Comment améliorer le souvenir de l’expérience ?
Récemment, je naviguais sur Google à la recherche d’articles. Lors de cette quête, le titre de l’un d’entre eux m’interpelle particulièrement. En effet, il semble, à première vue, répondre à mes nombreuses questions et être de sources fiables. Je me lance donc dans sa lecture et surprise, quelques minutes plus tard, un encart m’empêche de continuer cette lecture.
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J’ai trouvé cette expérience frustrante et insatisfaisante.
La loi de l’apogée/fin
Daniel Kahneman (prix Nobel de psychologie et d’économie) s’est intéressé à la façon dont nous évaluons une expérience. Suite à de nombreux tests, il a démontré que l’homme n’évalue pas une expérience par la somme de ce qu’il a ressenti tout au long de l’expérience, mais par la moyenne entre l’apogée (le moment le plus riche en émotion) et la fin (le moment qui clôt l’expérience).
Reprenons mon exemple de l’article et créons une courbe d’émotion de chaque moment vécu pour illustrer la théorie de D. Kahneman.
Si l’on fait la somme de toutes les expériences vécues, la note globale est de 3,4/5, ce qui est relativement correct.
Cependant, si nous suivons la règle de l’apogée et de fin mise en évidence par D. Kahneman, la note donnée à l’expérience n’est plus que de 2,5/5. En effet, les deux seules notes considérées sont celles de l’apogée (ici la découverte de l’article 5/5) et celles de la fin (la découverte de l’encart et l’impossibilité de continuer ma lecture 0/5).
Le souvenir de cette expérience est donc relativement mauvais.
Concevoir pour le souvenir
Ayant désormais cette loi en tête, nous nous demandons comment l’appliquer pour concevoir de meilleures expériences. Devons-nous créer en nous concentrant sur chaque moment de l’expérience, ou bien en nous concentrant seulement sur l’apogée et sur la fin ?
Selon Don Norman, le designer a pour rôle de concevoir pour la mémoire, et non pour l’expérience réelle. Cela suggère qu’en tant que designer, nous devons prêter une attention toute particulière aux émotions des utilisateurs pour identifier les moments d’apogée. Cette identification permettra d’agir pour que nos utilisateurs aient une évaluation positive de l’expérience vécue. Il est donc nécessaire de garder en tête la loi d’apogée et de fin lors de la conception.
Voici 4 grandes étapes qui peuvent nous aider à améliorer (le souvenir de) l’expérience que nous proposons.
1. Identifier les moments d’apogées grâce à la User Journey
Cette première étape est la plus importante. Elle consiste à comprendre quels sont les moments forts de l’expérience utilisateur, quand ils se produisent et pourquoi. Nous pouvons utiliser des outils tels que la User Journey pour condenser l’ensemble des informations récoltées et passer en revue le parcours utilisateur. La courbe des émotions va nous permettre d’identifier les moments d’apogées (qu’ils soient agréables ou désagréables). Cela peut être l’excitation de la découverte de votre service, la satisfaction et le sentiment de triomphe à l’accomplissement d’une tâche ou bien même la nervosité à la validation de la commande.
2. Amplifier les moments forts et minimiser les moments faibles
La mission du designer consistera à amplifier les moments positifs pour en faire des moments mémorables. Ici, pas besoin de développer une expérience coûteuse, mais apporter une émotion positive grâce à des actions simples peuvent s’avérer extrêmement efficace (utiliser le nom de l’utilisateur, l’accompagner, le féliciter, etc.) Sa deuxième mission sera de minimiser chaque moment négatif, de le simplifier pour qu’il n’apparaisse plus comme un point de friction dans le parcours de notre utilisateur (segmenter un formulaire, rassurer l’utilisateur, le motiver, etc.).
Mailchimp est une plateforme d’Emailing. Dans cet exemple, la pause avant de procéder à l’envoi groupé encourage l’utilisateur à revenir en arrière pour procéder à une dernière vérification, mais permet également d’apporter un peu de légèreté à ce moment qui peut-être stressant.
3. Prendre en compte les edge cases (cas particulier)
Bien souvent, lors de la conception, nous sommes concentrés sur l’expérience principale que vont vivre nos utilisateurs. “Et si … ?” est la question qu’il faut se poser pour imaginer le maximum de situations dans lesquels notre utilisateur peut se retrouver. Une coupure de réseau ou bien une erreur de téléchargement peuvent apporter énormément de frustration. Si nous identifions ces “edge case”, nous serons en mesure de minimiser ces irritations et donc d’atténuer les pics négatifs. Lors d’une erreur, par exemple, utiliser un vocabulaire simple pour expliquer cette faute, permettra à l’utilisateur de ne pas s’attarder sur ce moment de désarroi.
4. Happy ending story
Il est nécessaire de tout mettre en œuvre afin que l’utilisateur termine l’expérience sur une note positive. Faire de ces moments de conclusion des instants mémorables et différenciants est un objectif clé. C’est à ce moment que votre utilisateur évaluera son expérience. Rappelons que c’est l’un des deux moments clés selon la loi de Kahneman. Il est donc nécessaire que l’utilisateur se concentre sur quelque chose de positif pour créer un dernier souvenir agréable. Soyons excitants, surprenants et sortons en fanfare.
Le 1er avril, Asana choisit de faire passer l’image d’une Licorne pour fêter l’accomplissement d’une tâche. Cette initiative éphémère, tant félicitée par les utilisateurs, devint pérenne. Le passage de cet animal ajoute une émotion d’amusement en plus d’une émotion de satisfaction.
Que retenir de tout ça?
Reprenons l’exemple initial de la lecture de l’article et appliquons cette nouvelle règle. L’idée est d’éviter à tout prix que le lecteur clôture l’expérience sur une note négative. Voici donc une proposition d’amélioration où nous avons d’une part déplacé le moment final négatif au début de la lecture et d’autre part minimiser ce moment négatif (ici en ajoutant une touche de compassion pour les auteurs, et en transformant une limitation en une opportunité).
L’esprit humain est efficace et économique dans sa manière de sélectionner et de sauvegarder de l’information. Notre rôle de designer est d’influencer ce processus de sauvegarde. Comment ? En mettant l’accent sur des moments clés de l’expérience — le moment le plus fort et le moment final — pour créer des souvenirs mémorables pour l’utilisateur.