à Delhi), les portraits qui donnent envie d’aller nous aussi rencontrer ces gens… Bref, notre tour du monde était donc l’occasion d’enfin mettre un pied (ou quatre) en Inde. L’Inde serait donc notre première étape dans notre périple asiatique (on met de côté les 3 jours d’escale à Tokyo).

Lors de la préparation de notre voyage, nous n’avions rien planifié pour ce voyage en Inde, on avait seulement décidé d’arriver à Delhi et de rester dans le nord de l’Inde pour pouvoir facilement rejoindre le Népal. Lorsque nous étions en Argentine, on a commencé à se renseigner un peu, on a lu quelques blogs, on a demandé des infos à des amis qui étaient déjà allés en Inde. Ce qui en est ressorti c’est « ne partez pas à l’arrache, prévoyez un minimum ce que vous allez faire », « Ce n’est pas un pays où on peut débarquer et tout gérer en arrivant », « Attention, beaucoup d’arnaques, faites tout le temps attention ».

De Buenos Aires on a donc réservé un hôtel pour les trois premières nuits à New Delhi, on a commencé à imaginer un itinéraire, on s’est inscrit sur le site du réseau ferré indien pour pouvoir acheter nos billets en ligne… On s’est préparé à refuser toute aide, à se méfier des arnaques des taxis, des hôtels, des agences de voyages qui organisent des tours… On pensait être capable de déjouer les plans machiavéliques auxquels on serait confronté.

On n’est finalement pas si intelligents que ça…

Nous arrivons à Delhi le 8 octobre 2016, après 24 heures de voyage depuis Buenos Aires. Nous sommes sales, fatigués, et il fait chaud ! Nous prenons un pre-paid taxi pour rejoindre notre hôtel. Les taxis essayent souvent d’arnaquer le blanc-bec qui vient de débarquer en Inde, lui assurant que son hôtel est fermé, mais qu’il connaît un bon hôtel, propre, pas cher où il peut vous emmener. Bien sûr, votre hôtel réservé en ligne est tout à fait ouvert, mais si vous rentrez dans son jeu, le taxi touchera une commission de la part de l’hôtel tenu par son copain. Nous avions lu que de l’aéroport il valait mieux passer par les pre-paid taxi pour éviter ce genre d’ennui, le taxi étant surveillé par la police normalement ça se passe bien. On monte donc dans le taxi, le chauffeur est sympa, il discute avec nous, nous parle du festival hindou qui va commencer demain. Au bout de 30–40 minutes, nous arrivons vers notre hôtel, le chauffeur se gare à l’entrée d’une rue dont l’accès est bloqué par une barrière. Il nous explique que la rue est fermée à cause du festival. Il nous demande le numéro de téléphone de notre hôtel, le compose devant nous, et demande à l’hôtel par quel itinéraire passer pour contourner le barrage. Il demande même à Jérémy de parler au téléphone avec « l’hôtel » pour qu’on s’organise avec eux (et pour nous mettre en confiance sûrement). La solution : le taxi nous dépose à l’office de tourisme et une personne de l’hôtel va venir nous y chercher. Et c’est là que tout commence… On ne sait pas pourquoi on n’a pas décelé le piège, la fatigue mêlée à la chaleur peut-être. Toujours est-il qu’on se retrouve dans une agence de voyages, pas un office de tourisme officiel. Dans cette agence travaille un Français (on l’appellera K), qui bosse 6 mois par an à Delhi et les 6 autres mois dans un office de tourisme parisien. On patiente donc dans son bureau, nous attendons la personne de l’hôtel. K discute avec nous de sa vie à Paris et ici, il nous offre un thé, on discute tranquillement. Il est sympathique et on ne va pas mentir, le fait qu’il soit un peu français nous rassure. Un Français ne peut pas vouloir nous arnaquer, même s’il bosse en Inde, non ?

Les quarts d’heure passent, toujours pas de signe de vie de notre hôtel. On attend, K en profite pour nous donner une idée d’itinéraire que l’on pourrait faire en 3 semaines. On comprend que la personne de l’hôtel ne viendra jamais. Nous avions versé 20€ d’acompte lors de la réservation en ligne de cet hôtel. On est fatigués, K nous dit qu’il s’arrangera pour récupérer notre acompte et en échange il nous paie deux nuits dans un hôtel qu’il connaît. On n’a pas vraiment le choix, il est tard, on n’a pas d’hôtel et on a envie de prendre une douche et de dormir ! Finalement, on ne sait pas trop comment, on sortira de l’agence en ayant réservé les billets de train et les hôtels pour 3 semaines dans le Rajasthan et l’Uttar Pradesh.

La pire journée de notre voyage

Le lendemain, nous avons un taxi mis à notre disposition par l’agence pour toute la journée. Notre chauffeur, Adji, est censé nous emmener là où ON souhaite. Bon, finalement c’est surtout lui qui va décider des endroits où nous allons. À chaque fois qu’on lui dit « non, nous on veut aller là ! » il nous répond « ok, oui oui », et finalement on se retrouve là où lui voulait. Une vraie tête de mule.

Lorsque nous sommes hors du taxi, nous sentons constamment les regards sur nous, nous sommes une bête curieuse. C’est perturbant de se sentir ainsi observés. Devant un temple où Adji a tenu à nous emmener (et qui n’avait aucun intérêt), nous devons faire la queue. Nous passons une demi-heure horrible, le type derrière nous baisse les yeux vers la poche ouverte de Jérèm où on voit clairement qu’il y a un billet. Il s’approche très très près de Jérèm. Je le capte, je ferme la poche de Jérèm qui lui envoie un regard insistant « hé mec je t’ai capté, n’essaye pas de me faire les poches ». Résultat on passe la demi-heure d’attente les yeux et les mains sur nos poches, sacs… C’est fatigant.

Au moment du déjeuner, on lui demande de nous emmener dans Old Delhi. Bien sûr il nous emmène ailleurs, dans une sorte de shopping center pour touristes où il y a un restaurant où il touchera une commission si on y mange. Il est 15h, on a faim et chaud, et on en a déjà un peu marre, alors on décide de manger là, on n’a pas envie de devoir refaire 30 minutes de voiture jusque Old Delhi. Évidemment quand on rentre dans le bâtiment pour rejoindre le resto, un homme nous dit « le resto est complet, il y a 20 minutes d’attente. Mais en attendant, vous pouvez faire du shopping ». Ahah… Trop c’est trop. On ressort illico presto, on trouve Adji et Jérèm hausse le ton. Il lui explique fermement que nous ne ferons pas de shopping, que nous sommes en voyage pour longtemps donc on n’a pas de place dans le sac à dos pour des souvenirs, donc qu’il nous emmène ailleurs, il ne touchera pas de commission avec nous. Le ton monte, Adji à l’air déçu. On s’en fout. Il nous trouve un resto à côté, on déjeune puis on le retrouve pour les deux heures restantes de la journée. Là, on lui dit qu’on veut aller au tombeau d’Humayan, et nulle part ailleurs. Et, oh miracle, il nous « obéit » enfin ! La visite du site sera un pur bonheur. Ce sera le seul moment de la journée où on se sera senti bien, paisible. C’est un vrai havre de paix au milieu de la cohue de Delhi. On y reste un peu plus d’une heure, puis on retrouve Adji qui nous ramène à l’agence.

Et le soir, ça continue…

À l’agence, on récupère les billets de train et les vouchers pour les hôtels. Maintenant qu’on a les noms des hôtels, on vérifie leur qualité sur internet. Ça ne correspond pas du tout à ce qui nous avait été avancé… Il y en a 2 ou 3 qui ne sont pas trop pourris, mais les autres on ne les aurait jamais réservés de nous même ! Ils ont de mauvais avis, sont décrit comme sales, avec du personnel désagréable, un avis parle même d’un rat dans la chambre pour un hôtel… Bref, ça ne nous convient pas du tout ! Surtout qu’en comparant sur Booking, on peut avoir des hôtels bien mieux pour le même prix. On décide donc que le lendemain matin on ira à l’agence pour demander à K de nous changer ces hôtels.

On discute beaucoup ce soir-là. Moi je suis épuisée, dégoûtée, énervée. C’est difficile d’expliquer ce qui s’est mal passé, car il ne nous est rien arrivé de grave. C’est un sentiment de mal-être, le fait de devoir toujours être en alerte, sur le qui-vive, de ne pas pouvoir parler à qui que ce soit sans qu’il y ait un désir de nous arnaquer derrière… Cette journée a été éprouvante et je me suis sentie mal toute la journée. Le seul moment de répit aura été l’heure passée au Tombeau. Dès qu’on était dans la rue mon coeur palpitait, ma main serrait plus fort celle de Jérèm, j’étais sur le qui-vive, « que va-t-il se passer maintenant ? »… Bref, ce fut une journée angoissante. Et qui ne correspondait pas du tout à ma vision de ce que je voulais vivre pendant notre tour du monde.

Et si on s’enfuyait ?

On s’est couché en se disant qu’on allait essayer de se faire rembourser par K et qu’on organiserait trop périple par nous même. Cette nuit-là, j’ai très mal dormi. Et finalement au réveil je ne me voyais pas du tout continuer le voyage en Inde. Je voulais quitter ce pays au plus vite. Jérèm me soutient, il ne se sent pas très bien à Delhi non plus, donc ça ne le dérange pas du tout qu’on parte. Finalement, à 9h30 nous avons réservé deux places sur un vol pour Bangkok le soir même, sans même savoir si on serait remboursé par K. Même si on ne récupère pas un centime je ne veux pas rester. Je veux continuer le voyage comme il a commencé, « à la cool », au jour le jour, et dans la bonne humeur. Et là, ce ne sera pas possible.

L’agence a accepté de nous rembourser 50% de la somme. Ils avaient l’air sincèrement peinés que nous quittions l’Inde si vite. Nous avons passé plus d’une heure à l’agence ce matin-là, à discuter avec K et son collègue. Ils voulaient comprendre ce qui nous poussait à partir. Ils nous ont proposé d’aller au moins à Udaipur, qu’on voit si cela nous plaît plus que Delhi, et si nous avions toujours envie de partir ils venaient nous récupérer à Udaipur et nous emmenaient directement à l’aéroport. Nous avions déjà acheté notre billet pour Bangkok donc ce n’était pas possible. Ils n’avaient pas un mauvais fond, ils voulaient juste gagner le plus d’argent possible sur notre dos. Nous avons même reçu des messages de K quand nous étions en Thaïlande pour savoir comment nous allions, comment ça se passait.

Ils nous ont à nouveau mis à disposition un taxi pour la journée, avec un autre chauffeur qui cette fois nous a écoutés et nous a emmenés là où nous voulions, et qui nous a emmené directement à l’aéroport le soir. Cette deuxième journée s’est beaucoup mieux passée, peut-être parce que nous savions que nous partions le soir même ? Nous avons pu aller dans Old Delhi, et voir une autre facette de Delhi. Nous étions toujours et constamment observés, mais parce que dans ce grand bazar chaotique, nous étions les seuls blancs à nous balader. C’étaient des regards de curiosité, pas des regards dirigés vers vos poches pour voir ce qu’il y avait à y piquer. Nous avons pu échanger quelques regards avec des enfants, des vieillards enturbannés, regards de curiosité mutuelle, et nous avons même eu droit à 1 ou 2 sourires…

L’Inde n’a pas sa place dans ce tour du monde, c’est un pays trop compliqué. Mais cette journée nous a confortés dans l’idée que nous reviendrons en Inde dans quelques années, que l’Inde a plein de choses à offrir dès que l’on sort de New Delhi et des endroits très touristiques. Mais nous reviendrons dans un autre contexte, dans un voyage consacré à l’Inde, peut-être en commençant par le sud qui a l’air plus tranquille, et avec un plus gros budget pour pouvoir dormir dans des hôtels propres.

Nous quittons l’Inde plus sereins. Je suis soulagée, soulagée de partir, mais aussi soulagée de savoir que mon rêve d’Inde n’était pas utopique, que nous pourrons revenir et découvrir une Inde plus sympathique.

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Anaïs Dericquebourg
Baithaka

Voyageuse, dévoreuse de livres, et parfois médecin.